La Turquie a lancé une opération militaire dans le nord de la Syrie

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Il y a deux semaines, dans le nord de la Syrie, les Forces démocratiques syriennes (FDS), qui réunissent les milices kurdes et des groupes arabes armés, ont chassé l’État islamique (EI ou Daesh) de la ville de Manbij, avec le soutien aérien de la coalition internationale dirigée par les États-Unis.

Seulement, des jihadistes ont réussi à s’enfuir vers Jarablus, localité située plus au nord, en prenant des civils en otage afin d’éviter les frappes aériennes de la coalition. Quant au FDS, elles ont annoncé que leur prochain objectif serait la ville d’al-Bab, qui, aux mains de Daesh, se trouve à 30 km environ au nord-est d’Alep.

Mais pour Ankara, la crainte est de voir les FDS, et donc les milices kurdes (YPG) liées au Parti de l’union démocratique (PYD), lui-même affilié au Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) turc, de s’emparer de Jarablus, qui est dernière ville frontalière avec la Turquie, contrôlée par l’État islamique.

En clair, le gouvernement turc veut à tout prix éviter que le PYD puisse disposer d’un territoire continu en Syrie, à proximité immédiate de sa frontière. Car, pour Ankara, le PYD et le PKK, qualifié d’organisation terroriste, sont les deux faces d’une même pièce.

Aussi, l’attentat suicide commis le 20 août lors d’un mariage kurde à Gaziantep (54 morts) et attribué à Daesh a peut-être (mais on ne peut pas l’affirmer avec certitude) accéléré les préparatifs d’une intervention militaire turque dans le nord de la Syrie, précisément à Jarablus.

« Daesh doit être éliminé de nos frontières et nous sommes prêts à tout faire pour cela », a ainsi affirmé, le 22 août, Mevlut Cavusoglu, le ministre turc des Affaires étrangères. Et cela même si le Premier ministre Binali Yildirim a fait une déclaration contradictoire sur les auteurs de l’attentat de Gaziantep.

Le même jour, sentant l’imminence d’une intervention turque, les FDS ont annoncé la création d’un « Conseil militaire de Jarablus »… dont le chef a été assassiné le lendemain. Pour les Kurdes, il ne fait pas de doute qu’il s’agit d’un coup des services secrets turcs. De leur côté, trois jours plus tôt, les jihadistes ont évacué leurs familles de Jarablus vers al-Bab.

Cela étant, toujours le 22 août, l’artillerie de la 5e division blindée mécanisée est entrée en action, après avoir fait évacuer la ville frontalière turque de Karkamış, située en face de sa zone d’opération. C’est ainsi que les positions de l’EI ont été pilonnée, de même que celles occupées par les FDS à Manbij, l’objectif, selon un responsable turc, étant de les empêcher d’avancer vers Jarablus.

Ces tirs d’artillerie ont ainsi préparé l’opération « Bouclier de l’Euphrate », vraisemblablement planifiée de longue date. Cette dernière a en effet été lancée ce 24 août, avec le concours de rebelles syriens « modérés » (qui ne le sont pas tous car l’on trouve parmi eux des combattants du groupe salafiste Ahrar al-Sham), dans le secteur de Jarablus. Des chars turcs, appuyés par l’aviation, ont ainsi traversé la frontière et tiré en direction des positions jihadistes.

Cette offensive, qui mobilise environ 300 commandos des forces spéciales turques et qui coïncide avec la visite, à Ankara, de Joe Biden, le vice-président américain, est appuyée par la coalition anti-EI, laquelle soutient aussi les milices kurdes.

Et probablement que cette opération a été lancée avec l’accord tacite de la Russie, qui soutient militairement le régime de Bachar el-Assad. Sans doute faut-il y voir une des conséquences de la récente réconciliation entre Ankara et Moscou. Au passage, les relations entre les deux pays sont au beau fixe puisque le Premier ministre turc a dit, le 20 août, qu’il était ouvert à l’idée de permettre aux forces russes d’utiliser la base d’Incirlik (celle où sont stockées les bombes nucléaires B-61 mise à la disposition de l’Otan par les États-Unis).

Ce n’est pas la première fois que l’armée turque, que l’on dit affaiblie après les purges consécutives au coup d’État raté du 15 juillet, s’aventure dans le nord de la Syrie. En février 2015, elle avait en effet mené une opération en territoire syrien pour récupérer la dépouille de Suleyman Shah du Caber Kalesi et évacuer les militaires chargés de sa garde.

Quoi qu’il en soit, Damas a évidemment condamné cette opération turque, qualifiée de « violation flagrante » de la souveraineté syrienne. « Quelle que soit la partie qui mène le combat contre le terrorisme sur le territoire syrien, elle doit le faire en coordination avec le gouvernement syrien et l’armée syrienne qui mène cette lutte depuis cinq ans », a fait valoir le ministère syrien des Affaires étrangères.

Mais « Bouclier de l’Euphrate » est soutenue par les États-Unis, et cela malgré les propos du président turc, Recep Tayyep Erdogan, selon qui cette opération vise non seulement les « terroristes de l’EI » mais aussi les milices kurdes syriennes.

D’après un responsable américain, ce soutien se limite, pour le moment, à un partage de renseignements sur l’EI ainsi qu’à une participation de « conseillers militaires ». Il pourrait « prendra la forme d’un soutien aérien au sol, si les Turcs en font la demande », a-t-il ajouté.

Outre les États-Unis, la France a pour sa part salué « l’intensification des efforts de la Turquie, partenaire de la coalition, dans la lutte contre Daesh. » Et le Quai d’Orsay d’ajouter : « Éradiquer Daech implique une concentration des efforts des partenaires de la coalition internationale dans la lutte contre cette organisation terroriste », ce qui suppose aussi « la recherche d’une solution au conflit en Syrie, qui ne peut passer que par une transition politique conforme à la résolution 2254 du Conseil de sécurité des Nations unies. »

Enfin, la diplomatie allemande s’est livrée à un numéro digne d’un équilibriste au-dessus des chutes du Niagara. Ainsi, si elle a souligné que le caractère anti-EI de l’opération turque est « à l’unisson des objectifs et intentions de la coalition » internationale dirigée par les États-Unis, elle a dit « respecter » la décision d’Ankara de combattre les milices kurdes syriennes… Milices qui ont été jusqu’à présent les seules à remporter des succès militaires significatifs contre les jhadistes en Syrie.

« La Turquie, à tort ou a raison, considère qu’il y a des liens entre, du côté turc, le PKK, que nous considérons aussi comme une organisation terroriste, et au moins une partie des Kurdes du côté syrien. Nous respectons cela, et nous considérons que c’est le droit légitime de la Turquie d’agir contre ces activités terroristes. Nous soutenons la Turquie sur ce point », a expliqué Martin Schäfer, le porte-parole du ministère allemand des Affaires étrangères.

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