La France s’interroge sur la fiabilité de la Turquie dans la lutte contre l’État islamique

ayrault-20160718Le coup d’État fomenté, le 15 juillet, par une partie de l’armée turque, aura donc échoué. Et cela pour au moins deux raisons : le manque de soutien populaire et le fait qu’il a été mené par un groupe réduit de militaires. Si la communauté internationale, dans son ensemble, a salué une victoire de la démocratie, cette tentative ratée renforce dans le même temps le pouvoir de Recep Tayyip Erdogan, le président turc, déjà critiqué pour sa dérive autoritaire.

Ainsi, près de 3.000 militaires putschistes – ou accusés de faire partie du complot – ont été placés en détention. Et, chose qui peut paraître surprenante, un nombre équivalent de juges et de procureurs ont été mis « en garde à vue » quand ils n’ont pas été relevés de leurs fonctions. « Nous allons continuer d’éliminer le virus de toutes les institutions étatiques », a promis M. Erdogan, deux jours après cette tentative de coup d’État. En outre, il a indiqué réfléchir à rétablir la peine de mort, abolie en 2004. Au passage, si la Turquie prend ce chemin, alors elle s’éloignera d’une possible adhésion à l’Union européenne.

Justement, Johannes Hahn, le commissaire européen à l’Élargissement, a fait part de son scepticisme à propos de ce qui ressemble à une vaste purge au sein de l’appareil étatique turc. « On a au moins l’impression que quelque chose avait été préparé. Les listes sont disponibles, ce qui laisse penser que cela était préparé pour servir à un moment ou un autre », a-t-il dit. « Je suis très préoccupé. C’est exactement ce que nous redoutions », a-t-il ajouté.

Parmi les militaires arrêtés pour leur participation au putsch, l’on trouve le général Bekir Ercan Van, le commandant de la base aérienne d’Incirlik, utilisée par l’Otan ainsi que par la coalition anti-État islamique (EI ou Daesh). Quelques heures après l’échec du coup d’État, cette dernière a été fermée et privée d’électricité, ce qui a interrompu les opérations menées en Syrie et en Irak contre les jihadistes.

Pourtant, le gouvernement turc avait mis près d’un an avant de répondre favorablement à une demande américaine et d’autoriser ainsi la coalition à frapper l’EI depuis la base d’Incirlik. Et, pendant longtemps, les dirigeant turcs ont été accusés d’une certaine passivité à l’égard des jihadistes (pour ne pas dire plus) dans la mesure où ces derniers s’en prennent à la fois au régime syrien de Bachar el-Assad et aux combattants kurdes. Le revirement d’Ankara eut lieu après l’attentat de Suruç, commis le 20 juillet 2015 et attribué à Daesh.

« La Turquie s’est montrée, à un moment donné, trop peu agressive dans le contrôle des ressources pouvant alimenter Daesh ; je n’accuse pas le gouvernement turc, mais il est certain que Daesh a pu vendre en abondance du pétrole au marché noir. Les contrôles se révèlent aujourd’hui plus stricts, mais la Turquie doit mieux surveiller les 200 kilomètres de sa frontière avec la Syrie qui ne sont pas tenus par les Kurdes. De nombreux trafics se déroulent dans cette zone très poreuse, même si la Turquie a opéré une reprise en main depuis qu’elle a été frappée par des attentats », avait même déclaré Jean-Yves Le Drian, le ministre de la Défense, lors d’une audition à l’Assemblée nationale, en décembre 2015.

Pour autant, les doutes n’ont pas été totalement levés. Loin de là même. Ainsi, le 17 juillet, Jean-Marc Ayrault, le ministre français des Affaires étrangères, n’a pas pris de gant. « Il y a des questions qui se posent. Il y a une part de fiabilité et il y a une part de suspicion aussi, c’est vrai », a-t-il affirmé, en réponse à des questions portant sur la coopération d’Ankara dans la lutte contre l’EI.

La Turquie est un « grand pays, qui a une situation stratégique, qui est membre de l’Otan, qui est le premier pays frontalier de la Syrie, qui accueille deux millions et demi de réfugiés sur son territoire, et donc qui est un allié », a ensuite continué le ministre, qui a également estimé que le coup d’État manqué ne donnait pas « un chèque en blanc » au président Erdogan pour faire des « purges ».

Suite à ces déclarations, l’entourage de chef du Quai d’Orsay s’est empressé de préciser que M. Ayrault ne remettait pas en cause le rôle d’Ankara dans la lutte contre l’EI et que la Turquie restait même « un allié clé » contre l’organisation jihadiste.

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