Quand l’aéronavale française bombardait Berlin

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En juin 1940, alors que se dessinait ce que Marc Bloch appellera « l’étrange défaite », l’armée française, qui s’était vaillamment battue jusqu’alors (à Stonne, Ham, Tannay, La Horgne, etc…) grâce à la tenacité de ses hommes mais au prix de trop lourdes pertes, ne s’avouait pas encore vaincue. Que l’on pense, par exemple, au combat livré par les Cadets de Saumur, qui, tinrent tête pendant plusieurs jours à plus de 30.000 soldats allemands pour empêcher ces derniers de progresser vers le sud de la France.

Pour beaucoup, ces faits d’armes sont aujourd’hui ignorés, sinon oubliés. Du moins, est-ce le cas du bombardement de Berlin par l’aéronavale française, le 7 juin 1940.

Quatre jours plus tôt, la Luftwaffe avait mené des raids massifs contre Paris, avec des bombardiers Dornier 17, Heinkel 11 et Junkers 88, protégés par des Messerschmidt 109 et 110. L’objectif de l’opération « Paula » était alors de détruire au sol les unités de l’armée de l’Air française implantés dans la région de la capitale.

Pour le commandement français, il fallait rendre la pareille, c’est à dire bombarder Berlin! Mais avec quels appareils? Pour une telle mission, il est en effet nécessaire de disposer d’avions à long rayon d’action et capables d’emporter une quantité non négligeable de bombes. Qui plus est, les bombardiers français sont déjà à hue et à dia, subissant des pertes terribles (sur les 420 engagés entre le 10 mai et le 25 juin 1940, 370 seront mis hors de combat).

Mais, en 1939, la Marine française avait réquisitionné trois avions Farman F.223.4 destinés à la compagnie Air France, avec l’idée d’en faire des bombardiers, sous les noms de « Flammarion », « Jules Verne » et « Le Verrier ».

Cet appareil était en fait une version civile du bombardier NC-223.3 commandé par l’armée de l’Air. Ce quadrimoteur présente alors des caractéristiques très intéressantes, avec un rayon d’action important et une capacité à voler à plus de 8.000 mètres d’altitude.

Début 1940, les travaux pour transformer le NC-233.4 « Jules Verne » en bombardier commencent. On le dote de quatre moteurs Hispano-Suiza de 880 chevaux chacun, de réservoirs supplémentaires pour accroître son rayon d’action, un nez vitré avec un viseur, 8 lance-bombes et une mitrailleuse « Darne » de 7,5 mm. Puis l’avion prend la direction de Lanvéoc-Poulmic.

Quand tombe l’ordre d’aller bombarder Berlin, le commandant du « Jules Verne », le capitaine de corvette Henri Daillière, fait ajouter des réservoirs supplémentaires d’une capacité totale de 4.000 litres. Le 5 juin, le bombardier est fin prêt. Le lendemain, il s’envole pour la base de Bordeaux-Mérignac, où la longue piste permettra à l’avion de décoller avec ses 18.000 litres d’essence et ses 8 bombes de 250 kg.

La mission assignée à l’équipage du « Jules Verne » s’annonce périlleuse. Ne disposant qu’une mitrailleuse pour assurer sa défense, il ne pourra évidemment pas être escorté par des avions de chasse à cause d’une trop faible autonomie pour voler jusqu’à Berlin et en revenir… Et cela alors que, en raison de son chargement, sa vitesse dépassera péniblement les 200 km/h, ce qui en fait une proie facile pour les Me-109 allemands.

Évidemment, ce raid sur Berlin, avec un seul bombardier et 8 bombes de 250 kg ne changera pas le cours de la guerre. Aussi, la tenter est sans nul doute une question d’honneur et de panache…

Quoi qu’il en soit, le 7 juin, le « Jules Verne » s’arrache péniblement de la piste de Mérignac avec à son bord le capitaine de corvette Daillière, l’enseigne de vaisseau Comet (navigateur), le maître principal Yonnet (pilote), les maîtres Corneillet (mécanicien) et Scour (radio) et le second-maître Deschamps (mitrailleur bombardier). Ultime surprise avant de voler vers Berlin : l’appareil a embarqué 80 bombes incendiaires de 10 kg chacune… Et comme il n’a pas de soute, on imagine bien l’extrême précaution avec laquelle elles ont été placées à son bord.

Il est 15h30 quand le « Jules Verne » prend le cap de Lanvéoc-Poulmic pour ensuite survoler la Manche. L’équipage peut compter sur l’expérience de son navigateur, le LV Paul Comet ayant travaillé, avant guerre, pour Latécoère et, à ce titre, traversé plusieurs fois l’Atlantique.

Le plan de vol prévoit donc de survoler la Manche, puis la Baltique et le Danemark avant d’arriver pile sur Berlin.

Dans son livre « Comme des Lions », Dominique rapporte le témoignagne du LV Comet : « Je naviguais à vue, sans difficulté, le temps étant absolument clair. Je reconnus l’île allemande de Sylt, ce qui nous permit d’éviter la facilement sa très puissance DCA. J’avais un vent très précis, qui me permettait de calculer une vitesse/sol absolument exacte, et nous coupâmes de la Baltique au nord de Berlin, exactement à l’heure prévue. De là, il nous restait à peu près une quarantaine de minutes de vol pour arriver au-dessus de la capitale allemande. »

Et c’est alors que le « Jules Verne » va larguer ses bombes avec autant de précision possible sur des objectifs ayant un intérêt militaire (les ordres étaient formels : hors de question de bombarder des cibles civiles). Détail important : son arrivée par le nord a trompé la DCA allemande, qui l’a pris pour l’un de ses avions de retour de mission.

Le LV Comet raconte encore : « Nous exécutâmes alors les manoeuvres prévues au-dessus de la ville : plusieurs passage en désynchronisant les moteurs pour faire croire que nous étions plusieurs avions… Cela devait permettre au communiqué français du lendemain que Berlin avait été bombardé par une ‘formation de l’aéronautique navale’, de façon à faire croire aux Allemands que nous avions plusieurs appareils capables de missions de ce genre ».

Ses bombes larguées, le « Jules Verne » reprend de l’altitude et met le cap vers la France, non sans avoir échappé à la DCA allemande, alors déchaînée contre l’appareil français, et les chasseurs de nuit de la Luftwaffe, qui, sans radar, ne seront pas en mesure de le retrouver. Le retour sera sans histoire, sauf lors du survol du Rhin, franchi dans les environs de Cologne.

Après 13h40 de vol, le « Jules Verne » se pose à Orly pour refaire le plein – ses réservoirs sont à sec – et repart ensuite vers sa base de Lanvéoc-Poulmic. Les marins viennent de faire mentir les responsables nazis, qui assuraient que jamais Berlin ne serait bombardé…

Trois jours plus tard, le Jules Vernes effectuera un nouveau raid en Allemagne, contre les usines Heinkel, à Rostock. Puis il en mènera d’autres en Italie, notamment contre des raffineries d’essence.

Après l’arrêt des combats, l’escadrille B5 est dissoute et le Jules Verne restera cloué au sol, démilitarisé, à Marignane jusqu’en 1942. Cette année-là, après l’invasion de la zone libre par les troupes allemandes, et pour ne pas qu’il tombe entre de mauvaises mains, il sera incendié, conformément au souhait du capitaine de frégate Daillière, tué en mission quelques semaines plus tôt à bord d’un Glenn-Martin 167A3, en Afrique, alors qu’il faisait partie de l’armée d’armistice.

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