Ce qu’il faut retenir de l’accord sur le programme nucléaire iranien

Au terme de 12 ans de sanctions, de menaces et de discussions, le groupe 5+1 (les membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies + l’Allemagne) et l’Iran sont arrivés, le 14 juillet, à Vienne, à un accord visant à empêcher Téhéran de se doter de l’arme nucléaire tout en lui permettant de poursuive ses activités nucléaires civiles. Avancée historique pour les uns, erreur tout aussi historique pour d’autres, voici ce qu’il faut en retenir :

Le programme nucléaire iranien a-t-il une visée militaire?

En 2002, sur la base de révélations d’un dissident iranien, la communauté internationale découvre que Téhéran poursuit un programme nucléaire jusqu’alors secret, en dissimulant ses activités sur les sites de Natanz (enrichissement d’uranium) et d’Arak (réacteur à eau lourde susceptible de produire du plutonium de qualité militaire).
D’où les sanctions économiques décidées par la suite afin d’empêcher l’Iran de poursuivre dans cette voie.

Pour autant, ce programme nucléaire a continué, de même que celui visant à développer des missiles balistiques : le nombre de centrifugeuses, utilisées pour enrichir l’uranium, est passé de 160 en 2003 à près de 20.000 actuellement et, en 2009, une nouvelle installation secrète, installée sous une montagne et très bien protégée, a été découverte à Fordo.

En novembre 2011, un rapport de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) a confirmé l’aspect militaire du programme nucléaire iranien, en soulignant le rôle joué par une entité clandestine appelée AMAD (qui a plusieurs fois changé de nom), l’implication du réseau animé par le docteur A.Q Kahn, le père de la bombe pakistanaise, ou encore en affirmant que Téhéran aurait développé des détonateurs EBW (Exploding Bridgwire), composant essentiel d’une arme nucléaire et mené des expérimentations sur des charges hémisphériques, pouvant donc être adaptée sur des têtes de missiles balistiques.

Dans le même temps, le programme nucléaire iranien a été retardé par le virus informatique Stuxnet (opération américaine « Olympic Games », menée probablement en coopération avec l’unité 8200 israélienne), les assassinats de scientifiques (mis sur le compte du Mossad, le service de renseignement israélien) et de mystérieuses explosions sur des bases iraniennes. En outre, Israël – mais pas seulement – a menacé ouvertement d’avoir recours à l’option militaire pour détruire les installations nucléaires iraniennes.

L’Iran a-t-il le droit de se doter de l’arme nucléaire?

L’Iran a ratifié, en 1970, le Traité de non-prolifération nucléaire (TNP). Du coup, le pays a le droit d’enrichir de l’uranium a des fins civiles mais pas pour mettre au point une arme nucléaire. En 2003, l’AIEA a signalé que Téhéran ne respectait pas ses obligations liées au TNP.

Le travail de ses inspecteurs étant entravé, l’organisation a alors transmis le dossier au Conseil de sécurité des Nations unies, lequel a décidé des sanctions économiques contre l’Iran. Ces dernières seront renforcées au fil du temps (décembre 2006, mars 2007, mars 2008 et juin 2010). Pour la communauté internationale, il importe de régler la question par la voie diplomatique, via des négociations menées avec Téhéran par le groupe 5+1 (les 5 membres du Conseil de sécurité et l’Allemagne).

Commence alors un marathon diplomatique… Le 24 novembre 2013, à Genève, les négociateurs iraniens et ceux du groupe 5+1 finissent par s’entendre sur un accord intérimaire qui gèle certaines activités du programme nucléaire mené par Téhéran en échange de la suspension de quelques sanctions.

Dans le même temps, les discussions se poursuivent pour arriver, le 2 avril 2015, à un accord d’étape visant à encadrer les activités nucléaires iraniennes pendant au moins 10 ans, en échange de la levée des sanctions économiques. Restait alors à confirmer ces orientations en trouvant un accord définitif avant le 30 juin 2015. Ce dernier a finalement a été trouvé le 14 juillet, à Vienne.

Quel est le contenu de l’accord de Vienne?

– Le temps nécessaire à l’Iran pour produire assez de matière fissile pour une arme nucléaire (le « breakout time » a été porté à un an (au minimum) pendant au moins 10 années, contre actuellement un déla de 2 à 3 mois. Si Téhéran décide de se lancer une telle démarche, cette dernière devra être détectable immédiatement.
– Le nombre de centrifugeuses passera de 19.000 à 6.104 pour une durée de 10 ans. Seulement 5.060 – de première génération uniquement – pourront enrichir de l’uranium, à un taux ne pouvant pas dépasser 3,37% (usage civile, le combustible pour une arme nucléaire devant être enrichi à 90%). Toutefois, l’Iran pourra continuer ses activités de recherche sur des centrifugeuses plus performantes qu’il ne pourra fabriquer au bout de 8 ans.
– Le stock iranien d’uranium faiblement enrichi passera de 10.000 kg à 300 kg pour une durée de 15 ans.
– Téhéran ne construira pas de nouvelles installations d’enrichissement d’uranium pendant 15 ans.
– Le site de Fordo ne servira plus à enrichir de l’uranium pendant au moins 15 ans. Mais il restera toutefois en activité.
– Le site de Natanz sera l’unique site iranien d’enrichissement d’uranium, avec uniquement des centrifugeuses de première génération.
– Le réacteur à eau lourde d’Arak sera modifié afin de ne plus être en mesure de produire du plutonium 239 de qualité militaire. Téhéran a pris l’engagement de plus construire de d’installation similitaire pendant 15 ans
– Les contrôles seront effectués par l’AIEA , qui aura des prérogatives accrues étant donné que son champ de compétences s’étendra à l’ensemble de la filière nucléaire iranienne (de l’extraction de l’uraniuem aux activités d’enrichissement). Ses inspecteurs pourront visiter des sites militaires iraniens en cas de soupçons d’activités nucléaires illégales. L’accès aux sites militaires était une ligne rouge fixée par l’ayatollah Khamenei, le guide suprême de la République islamique d’Iran.
– Les sanctions américaines et européennes, concernant la finance, l’énergie et le transport, seront progressivement levées dès qu’il sera constaté, par l’AIEA, que l’Iran tient ses engagements. Une résolution des Nations unies devra être adoptées pour approuver l’accird trouvé à Vienne et fixer les conditions pour annuler les résolutions précédentes prises contre le programme nucléaire iranien.
– Les sanctions concernant les armes seront maintenues pendant 5 ans mais des dérogations pourront être accordées par le Conseil de sécurité. Celles concernant les missiles balistiques resteront encore en vigueur pour une durée indéterminée.

Quelles sont les réactions à cet accord?

« Cet accord n’est pas fondé sur la confiance. Il est fondé sur les vérifications », a affirmé, à la télévision, le président américain, Barack Obama. Seulement, le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, n’a pas du tout confiance dans les… vérifications. Le 2 mars, le directeur de l’AIEA, Yukiya Amano, n’a-t-il d’ailleurs pas affirmé que « l’Agence n’était pas en mesure de garantir de manière crédible l’absence de matières et activités nucléaires non déclarées en Iran »?

Devant le Congrès américain, en mars, M. Netanyahu avait déclaré : « L’Iran a prouvé à maintes reprises qu’on ne pouvait lui faire confiance et c’est pourquoi une première concession majeure serait une grande source de préoccupation; cela lui laisserait une vaste infrastructure nucléaire avec les seuls inspecteurs pour surveiller cela; cette concession crée un danger réel, celui de voir l’Iran se doter de la bombe en violant l’accord ».

Aussi, pour Israël, l’accord de Vienne, salué par l’ensemble des capitales occidentales – ou presque -, est une « erreur historique ». « L’Iran va recevoir des centaines de milliards de dollars qui vont lui permettre de faire fonctionner sa machine de terreur, son agression et son expansion au Moyen-Orient et dans le monde entier, a ainsi estimé M. Netanyahu. « Nous nous sommes engagés à empêcher l’Iran de se doter des armes nucléaires et cet engagement est toujours d’actualité », a-t-il prévenu.

Quant aux monarchies sunnites du golfe arabo-persique, qui s’inquiétent de voir progresser le « croissant chiite », trois d’entre-elles (Arabie Saoudite, Émirats arabes unis et Koweït) ont accueilli cet accord avec un optimisme disons… modéré, en affirmant espérer qu’il permettra à l’Iran « de mettre ses ressources au service de son développement et de l’amélioration des conditions du peuple iranien au lieu de provoquer des troubles qui susciteraient des réactions déterminées des pays de la région ».

Pour savoir ce que pensent les dirigeants arabes de la région, il faut se souvenir de ce qu’ils disaient de l’Iran en 2010. « En se basant sur 30 années d’expérience avec les Iraniens, l’émir conclut la réunion en disant qu’il ne faut croire qu’un mot sur cent qu’ils prononcent », pouvait-on lire dans un câble diplomatique américain rendu public par WikiLeaks et concernant les propos tenus par Cheikh Hamad ben Khalifa Al Thani, l’ex-émir du Qatar. « On ne peut pas faire confiance aux Iraniens », estimait le feu roi d’Arabie Saoudite, Abdallah bin Abdelaziz, en mars 2009, devant le conseiller de la Maison Blanche pour les affaires de contre-terrorisme.

Enfin, aux États-Unis, la majorité républicaine au Congrès (et sans doute quelques élus démocrates) a annoncé la couleur : l’accord de Vienne n’est pas acceptable et elle s’emploiera à tout faire pour le bloquer, en refusant de levée des sanctions américaines contre l’Iran alors que c’est une des contreparties à l’engagement pris par Téhéran.

« Cet accord donnera à l’Iran des milliards en allégement de sanctions tout en lui donnant le temps et l’espace pour atteindre le seuil de capacité de production d’une bombe nucléaire, sans tricher », a affirmé John Boehner le président de la Chambre des représentant. « Au lieu d’arrêter la propagation des armes nucléaires au Moyen-Orient, cet accord va probablement lancer une course aux armes nucléaires dans le monde », a-t-il ajouté. « Cette étape est la plus dangereuse et irresponsable que j’ai jamais vue dans l’histoire du Moyen-Orient », a commenté le sénateur républicain Lindsey Graham. Faut dire que l’accord conclu en 1994 par Bill Clinton avec la Corée du Nord au sujet de son programme nucléaire en a échaudé plus d’un…

Quelles conséquences peut-on attendre de l’accord de Vienne?

En premier lieu, la levée des sanctions donnera une grosse bouffée d’oxygène à l’économie iranienne. Ainsi, la fin du gel de ses avoirs à l’étranger lui permettra de récupérer environ 135 milliards d’euros. Ensuite, Téhéran pourra compter sur l’exportation de son pétrole, ce qui pourrait provoquer des tensions au sein de l’OPEP. En outre, les entreprises occidentales sont déjà à l’affût, notamment celles des secteurs de la finance, de l’énergie et des transports.

Sur le plan de la politique internationale, l’Iran pourrait devenir fréquentable pour régler certaines crises régionales, à commencer par celle impliquant l’État islamique (EI ou Daesh). « Maintenant que l’Iran va avoir des capacités plus grandes sur le plan financier puisqu’il n’y aura plus de sanctions, nous devons être extrêmement vigilants sur ce que va être l’Iran. L’Iran doit montrer (…) sur la Syrie que ce pays est prêt à nous aider à en finir avec ce conflit », a ainsi commenté le président Hollande, lors de l’entretien accordé traditionnellement à l’occasion du 14-Juillet.

« La France, si elle veut assurer la paix, doit parler avec tous mais avec les principes qui valent pour tous. Pour l’Iran, tant qu’il y avait cette menace nucléaire ce n’était pas possible. D’ailleurs l’Iran était sanctionné sur le plan international; quand l’Iran soutient en plus un certain nombre de groupes armés qui déstabilisent les pays, ce n’est pas acceptable », a encore ajouté M. Hollande, en faisant une allusion au Hezbollah, la milice chiite libanaise.

Autre conséquence, l’accord de Vienne posera la question de l’avenir du bouclier antimissile de l’Otan, mis en place pour contrer une éventuelle menace iranienne. Du moins, c’est ce qu’a toujours expliqué l’Alliance pour rassurer la Russie qui voit dans cette défense antimissile une menace.

Le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, n’a d’ailleurs pas tardé à envoyer ses premiers « Scud » contre ce bouclier antimissile alors que l’encre de l’accord de Vienne n’était pas encore sèche. « Je souhaitais aussi faire remarquer dans un contexte plus large: souvenons-nous tous, qu’en avril 2009, le président Obama a dit, en intervenant à Prague, que si on arrivait à régler la question du nucléaire iranien, le système de défense antimissile ne sera plus d’actualité. C’est pourquoi nous avons attiré l’attention de nos partenaires américains sur ce fait. Nous allons attendre leur réponse », s’est-il plu à rappeler devant les journalistes.

Dans le fond, l’accord de Vienne empêchera-t-il l’Iran de se doter de l’arme nucléaire?

Pour répondre à cette question, il faut attendre de voir comment l’accord sera appliqué. Cependant, les engagements pris par Téhéran devraient l’empêcher de se doter d’une arme nucléaire pendant les 15 prochaines années. Mais, comme l’a souligné le Premier ministre israélien, passé cette période, l’Iran disposera des infrastructures qui lui permettront de relancer, si ses dirigeants le décident, son programme nucléaire militaire. En outre, ce dernier pourrait se poursuivre en secret. Le tout serait, pour les Iraniens, de ne pas se faire prendre.

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