Le patron du renseignement intérieur craint « cent fois plus la radicalisation que le terrorisme »

Ce n’est pas une exclusivité : la France est clairement menacée, voire visée, par les organisations jihadistes comme l’État islamique (EI ou Daesh) et diverses branches d’al-Qaïda. Comme l’a résumé Patrick Calvar, le patron de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), lors d’une audition devant la commission de la Défense, à l’Assemblée nationale, il ne faut pas se demander s’il y aura un nouvel attentat mais quand il aura lieu.

« Nous savons que Daesh planifie de nouvelles attaques – en utilisant des combattants sur zone, en empruntant les routes qui facilitent l’accès à notre territoire – et que la France est clairement visée », a ainsi affirmé M. Calvar devant les députés. Et cela d’autant plus que l’EI « se trouve dans une situation qui l’amènera à essayer de frapper le plus rapidement possible et le plus fort possible » car il « rencontre des difficultés militaires sur le terrain et va donc vouloir faire diversion et se venger des frappes de la coalition. »

Reste à savoir comment. Pour le directeur du renseignement intérieur, « nous risquons d’être confrontés à une nouvelle forme d’attaque : une campagne terroriste caractérisée par le dépôt d’engins explosifs dans des lieux où est rassemblée une foule importante, ce type d’action étant multiplié pour créer un climat de panique. » Et cela, à quelques mois de l’Euro 2016… et alors qu’il n’est pas question de remettre en cause les « fan zones ».

Qui plus est, al-Qaïda a également l’intention de mener une action d’envergure, non pas parce que cette organisation a disparu de la « scène jihadiste », contrairement à ce qu’a affirmé M. Calvar, mais parce qu’elle a été « éclipsé » par Daesh.

Outre cette menace d’attentat, un autre phénomène inquiète M. Calvar : celui de la radicalisation.

« Pour être franc avec vous : je crains cent fois plus la radicalisation que le terrorisme. Avec le terrorisme, nous prendrons des coups mais nous saurons faire face – nous avons connu des événements très graves tout au long de l’histoire – ; mais cette radicalisation rampante qui va bouleverser les équilibres profonds de la société est à mes yeux beaucoup plus grave, » a-t-il confié aux députés.

Déjà, il faudra commencer par se pencher sur les jihadistes français ayant rejoint les rangs de Daesh ou du Front al-Nosra (branche syrienne d’al-Qaïda).

« Pour finir avec Daesh, nous aurons à nous occuper des vétérans. Nul doute que nous gagnerons le conflit, du moins avec l’organisation telle qu’elle existe –mais le problème – parce que politique – ne sera pas réglé pour autant. Pour assurer notre sécurité, nous devrons nous occuper des vétérans. Nous avons connu le phénomène des vétérans d’Afghanistan qui a donné le GIA en Algérie et les attentats de 1995 en France. Il ne faudra pas perdre de vue que parmi les futurs vétérans il y aura des terroristes très aguerris mais aussi des gens relevant d’ores et déjà de la psychiatrie et dont nous ne savons pas ce qu’ils vont devenir », a estimé M. Calvar.

En outre, un autre problème se posera : celui des enfants de ces jihadistes (dont 248 sont déjà revenus en France).

« Nous recensons quelque 400 enfants mineurs dans la zone considérée [Syrie et Irak, ndlr]. Les deux tiers sont partis avec leurs parents, le tiers restant étant composé d’enfants nés sur place et qui ont donc moins de quatre ans. Je vous laisse imaginer les problèmes de légalité que posera leur retour avec leurs parents, s’ils reviennent, sans compter les réels problèmes de sécurité car ces enfants sont entraînés, instrumentalisés par Daesh (…). Il va donc falloir s’occuper de ces enfants quand ils reviendront », a prévenu le patron de la DGSI.

S’agissant de la radicalisation, M. Calvar a souligné l’efficacité de la propagande de Daesh sur un certain public.

« Les terroristes sont issus du milieu du banditisme. Cette porosité entre terrorisme et banditisme ne concerne pas la finalité, les objectifs, mais traduit le fait que des individus ont grandi ensemble dans les mêmes quartiers, ont parfois été incarcérés ensemble, et ont de ce fait développé une certaine forme de complicité », a-t-il commencé par rappeler.

« Sans prévention nous n’y arriverons pas. Cependant, les individus en question sont largement inaccessibles au discours. Les gamins se ‘shootent’ aux vidéos de Daech. (…) Leur capacité d’attraction est extraordinaire. Face à cela, nous disons à ces gamins d’aller à la mosquée, alors qu’ils ne comprennent pas tout ce qu’ils y entendent, ne connaissant souvent rien à l’islam et au Coran. Le décalage est très grand. Il faut trouver des gens qui soient crédibles auprès d’eux. C’est difficile avec les repentis car, pour eux, un repenti est un traître », a expliqué le patron de la DGSI, après avoir indiqué que « 818 personnes manifestent l’intention de se rendre » au Levant.

Ce problème de la radicalisation de certains individus risque de se poser pendant longtemps. « Ne nous leurrons pas, la situation ne se réglera pas là-bas – si le problème ne s’appelle plus Daesh, il s’appellera autrement –, et nous faisons face à deux cancers : l’un ici, l’autre là-bas », a fait valoir M. Calvar.

Qui plus est, le directeur du renseignement intérieur constate une montée des extrémismes en Europe. « Nous sommes (…) en train de déplacer des ressources pour nous intéresser à l’ultra-droite qui n’attend que la confrontation. (…) Cette confrontation, je pense qu’elle va avoir lieu. Encore un ou deux attentats et elle adviendra. Il nous appartient donc d’anticiper et de bloquer tous ces groupes qui voudraient, à un moment ou à un autre, déclencher des affrontements intercommunautaires », a-t-il dit.

En revanche, le suivi des extrémistes de gauche, que l’on peut voir à l’oeuvre actuellement, n’est pas du ressort de la DGSI, qui, a-t-il rappelé, est un « service antiterroriste ». Ces derniers relèvent donc « du renseignement territorial ». Et de préciser : « Nous suivons pour notre part le haut du spectre, c’est-à-dire des individus susceptibles de basculer dans des actions terroristes qui visent à porter atteinte aux institutions de la République. »

Toutefois, a-t-il ajouté, « Tous les extrémismes ont intérêt à se manifester » car « la capacité de résilience de la société est faible et, dès lors, il faut la provoquer, provoquer le maximum de désordre pour aboutir, suivant son bord, à la grande révolution ou bien à un ordre mieux établi. Reste que l’on sent bien qu’une certaine violence s’installe dans la société, qu’il y a un vide idéologique. »

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