Un règlement de l’Union européenne risque de coûter cher aux armées

REACH, pour Registration, Evaluation, Authorization and Restriction of Chemicals. Cet acronyme désigne un règlement de l’Union européenne qui, adopté en 2006, vise à « assurer un niveau élevé de protection de la santé humaine et de l’environnement, ainsi qu’à renforcer la compétitivité du secteur des substances chimiques et l’innovation ».

Pour cela, le texte – 800 pages –  prévoit de remplacer plus de 40 directives et réglements en mettant en place un seul système intégré d’enregistrement, d’évaluation, d’autorisation et de restrictions des substances chimiques et de créer une agence européenne « chargée de gérer les aspects techniques, scientifiques et administratifs » de ce dispositif, en « veillant à la cohérence des décisions au niveau communautaire. »

Ce règlement concerne toutes les entreprises de l’Espace économique européen, c’est à dire l’Union européenne, la Norvège, l’Islande et le Liechtenstein, dont le domaine d’activité implique la production, l’importation et/ou l’utilisation de substances chimiques.

Or, l’application des normes REACH a un coût qui s’est révélé beaucoup plus important que prévu pour les entreprises européennes. Selon une étude de l’Union des industries chimiques (UIC) publiée en 2012, la phase intiale d’enregistement des substances chimiques a en effet coûté 2,1 milliards d’euros aux industriels… Et il restait encore, à l’époque, deux autres phases à effectuer, toute aussi longue et compliquée que la première.

Alors, en quoi ce règlement de l’UE concerne le ministère de la Défense? Tout simplement parce qu’il s’applique aux industriels de l’armement et que les forces armées consomment énormément de produits chimiques, en particulier pour les munitions et le Maintien en condition opérationnelle (MCO) de leurs équipements.

Lors d’une récente audition à l’Assemblée nationale, l’amiral Jean-Philippe Rolland, chef de la division cohérence capacitaire de l’état-major des armées, a évoqué les conséquences que peut avoir l’application du règlement REACH.

« Notre plus grande préoccupation au sujet des équipements en service est qu’une nouvelle réglementation vienne imposer, dans le cadre d’une modernisation, des adaptations coûteuses. Je pense ainsi à la norme REACH qui affecte nombre de nos missiles », a affirmé l’amiral Rolland.

Ainsi en est-il, par exemple, du missile Aster 30, qui bénéficiera prochainement d’une mise à niveau vers le standard  B1NT (Block 1 Nouvelle Technologie).

« Nous devrons tenir compte de cette norme lorsque nous changerons les composants pyrotechniques des missiles Aster, qui constituent l’essentiel de l’ossature de la défense sol-air de l’armée de l’air et de la marine. Des travaux spécifiques de développement, assez significatifs, devront être effectués afin de mettre au point des propulseurs de remplacement sans dégradation des performances intrinsèques de ces missiles très complexes – et nous aurons exactement le même problème avec les missiles anti-navires », a en effet expliqué l’amiral Rolland.

Le coût du remplacement des composants pyrotechniques des missiles Aster avoisinera la centaine de millions d’euros. Cette somme correspondra le « le développement des nouvelles solutions ». Et la production, a précisé l’amiral Rolland, pourrait atteindre le tiers de la valeur de la munition. « La prise en compte des nouvelles normes environnementales, en l’occurrence des normes REACH, représente donc un surcoût significatif », a-t-il ajouté.

Dans leur rapport sur la « filière munitions », les députés Nicolas Bays et Nicolas Dhuicq ont même estimé que l’application de la norme Reach serait un « un enjeu majeur à relever », étant donné que le « défi » sera de « parvenir à maintenir la performance des munitions tout en tenant compte de l’exclusion de certains produits chimiques entrant dans leur composition initiale. » Et d’ajouter : « Les acteurs de la filière devront d’ici trois ans tenir compte des exclusions posées par les mesures REACH et avoir trouvé une solution alternative ».

Mais la norme REACH ne concerne pas seulement les munitions : elle peut aussi avoir des conséquences sur la maintenance des équipements, comme l’ont souligné les députés Alain Marty et Marie Récalde, dans un rapport sur les conséquences du rythme des opérations extérieures sur le MCO. D’ailleurs, ils ont recommandé de veiller de près à cette question.

« La chaîne du MCO étant grande consommatrice de substances chimiques, REACH pourrait avoir un impact dans la conduite concrète des opérations de maintenance, en interdisant l’utilisation de certains produits et en obligeant les acteurs du MCO à trouver des solutions alternatives mais tout aussi efficaces en termes d’entretien, et donc potentiellement plus coûteuses », peut-on lire dans ce rapport.

Aussi, pour Mme Récalde et M. Marty, « si REACH permet une amélioration des conditions de travail des salariés par une plus grande attention portée à leur santé, il convient de s’en réjouir » mais « il faut rester attentif aux évolutions de cette réglementation européenne afin d’en anticiper toutes les conséquences et notamment les possibles coûts induits ».

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