Le groupe jihadiste Boko Haram continue de massacrer dans une relative indifférence

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Peut-on s’habituer au mal? Les philosophes ont sûrement une réponse à cette question, en s’inspirant de l’actualité. Ainsi, les exactions et les massacres commis par le groupe jihadiste nigérian Boko Haram, lié depuis mars 2015 à l’État islamique (EI ou Daesh), ne font pas la une des journaux et ne suscitent plus d’émotion, comme ce fut le cas il y a près de deux ans, lors de l’enlèvement de 200 jeunes filles à Chibok. À l’époque, plusieurs personnalités s’étaient mobilisées via les réseaux sociaux (#bringbackourgirls).

Ayant étendu son contrôle à plusieurs secteurs dans le nord-est du Nigéria (précisément dans la région du Lac Tchad), allant même jusqu’à remporter des succès militaires significatifs face à une armée nigériane débordée, Boko Haram est désormais sur la défensive, grâce notamment à une intervention tchadienne depuis le sud du Niger et l’extrême-nord du Cameroun.

Une Force d’intervention conjointe multinationale (MNJTF) a même été créée avec 8.700 soldats, fournis par le Nigeria, le Tchad, le Niger, le Cameroun et le Bénin afin lutter contre cette organisation jihadiste. Il y a quelques jours, des représentants de la communauté internationale ont promis jusqu’à 250 millions de dollars pour financer cette initiative, lors d’une réunion au siège de l’Union africaine, à Addis-Abeba. En outre, plusieurs pays occidentaux (France, États-Unis et Royaume-Uni) apportent une aide militaire, en particulier dans le domaine du renseignement.

Pour autant, Boko Haram, qui avait l’ambition de faire renaître le califat de Sokoto, établi au XIXe siècle, est encore loin d’être battu. L’an passé, il a commis les premiers attentats suicides que le Tchad a connus… Et c’est sans compter sur les autres attaques particulièrement meurtrière commises dans le nord du Nigéria et au Cameroun.

L’entrée en fonction, en mai 2015, du président Muhammadu Buhari, vainqueur de Goodluck Jonathan, accusé de s’être lavé les mains du problème, laissait entrevoir un changement politique majeur avec une détermination désormais affirmée de lutter contre Boko Haram. Seulement, depuis, 1.700 personnes ont été tuées de la main des jihadistes, soit 13 fois plus que lors des attentats de Paris et de Saint-Denis.

Depuis le début de cette année, au moins sept attaques ont été attribuées à Boko Haram, dont 4 au Cameroun (le 13/01, 13 morts à Kolofata, le 18/1, au moins 4 tués à Mayo Tsanaga, le 25/1, 25 victimes à Bodo et le 28/1 à Kerawa). Depuis 2013, le groupe terroriste est responsable de la mort de plus de 1.200 personnes (67 militaires) dans ce pays.

Et deux autres ont été commises au Tchad le 31 janvier (3 morts et 56 blessés). La veille, à Dalori, un village proche de Maiduguri, dans le nord-est du Nigeria, les jihadistes de Boko Haram ont tué 86 personnes. « Nos femmes, nos enfants ont été sauvagement assassinés; notre bétail a également été brûlé dans un grand brasier qui a englouti le village », a raconté un témoin au quotidien nigérian The Punch. Comble de l’horreur, des enfants, qui ne demandaient rien à personne, auraient été brûlés vifs. Et le moins que l’on puisse dire est que, cette fois encore, la mobilisation internationale pour dénoncer ces horreurs, a été plus que discrète.

Le lendemain, le président Buhari a réagi en affirmant que « après avoir perdu la guerre, les jihadistes sont à la recherche des voies et moyens pour causer plus de dégâts. Ils sont tellement désespérés qu’ils n’ont aucun scrupule à attaquer les communautés et marchés isolés ». C’est un peu court… car depuis 2009, dans la région de Maiduguri, Boko Haram a fait plus de 17.000 victimes. Notamment en s’attaquant à des villages sans défense.

« Depuis mon accession au pouvoir l’année dernière, nous avons réorganisé les forces armées du Nigeria. Nous les avons repositionnées pour qu’elles puissent affronter efficacement les terroristes de Boko Haram », a en outre rappelé M. Buhari, le 3 février, lors d’une intervention devant les députés européens, à Strasbourg. « D’ailleurs, tous les secteurs qui étaient naguère sous le contrôle de Boko Haram dans les Etats d’Adamawa, de Borno et de Yobe, dans le nord-est du Nigeria, sont à nouveau sous notre contrôle. Les déplacés reviennent progressivement chez eux », a-t-il assuré.

Mais, visiblement, ce n’est pas encore suffisant. Car Boko Haram se nourrit aussi des tensions sociales et éthniques (les Kanouris sont surreprésentés parmi ses combattants). En outre, la situation en Libye, où les groupes jihadistes prolifèrent, dont l’État islamique, n’est pas sans conséquence sur le Nigéria et plus généralement les pays de la région du Lac Tchad. Comme l’assurait récemment le général Pierre de Villiers, « gagner la guerre ne suffit pas à gagner la paix ».

« Le sud de la Libye, qui n’est soumis à aucune autorité, est devenu un ‘souk’ d’armes qui menace la sécurité de la région du Sahel ainsi que la région d’Afrique du nord, et au-delà », a affirmé le président Buhari lors de sa visite au Parlement européen. « Nous devons par conséquent redoubler d’efforts pour trouver une solution durable à la crise libyenne », a-t-il estimé.

À lire : « The disease is unbelief : Boko Haram’s religious and political worldview » – Alex Thurston – Brookings Institution

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