Surprise : La NSA a installé une station d’écoutes à Paris pour s’en servir!

« Toute la République française est sur écoute depuis dix ans », s’exclame Edwy Plenel, le patron du site Médiapart, qui vient de publier, en même temps que le quotidien Libération, des notes diffusées par WikiLeaks émanant des services de renseignement américains. Ces derniers ont ainsi « écouté » les conversations de trois présidents de la République (Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy et François Hollande) ainsi que celles de plusieurs hauts responsables français.

Suite à cela, un conseil de Défense a été convoqué, ce 24 juin, à l’Elysée. Et l’on a droit à la convocation des grands principes et aux réactions courroucées des uns et des autres, avec une mention spéciale au sénateur centriste Yves Pozzo di Borgo, lequel a appelé à détruire la station d’écoutes installée par la NSA [National Security Agency] sur le toit de l’ambassade des États-Unis, sise au 2 avenue Gabriel, dans le 8e arrondissement de Paris. Ce qui reviendrait à attaquer le sol américain. D’autres idées du même acabit à proposer?

Seulement, la présence d’une station d’écoutes de la NSA (plus précisément du Special Collection Service) à deux pas de l’Elysée est connue depuis au moins 10 ans. En clair, l’on a l’impression que journalistes et politiques viennent de découvrir l’eau chaude.

D’autant plus que les histoires d’espionnage entre alliés (ou amis si l’on est sentimental) ne datent pas d’aujourd’hui. Ainsi, dans les années 1950, les États-Unis suivirent de très près le programme nucléaire français, en y « mettant le paquet », avec des avions espions U2, des navires, des agents infiltrés et des écoutes. Ces pratiques ont été révélées en 2006, avec la déclassification de documents diffusés par le National Security Archive, affilié à l’Université George Washington.

Dans les années 1965, les services américains introduisirent une « taupe » au Quai d’Orsay, grâce à laquelle ils apprirent, bien avant tout le monde, la décision du général de Gaulle de faire quitter le commandement militaire intégré de l’Otan.

En 1994, et l’anecdote a été maintes fois rapportée, la NSA intercepta une conversation d’Édouard Balladur, alors Premier ministre, avec un chef d’entreprise en piste pour décrocher un contrat au Moyen-Orient… Contrat finalement attribué à un groupe américain.

Un an plus tard, le contre-espionnage français mit en cause 7 diplomates américains travaillant en réalité pour la CIA. « Une longue et minutieuse enquête de la DST a permis d’établir des actes d’ingérence d’un service de renseignement américain par l’intermédiaire d’un haut fonctionnaire français. J’en ai informé l’ambassadeur des Etats-Unis à Paris à qui j’ai fait savoir de la manière la plus ferme que ces agissements ne pouvaient être tolérés et que leurs auteurs ne sauraient demeurer sur le territoire français », avait alors expliqué Charles Pasqua, ministre de l’Intérieur, dans un courrier adressé au président Miterrand.

« De tels faits arrivent régulièrement d’un côté et de l’autre de l’Atlantique. Le peuple américain est l’ami du peuple français et le gouvernement français est aussi l’ami du gouvernement américain », avait relativisé M. Balladur.

Car de son côté, la France ne se prive pas non plus d’en faire autant. « Depuis des années, les services français s’introduisent clandestinement dans les chambres d’hôtel d’hommes d’affaires américains et subrepticement téléchargent le contenu de leurs ordinateurs », raconta, en mai 2014, Robert Gates, ancien secrétaire américain à la Défense et ex-directeur de la CIA.

L’espionnage entre « alliés » est donc monnaie courante. Comme le montre, encore une fois, les écoutes israéliennes lors des négociations portant sur le nucléaire iranien. Ces dernières ont été découvertes par les services américains… en interceptant les communications de responsables israéliens…

« Le renseignement est un métier de prédateur (…) Oui, le renseignement est un métier de prédateur : avoir le secret le premier, agir le premier, manipuler, mentir, faire pression, écouter aux portes, recueillir le plus de fragments pour les assembler et comprendre », explique le blogueur « Abou Djaffar »,  fin connaisseur du fonctionnement des services de renseignement.

« Ne soyons pas naïfs, tout le monde espionne tout le monde. Et, soyons réalistes et honnêtes, tous les pays font de l’espionnage tout en le condamnant. Si la guerre froide est terminée, ce n’est pas pour autant que nous sommes entrés dans un monde de parfait apaisement. Hier, l’espionnage militaire et politique contre l’URSS prévalait. Aujourd’hui, il est devenu essentiellement économique et politique, avec de nombreux acteurs à surveiller. Et la France, par direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) interposée, participe à ce concert », soulignait Jacques Villain, historien de la Conquête spatiale et de la dissuasion nucléaire, dans la rubrique « Idées » du quotidien Le Monde, en octobre 2013.

Alors, dans ces conditions, quand on sait qu’une station d’écoutes a été installée sur le toit de l’ambassade des États-Unis à Paris, on se doute que ce n’est pas pour faire joli (et au passage, Russes et Chinois en font tout autant), mieux vaut partir du principe que l’on risque d’être écouté et prendre les mesures qui s’imposent (brouillage, chiffrement, etc…).

Finalement, dans le concert des réactions outragées qui ne cessent d’affluer depuis les pseudo-révélations sur l’espionnage américain, François Bayrou, le président du Mouvement démocrate (MoDem), a sans doute exprimé l’une des positions les plus mesurées.

« Qui a pensé que les présidents français ou que les responsables publics n’étaient pas écoutés? La NSA et sans doute d’autres réseaux de renseignements ont en effet les moyens technologiques aujourd’hui d’entrer dans les réseaux téléphoniques, internet, et donc savoir à peu près ce qui se pense et ce qui se dit. C’est grave, mais ce n’est pas surprenant », a-t-il résumé.

Citons encore l’ancien ministre de la Défense, Gérard Longuet (Les Républicains) : « La vraie question, c’est l’image qu’ont les États-Unis de leurs partenaires. Le fait qu’ils prennent le risque de casser l’image des États-Unis pour des avantages somme toute assez modestes est une faute politique. C’est inquiétant sur la capacité d’une très grande puissance comme les États-Unis à gérer des relations équilibrées avec des partenaires. En fond, cela va affaiblir leurs alliances à eux et non pas les pays écoutés. »

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