Il y a 70 ans, le premier avion à réaction français prenait son envol

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Au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, l’industrie aéronautique française, jusqu’alors florissante, se trouve dans une situation catastrophique. Pourtant, en vertu d’un accord obtenu par le gouvernement de Vichy avait permis de maintenir en France une certaine capacité de production devant servir les intérêts allemands, ce qui évita la saisie des machines-outils par l’occupant et l’envoi d’une partie de la main d’oeuvre qualifiée en Allemagne.

Cependant, pour éviter l’espionnage et le sabotage, Berlin confia aux usines françaises situées en zone occupées le soin de produire des avions légers, destinés à l’entraînement des pilotes de la Luftwaffe, comme le Messerschmitt Bf 108 Taifun qui, après guerre, sera produit par la Société nationale des constructions aéronautiques du Nord sous le nom de Nord 1000 Pingouin. C’est ainsi que 2.000 appareils sortirent des lignes d’assemblage françaises entre 1940 et 1944.

Cela étant, cette activité, même réduite, menée au profit de l’Allemagne nazie, fit que les usines aéronautiques françaises ne furent pas épargnées par les bombardements alliés. En outre, comme il était interdit aux ingénieurs français de développer de nouveaux avions, il n’y avait plus, à la Libération, de bureaux d’études dignes de ce nom, alors que les années précédentes furent marquées par plusieurs innovations technologiques majeures, comme le moteur à réaction.

En clair, les avionneurs français accusaient alors un énorme retard par rapport à leurs concurrents britanniques, américains et russes, leurs homologues allemands, après la capitulation du 8 mai 1945, étant hors-jeu. Cela étant, beaucoup d’ingénieurs d’outre-Rhin furent recrutés par la suite, comme par exemple Hermann Östrich, qui dirigea le bureau d’études des réacteurs ATAR de la SNECMA. Mais c’est une autre histoire.

Aussi, en 1944, le général de Gaulle, alors président du Conseil, fait de la reconstruction de l’industrie aéronautique française une priorité nationale. Cette tâche est confiée à Charles Tillon, qui, ancien résistant et communiste, se voit nommer ministre de l’Air. « Nous nous proposons de donner à nos chercheurs des moyens matériels puissants qui leur sont nécessaires et d’associer la science pure à la recherche industrielle », assure-t-il. Mais dans cette France dénuée de tout au lendemain de la guerre, ce pari est compliqué à relever.

Et pourtant, malgré des décisions pas toujours très heureuses et teintées d’arrières-pensées politiques prises par Charles Tillon, la France entre, le 11 novembre 1946, dans le club alors très fermé des pays capables de produire des avions à réaction. Et elle le doit à un homme : Lucien Servanty.

Passionné par l’aviation dès son plus jeune âge, Lucien Servanty obtient un diplôme d’ingénieur des Arts et Métiers en suivant des cours du soir. Après quelques années passées chez Louis Bréguet, il est embauché, en 1937, par la Société nationale des constructions aéronautiques du Sud-Ouest (SNCASO).

Pendant l’Occupation, il en est réduit à dessiner des planeurs. Mais, en secret, à partir de 1943, il imagine, avec une petite équipe d’ingénieurs, ce que pourrait être un avion à réaction. Il l’appelle le S.O 6000 « Triton ».

Ne pouvant compter sur aucun moyen pour valider ses intuitions, Lucien Servanty développe le S.O 6000 à la règle à calculs… Et il évite le pire quand son appartement parisien est perquisitionné par la Gestapo, laquelle échoue à mettre la main sur les plans de l’appareil.

Á la Libération, l’équipe de Lucien Servanty peut reprendre librement ses activités. Le premier S.O 6000 Triton est alors assemblé à Suresnes, dans des conditions « rustiques », avec le soutien des autorités.

Ne pouvant savoir, quand il a commencé ses travaux, avec quel moteur il pourrait faire voler son avion [le réacteur « Rateau » SRA-1 était toutefois pressenti], l’ingénieur en chef de la SNCASO dessina un fuselage avec un volume relativement important pour y placer n’importe quel réacteur connu. C’est ce qui explique pourquoi cet appareil sera un biplace et que l’entrée d’air du réacteur coupe en deux le cockpit.

Finalement, et comme aucun moteur à réaction d’origine française n’existe encore, le choix de Lucien Servanty se porte dans premier temps sur le réacteur allemand Junkers JUMO (900 kg seulement de poussée), le même qui équipait le Messerschmitt Me-262.

Le 11 novembre 1946, à Orléans-Bricy le Triton 01 peut décoller pour la première fois avec, aux commandes, Daniel Rastel, un pilote d’essais « moustachu », breveté depuis 1926 et ancien des Forces aériennes françaises libres (FAFL), où il a servi au groupe de chasse « Alsace ». Pour se faire la main, il avait pris la peine d’effectuer plusieurs vols à bord d’un Me 262.

Ce vol inaugural aura duré 10 minutes, à une altitude de 300 mètres seulement. Mais il fera entrer l’industrie française de l’aéronautique dans une nouvelle dimension.

Par la suite, Lucien Servanty travaillera sur plusieurs projets majeurs, comme le 6020 « Espadon », le 9050 « Trident II », premier avion supersonique à propulsion mixte qui obtiendra plusieurs records internationaux, et surtout, le Concorde. Malheureusement, ce brillant ingénieur n’aura pas l’occasion d’assister au premier vol commercial de ce fleuron de l’industrie aérospatiale franco-britannique : il décédera le 7 octobre 1973 à Toulouse, à l’âge de 64 ans.

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