L’opération Sentinelle est un facteur de risques pour la condition militaire

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Pour son 10e rapport [.pdf], le Haut comité d’évalution de la condition du militaire (HCECM), présidé par Bernard Pêcheur, s’est penché sur les missions intérieures des forces armées et donc sur l’opération Sentinelle.

Et il y a effectivement beaucoup de choses à en dire, notamment au niveau de l’hébergement des soldats mobilisés pour cette mission. Depuis des mois, il a beaucoup été question des (mauvaises) conditions d’hébergement de ces derniers. Et le rapport ne manque évidemment pas d’aborder ce sujet.

Ainsi, après les attentats du 13 novembre, le HCECM a « visité un site où plus d’une centaine de militaires étaient hébergés sous un hangar dans le bruit, la promiscuité et des conditions d’hygiène très médiocres, alors que la location de logements préfabriqués, si elle avait été anticipée, aurait permis de meilleures conditions d’installation. »

Et le HCECM évoque également le cas de ces militaires hébergés dans une mairie qui « n’ont pas été autorisés à accéder aux douches » et qui « se sont trouvés contraints, pour se laver, à se rendre au commissariat de police, situé à plusieurs centaines de mètres où ils ont d’ailleurs reçu le meilleur accueil, ou à accéder à leurs frais (20€ par mois) à un gymnase pour y profiter des installations sanitaires. »

Cependant, le rapport note que de telles situations sont maintenant « réglées ou en voie de l’être ». Mais il y a d’autres points qui fâchent, en particulier sur l’équipement individuel et les transports.

« Certaines chaussures en dotation ne sont pas adaptées à la marche. Parce que les stocks sont parfois insuffisants dans les magasins d’habillement, des soldats peuvent être conduits à s’échanger des pantalons et des vestes de treillis pour être en tenue correcte au moment des patrouilles », peut-on lire dans le document, qui ajoute que les réservistes « doivent réintégrer leurs effets militaires au terme de chacune de leur participation à l’opération, sans avoir la certitude de pouvoir percevoir des vêtements à leur taille et en totalité la fois suivante. »

S’agissant des transports, les principales difficultés se trouvent en Île-de-France. « L’utilisation des transports en commun pour aller, équipés et armés, sur les lieux de garde ou de début de patrouille prend du temps et reste malaisée », souligne le rapport. Et, ajoute-t-il, « certains véhicules utilisés par les patrouilles ne facilitent pas l’embarquement de militaires armés et équipés. » Mais là encore, le HCECM note que la situation s’améliore « progressivement ».

Par ailleurs, l’opération Sentinelle a évidemment des conséquences sur la vie familiale des militaires, certains d’entre eux ayant passé, en 2015, entre 186 et plus de 220 jours en-dehors de leur domicile.

Et l’on arrive même à un paradoxe, souligné par M. Pêcheur lors de son audition par la commission « Défense » de l’Assemblée nationale : les absences du domicile sont mieux supportées par les familles quand elles sont motivées par les opérations extérieures. Tout simplement parce qu’il y a une certaine frustration pour le militaire à n’être seulement qu’à 1h30 de ses proches sans pouvoir passer du temps avec eux.

Les sujétions de l’opération Sentinelle sont reconnues et compensées par la médaille de la protection militaire du territoire (que certains ont dû payer de leur poche et qui ne fait pas l’unanimité, plusieurs soldats, note le rapport, ayant « indiqué qu’ils n’y attachaient pas une grande importance) ainsi que par l’attribution de l’ISC (Indemnités pour Service en Campagne) et de l’AOPER (Indemnité pour sujétion spéciale d’alerte opérationnelle), les deux étant imposables, à la différence de l’indemnité de sujétions pour service à l’étranger (ISSE).

Le versement de ces indemnités « n’affecte pas la fiscalité des militaires du rang et des sous-officiers mariés dont le conjoint ne travaille pas », du moins est-ce le cas dans la limite de quatre participations à l’opération Sentinelle.

« Les autres foyers qui n’étaient pas imposables le deviennent au fur et à mesure des participations à l’opération, et ceux qui l’étaient déjà voient le montant de leur impôt progresser », note cependant le HCECM.

« L’augmentation des revenus de l’année 2015 consécutive au versement de l’ISC et de l’AOPER aura en outre des répercussions en 2017 sur le montant de toutes les prestations familiales et sociales assorties de conditions de ressources, mais dans des proportions qui varient selon le nombre de participations à l’opération Sentinelle, le grade et l’échelon ainsi que la situation de famille du militaire », lit-on dans le rapport.

Plus généralement, l’opération Sentinelle présente d’autres risques pour la condition militaire. Le premier est une possible dégradation de la très bonne image des armées au sein de la population.

Or, estime le HCECM, « certaines caractéristiques ou conséquences de l’opération Sentinelle peuvent fragiliser cette image ». Et d’expliquer : « La médiatisation de situations où les militaires déployés sur le territoire national seraient mis en difficulté, la publicité faite à des conditions ponctuelles de soutien médiocres ou les incidents qui pourraient apparaître en opération extérieure, faute d’une préparation opérationnelle suffisante, sont autant de facteurs de risques qui ne doivent pas être ignorés. »

Un second risque porte sur le soutien des militaires, celui de l’opération Sentinelle étant plus exigeant « en termes de personnels, de ressources financières que de moyens matériels. » Le Service du commissariat des armées (SCA), très sollicité, est sous tension, en particulier pour les filières restauration-hôtellerie-loisirs (RHL) et habillement.

« Le défi posé est bien d’être capable de délivrer, concomitamment, dans la durée et sans perte de qualité, le soutien courant, le soutien des opérations intérieures et celui des opérations extérieures. Cette question est d’autant plus prégnante que le renforcement de la force opérationnelle terrestre, à hauteur de 11 000 hommes mais à effectifs ministériels constants, impliquera vraisemblablement une réduction de la proportion des effectifs en charge du soutien », estime le HCECM.

Le troisième risque lié à l’opération Sentinelle concerne l’attractivité du métier militaire, dans la mesure où la perspective de participer à des opérations extérieures constituait (et constitue toujours) une motivation pour les futurs engagés.

« Le rythme des activités, qui permettait à la fois de s’entraîner et de préserver, dans certaines limites, la vie de famille et un régime de rémunération en opération extérieure jugé correct garantissaient une attractivité qui suffisait à répondre aux besoins des forces armées. Sentinelle modifie cette équation », avance le rapport.

Et d’expliquer que cette opération intérieure « accroît très sensiblement le rythme et la durée totale des engagements tout en réduisant les périodes de préparation opérationnelle et de repos, ainsi que celles pendant lesquelles une vie de famille est possible » que, « parce qu’elle se déroule sur le territoire national et fait appel à des savoir-faire élémentaires, elle présente un intérêt différent – souvent jugé moindre – de celui suscité par les opérations extérieures. »

Enfin, un quatrième risque évoqué par le HCECM, et qui n’est pas des moindres, est celui d’une possible « érosion de la crédibilité du commandement ». Et cela « en raison de la nature même de cette mission terrestre de protection du territoire national, où à la différence (…) des opérations extérieures, les armées ne sont pas primo-intervenantes. »

Ainsi, le rapport explique que, comme la conduite des opérations relève des autorités prefectorales et que Sentinelle sollicite, sur le terrain, principalement des militaires du rang et des jeunes sous-officiers, les chefs de corps, commandants d’unité et chefs de section, même s’il sont « parties prenantes », sont « moins impliqués que dans le cas d’une opération extérieure où la réflexion, la coordination, la prise de décision et l’engagement sont plus complexes et plus fréquents. »

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