Ceux de 14 (14) : Dix marins français partent à l’abordage d’une goélette turque

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En 1915, les engagements sur les mers changent de nature, avec le recours de plus en plus importants des sous-marins, en particulier par la marine allemande, qui voyait là un moyen de contester la puissance navale de la France et celle du Royaume-Uni, qui leur permit de mener plusieurs opérations amphibies (Bassorah en 1914, Dardanelles et Salonique en 1915)

Les U-Boots allemands chercheront aussi à briser le blocus imposé par la Royal Navy entre l’Écosse et la Norvège, ainsi que le dispositif mis en place par la Marine française pour empêcher l’accès de la Méditerranée à l’Autriche-Hongrie tout en s’attacher à perturber l’approvisionnement par voie maritime du Royaume-Uni et de la France.

L’époque des grandes batailles navales paraissait alors révolue, l’heure étant aux torpillages en plongée de navires aussi bien militaires que civils (comme le Lusitania, coulé en mai 1915). Aussi, l’exploit de l’équipage du patrouilleur arraisonneur Nord Caper, le 8 novembre 1915, aura un certain retentissement.

La présence en Méditerranée d’un premier sous-marin allemand, le U-21, avait été signalée au printemps 1915. Puis d’autres le rejoignirent pour s’attaquer principalement aux navires de commerce. Naviguant, la plupart du temps, émergés, ils plongeaient au moment de passer à l’attaque ou dès qu’ils étaient repérés. Étant donné que les moyens de détection n’existaient pas encore, ils arrivaient ainsi à s’échapper. Pour les traquer, des chalutiers – une trentaine – furent donc réquisitionnés.

C’est ainsi que le Nord-Caper, un chalutier de 46,34 mètres pour 750 tonnes, devint un « aviso auxiliaire » de la Marine et rejoignit la Méditerranée, sous les ordres du lieutenant de vaisseau Edmond Lacombe, un ancien polytechnicien ayant choisi le grand large à sa sortie d’école.

Remis à neuf, doté de deux canons (un de 66 mm sur la gaillard d’avant et un autre de 47 mm à l’arrière) ainsi que d’une TSF, le Nord-Casper commença à patrouiller avec seulement 10 marins à bord, armés de 5 fusils et de 5 revolvers.

Après une escale à Malte, le 20 octobre 1915 le Nord-Caper reçut l’ordre de rejoindre la division de chalutiers de l’Égée à Milo avec la mission de traquer les sous-marins allemands mais surtout de trouver leurs bases de ravitaillement. Deux U-Boots venaient alors d’attaquer 20 navires marchands (16 furent coulés).

Les jours suivants, le Nord-Caper partit à la pêche aux renseignements vers la Crète, où les U-Boots étaient alors soupçonnés de se ravitailler avant d’accomplir leurs basses besognes. Après avoir exploré les calanques et autres criques sans trouver le moindre dépôt de carburant, le lieutenant de vaisseau Lacombe fut tenté d’abandonner les recherches et se mettre sur une autre piste. Mais, faisant confiance à son intuition, il décida de revenir dans la région de Hierapetra… Mais par surprise.

C’est alors que, au moment d’arriver sur le chenal menant à Heierapetra qu’un des marins du Nord Caper aperçut un voilier  à un quart par bâbord. Immédiatement, le lieutenant de vaisseau Lacombe donna l’ordre de mettre le cap sur cette goélette battant pavillon turc. Sa présence dans une zone éloignée des routes maritimes habituelles et où des renseignements avaient signalés la venue de sous-marins allemands ne pouvait qu’être suspecte…

Que faire? La présence de cette goélette turque signifait-elle aussi celle d’un U-Boot dans les parages? Le Nord Caper risquait-il de se faire torpiller? Le LV Lacombe ordonna cependant de mettre à l’eau le youyou pour aller à la rencontre du voilier, avec, 4 hommes à bord.

Seulement, le pacha du Nord Caper, qui observait la manoeuvre à la jumelle, s’aperçut qu’il y avait un comité d’accueil à bord de la goélette : 40 soldats turcs, sans doute prêts à faire feu, sur le canot français, barré par l’enseigne de vaisseau Poulailler. En une fraction de seconde, il prit sa décision : le seul moyen de s’en sortir était d’aller à l’abordage du navire turc.

Le LV Lacombe donna ses instructions pour faire arriver le Nord Caper à contrebord de la goélette, sur laquelle, dans le même temps, les 4 marins partis en canot mirent le pied. L’EV Poulailler, revolver au poing, commença à discuter avec le patron du navire turc. Par chance, les 40 soldats aperçus par le LV Lacombe s’étaient… endormis.

Pour autant, un officier turc, pistolet en main, s’approcha, par derrière, de l’EV Poulailler en distribuant des coups de pieds à ses hommes tombés dans les bras de Morphée. Mais il n’eut pas le temp d’aller jusqu’au bout des intentions : un des marins français lui asséna un coup vigoureux au visage avec la crosse de son revolver. C’est ainsi que fut mis hors de combat le lieutenant Loufty-Bey.

Quelques secondes plus tard, le Nord Caper accosta la goélette et ses marins sautèrent du gaillard d’avant sur la dunette turque. L’effet de surprise fut total sur des soldats turcs mal réveillés. Mais certains d’entre eux comprirent vite la situation. Ce qui donna lieu à une furieuse empoignade, avec des Français surexcités par des semaines de vaines de patrouilles.

Au final, tous les soldats turcs – ils étaient plus de 40 – furent faits prisonniers… par seulement une petite dizaine de marins français. La prise de cette goélette aura des conséquences en Libye étant donné que les officiers ottomans qu’elle transportait devaient y préparer le soulèvement de tribus arabes contre les Italiens.

Ce coup d’éclat du Nord Caper, digne de Surcouf, lui vaudra d’être cité à l’ordre de l’armée navale, « pour la façon brillante dont ce bâtiment, qui n’avait pas dix hommes armés, a enlevé à l’abordage une goélette turque montée par quarante-trois hommes armés, dont onze officiers ».

Le destin de ce chalutier sera singulier. Après l’abordage de la goélette turque, il se dinstinguera à nouveau lors du sauvetage de 500 marins d’un cuirassé russe torpillé après avoir quitté Port-Saïd avant d’être rendu à ses propriétaires en 1919. Il sera de nouveau réquisitionné en 1940, avant de passer brièvement sous le pavillon de la Kriegsmarine sous le nom « V-1607 ». Récupéré en 1945, il sera démantelé 8 ans plus tard.

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