La Turquie lance un appel à la Russie pour des actions militaires conjointes contre l’État islamique

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En matière de relations internationales, il vaut mieux se garder de jouer les oracles. Ainsi, qui aurait pu dire, ne serait qu’il y a encore quelques semaines, que la Turquie et la Russie allaient opérer un spectaculaire rapprochement alors que la tension entre ces deux pays était à son comble après l’affaire du bombardier tactique russe Su-24 « Fencer » abattu par l’aviation turque à la frontière syrienne, en novembre dernier?

Après avoir exclu de s’excuser pour ce très sérieux incident et saisi l’Otan, Ankara fait volte-face. Fin juin, le président turc, Tayyep Recip Erdogan, a ainsi fini par présenter se excuses et ses regrets à Vladimir Poutine, son homologue russe. Mieux même : les deux hommes se sont rencontrés à Saint-Petersbourg, le 9 août, pour relancer les relations bilatérales entre Ankara et Moscou.

Entre-temps, le coup d’État manqué en Turquie a été l’occasion pour les autorités turques de lancer de vastes purges au sein de leurs administrations (et en particulier l’armée) et de reconsidérer leurs relations avec les Occidentaux.

S’ils ont condamné la tentative de coup d’État du 15 juillet, ces derniers ont toutefois exprimé des inquiétudes sur l’ampleur de la répression et les violations des principes démocratiques. Et le chef de la diplomatie américaine, John Kerry, a même évoqué une possible exclusion de la Turquie de l’Otan en cas de dérive autoritaire de ce pays. A contrario, le maître du Kremlin n’a pas montré d’état d’âme et soutenu l’épuration entreprise par le gouvernement turc au sein de son administration…

En outre, Ankara a adressé une mise en garde à Washington en cas de refus d’extrader le prédicateur Fethullah Gülen, qui, ancien allié de M. Erdogan, est maintenant accusé par les autorités turques d’avoir organisé le coup de force du 15 juillet. « Si Gülen n’est pas extradé, les Etats-Unis sacrifieront les relations (bilatérales) à cause de ce terroriste », a ainsi affirmé Bekir Bozdag, le ministre turc de la Justice.

Qui plus est, ce dernier a aussi insisté sur le fait que le « sentiment antiaméricain au sein de la population turque avait atteint un pic », en raison du refus de Washington d’extrader Fethullah Gülen. « Il appartient à la partie américaine d’empêcher que ce sentiment se transforme en haine », a déclaré M. Bozdag.

Peu avant, le président Erdogan s’en était pris vigoureusement à l’Union europénne, dans un entretien donné au quotidien Le Monde. « Cela fait 53 ans que nous sommes aux portes de l’Europe. L’UE est la seule responsable et coupable. Personne d’autre que la Turquie n’a été traité de cette manière (…). L’Union européenne ne se comporte pas de façon sincère avec la Turquie », avait-il accusé.

Quoi qu’il en soit, la rencontre du 9 août entre MM. Poutine et Erdogan a permis de relancer certains dossiers importants, comme le projet de gazoduc TurkStream, qui doit permettre d’acheminer 31,5 milliards de mètres cubes par an en Turquie via la mer Noire. Et il a même été question d’une coopération russo-turque dans le domaine de l’industrie de l’armement.

Mais ce n’est pas tout. En effet, le chef de la diplomatie turque, Mevlüt Cavusoglu, a appelé la Russie à mener des opérations militaires conjointes avec la Turquie contre l’État islamique (EI ou Daesh) en Syrie. Et de préciser qu’une délégation turque se trouvait actuellement en Russie pour en discuter.

« Nous allons discuter de tous les détails. Nous avons toujours appelé la Russie à des opérations anti-Daesh…. notre ennemi commun », a affirmé M. Cavusoglu lors d’un entretien accordé à la télévision NTV. « La proposition est toujours sur la table », a-t-il ajouté.

Pourtant, la Russie et la Turquie n’ont pas les mêmes objectifs en Syrie : la première soutient Bachar el-Assad tandis que la seconde veut sa chute. « Nos points de vue sur la question syrienne ne coïncident toujours pas (…), mais nous avons un objectif commun : régler la crise (…), et nous allons chercher une solution commune acceptable pour tout le monde », a cependant affirmé M. Poutine à ce sujet.

« Un régime qui massacre (des centaines de milliers) de personnes ne devrait pas diriger le pays mais nous ne pouvons pas laisser de côté notre dialogue avec la Russie juste parce que nous n’avons pas la même opinion d’Assad », a expliqué le ministre turc des Affaires étrangères. « Combattons ensemble le groupe terroriste Etat islamique », a-t-il insisté. Et cela afin de « l’éliminer dès que possible » pour qu’il ne s’étende pas « comme une épidémie » en Syrie et dans d’autres pays, a-t-il continué.

Cela étant, la lutte contre l’État islamique n’est pas la priorité ni de la Turquie (qui s’inquiète plutôt de l’avancée des Kurdes dans le nord de la Syrie), ni de la Russie, qui concentre ses opérations dans la région d’Alep.

En tout cas, d’un point de vue stratégique, ce rapprochement entre Ankara et Moscou est trés intéressant pour la partie russe, dans la mesure où il lui garantit l’accès de se flotte de la mer Noire à la Méditerranée (via les détroits des Dardanelles et du Bosphore) et que la brouille entre la Turquie et les Occidentaux, si elle devait s’éterniser, pourrait avoir des conséquences sur la défense antimissile de l’Otan dans la mesure où un radar d’alerte avancée est installé à Kürecik.

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