Verdun 1916-2016 – L’injustice faite au général Édouard de Castelnau

castelnau-20160228Après la Première Guerre Mondiale, cinq généraux furent élevés à la dignité de « Maréchal de France », dont Joseph Gallieni, Hubert Lyautey, Louis Franchet d’Espèrey, Émile Fayolle et Michel Maunoury. Pourtant, s’il n’y avait pas eu de considérations politiques, un autre général aurait pu tout aussi bien faire partie de cette liste, eu égard à ses états de service éloquents.

Né le 24 décembre 1851 à Saint-Affrique (Aveyron) et issu d’une vieille famille aristicratique, bachelier ès Sciences, Édouard de Curières de Castelnau est admis à l’École spéciale militaire de Saint-Cyr (promotion du Rhin – 1869-1870) alors qu’il n’a pas encore 20 ans.

Il ne tardera pas à connaître le baptême du feu : affecté au 31e Régiment d’Infanterie en tant que sous-lieutenant, le jeune homme prend part à la guerre franco-prussienne de 1870. Mais, en raison de la désorganisation des services de l’arrière, il est finalement versé dans l’armée de la Loire du général d’Aurelles de Paladine, précisément au 36e Régiment de marche. Il est engagé dans les combats de Tusey, Sainte-Maxime, Chambord, Gué-du-Loir et du Mans.

Les hostilités terminées, la « Commune de Paris » réprimée par les Versaillais, la carrière du lieutenant de Castelnau reprend un cours normal, si l’on peut dire. Il connaît plusieurs garnisons (Bourg, Givet, Ham, Laon) et finit par suivre les cours de l’École de Guerre en 1878. Breveté deux ans plus tard, il est affecté au 59e RI de Toulouse avant d’alterner des postes en état-major (au niveau du corps d’armée et de la division) et en régiment.

Promu chef de bataillon et fait chevalier de la Légion d’Honneur, l’officier est nommé sous-chef, puis chef du Premier bureau à l’état-major général, à Paris.

Seulement, les convictions de ce catholique fervent vont heurter la majorité politique de l’époque, dont le général Louis André, alors ministre de la Guerre, qui l’écartera de l’état-major général en l’affectant au 37e Régiment d’Infanterie de Nancy. Et cela, malgré les mérites du colonel de Castelnau, par ailleurs toujours très bien noté par ses supérieurs.

« Avant l’affaire Dreyfus, l’origine de mes subordonnés, tout comme celle de mes camarades, m’était indifférente, et aussi leurs croyances, leurs doctrines philosophiques ou le parti auquel ils pouvaient appartenir. Mais tout est changé aujourd’hui : le pacte est rompu. Je suis appelé à accomplir une œuvre déterminée ayant pour objet d’introduire dans l’armée des mœurs nouvelles, de changer sa mentalité », confiera le général André à son camarade Émile Mayer.

L’idée alors en cours est de favoriser la carrière des officiers républicains et d’écarter ceux aux convictions religieuses trop marquées. D’où l’affaire des fiches. Réalisée par des loges maçonniques à l’initiative du général André, il s’agissait d’opérer un fichage politique et religieux dans l’armée française. Le scandale eut raison du ministre de la Guerre, contraint à démissionner en 1904.

Quoi qu’il en soit, le colonel de Castelnau finit tout de même par obtenir ses étoiles de général en mars 1906, avant d’être affecté à la tête de la 24e Brigade à Sedan, puis à celle de la 7e à Soissons. Après avoir été exclu du tableau d’avancement par le général Sarrail, le directeur de l’Infanterie, il est toutefois promu général de division en décembre 1909.

Deux ans plus tard, appelée par Joffre, Édouard de Castelnau retrouve l’état-major à Paris en qualité de « premier sous-chef d’état-major général ». En 1913, il entre au Conseil supérieur de la guerre.

Vient la Grande Guerre. En août 1914, le général de Castelnau commande la IIe armée de Lorraine, appelée à jouer un rôle déterminant dans le Plan XVII, préparé un an plus tôt par l’état-major général en vue d’un conflit avec l’Allemagne. C’est ainsi qu’il remportera la bataille du Grand Couronné, en mettant en échec la VIe armée allemande commandée par le prince Rupprecht de Bavière. Cela lui vaudra d’être surnommé le « sauveur de Nancy ».

Moins d’un an plus tard, le général de Castelnau prend le commandement du Groupe d’armées du Centre. Le 25 septembre 1915, il dirige l’offensive de Champagne, qui, en quelques jours, permettra de faire 25.000 prisonniers et de s’emparer de 125 canons ennemis. En outre, les troupes françaises progressent de quelques kilomètres en territoire allemand.

Élevé à la dignité de Grand-Croix de la Légion d’honneur, le général de Castelnau devient l’adjoint du généralissime Joffre. Mais ses succès sont endeuillés par la mort, au combat, de trois de ses fils : Xavier (20 août 1914), Gérald (6 septembre 1914) et Hughes (15 septembre 1915).

« L’adversaire français vers lequel sont allées instinctivement nos sympathies, à cause de son grand talent militaire et de sa chevalerie, c’est le général de Castelnau. Et j’aimerais qu’il le sût », dira de lui son adversaire, le général allemand Von Kluck.

Début 1916, contre l’avis de tous, le général de Castelnau prend très au sérieux les renseignements faisant état d’une importante offensive allemande dans le secteur de la Meuse, précisément dans le secteur de Verdun. Le généralissime Joffre n’y croit pas : les Allemands n’auraient aucun militaire à lancer une telle attaque dans cette région.

Quoi qu’il en soit, renforcer les défenses autour de Verdun est une évidence pour le général Castelnau. Il fait alors évacuer les civils, ordonne des aménagements défensifs et surtout appelle des renforts de troupes importants. Quand le premier obus allemand tombe, ce 21 février, à 7h15, il réussir à convaincre l’état-major de la nécessité de tenir, coûte que coûte, la rive droite de la Meuse, afin d’éviter que ses crêtes ne servent de bases pour l’artillerie allemande. Puis, il impose le général Pétain pour mener la suite de la bataille. Les deux officiers partagent le même point de vue : ils ne sont pas favorables au concept d’attaque à outrance.

Reste que l’influence du général de Castelnau sur la suite de la bataille de Verdun est indéniable… Touché par la disgrâce de Joffre, le « capucin botté », comme le surnomme Clémenceau, sera envoyé en mission de liaison en Russie (janvier 1917) avant d’être nommé à la tête des armées de l’Est. Il prend part ainsi la grande offensive de la victoire en 1918.

Malgré ses états de service, le général Édouard de Castelnau n’obtiendra donc pas son bâton de « Maréchal de France ». Sa fervente foi catholique et ses idées politiques – il serait « monarchiste », dit-on de lui – auront joué contre lui. D’autant plus que, après la Grande Guerre, il se lance en politique. Élu député député de l’Aveyron en 1919 sur une liste du Bloc national, il succède à Maurice Barrès à la tête de la Ligue des Patriotes.

En 1925, à 74 ans, il fonde la Fédération nationale catholique (FNC) pour déjouer les projets anticléricaux du Cartel des Gauches. Non sans succès d’ailleurs. Dans les colonnes de l’Écho de Paris, il s’en prend vivement à la politique d’Aristide Briand, qui oeuvre à un rapprochement franco-allemand. Dans les années 1930, son influence décline. Il se tient à l’écart des mouvements extrémistes qui voient le jour à cette époque.

Après le désastre de mai-juin 1940, le général de Castelnau, retiré de la vie publique, condamne l’armistice signé par le maréchal Pétain. Comme le raconte l’avocat Régis de Castelnau, son arrière-petit fils, sur son blog, il « approuva le départ de deux de ses petits-fils et de deux de ses petits-neveux tous en âge de porter les armes, pour rejoindre les forces de la France combattante. Et pour faire bonne mesure, il entretint des rapports avec la Résistance en Haute-Garonne, cachant, à 93 ans des armes dans sa cave. »

Malheureusement, le général de Castelnau ne verra pas la Libération : il s’éteint le 19 mars 1944 au château de Lasserre à Montastruc-la-Conseillère, dans l’indifférence générale. La famille Castelnau aura payé un lourd tribut : son petit-fils, Urbain de La Croix, est tué à l’ennemi en janvier 1945, lors du passage du Rhin. Même destin tragique pour ses deux petits neveux, dans les Vosges, quelques jours plus tôt.

La promotion d’élèves de l’ESM Saint-Cyr 2011-2014 portera le nom « De Castelnau ». Mais là encore, les choix politiques du général, malgré les années, suscitèrent une polémique dont on a le secret en France, une certaine presse évoquant un « choix controversé ».

« Homme de devoir, homme de conviction, homme de culture, le général de Castelnau s’est aussi distingué par son courage. Il n’a jamais caché ses convictions et bien que freiné à plusieurs reprises dans sa carrière, il s’est hissé au sommet grâce à sa grande connaissance des questions militaires », peut-on lire sur le site des Écoles de Saint-Cyr Coëtquidan.

« Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la Loi », dit l’article 10 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen. Certains feraient bien de s’en souvenir : il ne suffit pas de se dire « républicain », mais de l’être.

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