Ceux de 14 (8) : Le commandant de Goÿs dirige un raid audacieux contre l’industrie chimique allemande

goys-20150531Avril 1915. À Ypres, en Belgique, les troupes allemandes utilisent du chlore pour lancer une attaque massive contre les lignes alliées : 1.500 tués. Détruire l’industrie chimique d’outre-Rhin devint alors une priorité.

Quelques mois plus tôt, le commandant Louis de Goÿs de Mézeyrac est chargé de mettre sur pied le Groupe de Bombardement n°1 (GB 1), une unité composée de 3 escadrilles, chacune dotée de 6 avions Voisin III.

L’idée d’utiliser des « aéroplanes » pour lancer des projectiles au-dessus des positions ennemies n’est alors pas une nouveauté : le premier bombardement aérien de l’histoire a en effet fut effectué en novembre 1911 par l’aviateur italien Giulio Gavotti, lors de la guerre italo-turque, en Tripolitaine (Libye). En août 1914, le lieutenant Cesari et le caporal Prudhommeau, partis de Verdun, bombardèrent un hangar à dirigables à Frescaty, près de Metz.

Mais la mise en place du GB 1 répond à la décision d’établir l’aviation de « bombardement » en tant que spécialité à part entière, avec l’élaboration d’une doctrine d’emploi qui lui sera propre. Il n’est plus question de bombarder des positions ennemies par opportunité mais de « monter » des dossiers d’objectifs à traiter, lesquels sont les voies de communication, les casernes, les dépôts d’approvisionnement ou bien encore les usines.

Et il n’est plus question d’actions individuelles ou isolées. Car pour infliger de lourds dégâts à l’adversaire, il faut privilégier l’action de groupe. C’est ainsi que les Voisins décollent à intervalles rapprochés pour ensuite un point de ralliement à partir duquel ils partiront accomplir la mission qui leur a été fixée.

En mai 1915, la tâche qui est donnée au commandant de Goÿs est de détruire l’usine Badische Aniline Fabrik de Ludwigshafent (BASF) de Ludwigshafen-Oppau, qui a produit les gaz de combat utilisés à Ypres. Et ce n’est pas une mince affaire : il faudra aux aviateurs français franchir 400 km au-delà des lignes adverses.

Pour préparer cette mission, le commandant de Goÿs fait modifier les avions Voisin type LA et entraîner leurs équipages (1 pilote et 1 observateur) à voler pendant de longues durées. Et le tout dans le secret le plus total.

Ces préparatifs terminés, les 18 appareils du GB 1 décollent du plateau de Malzéville à 3 heures en emportant, au total, 83 obus empennés de 90 mm et 4 autres de 155 mm. La formation évolue à une altitude comprise entre 1.400 et 2.000 d’altitude jusqu’à leur arrivée sur leurs objectifs, trois heures plus tard.

Tour à tour, chaque observateur des Voisins LA lâchent à la main les projectiles sur leurs cibles qu sont donc l’usine BASF de Ludwigshafen et une autre, en construction, à Oppau. Et ils font mouche. L’adjudant Bernard, raconte, dans l’illustré « La Guerre aérienne » :

« Des usines que nous avons quittées dix minutes avant s’élèvent des colonnes de fumée de toutes les couleurs. On ne peut concevoir la beauté tragique d’un tel spectacle ».

Au retour, l’avion des lieutenants Nardin et de Boisdeffre est atteint par des éclats au moment de passer la ligne ennemie. Et celui du commandant de Goÿs (observateur) et de l’adjudant Bunau-Varilla, victime d’une panne, est contraint de se poser en territoire hostile. Les deux aviateurs seront faits prisonniers.

Orphelin de père depuis le plus jeune âge, Louis Marie Joseph de Goÿs de Mézeyrac intégre l’École spéciale militaire de Saint-Cyr à 19 ans grâce à une bourse octroyée par le Conseil municipal de Vias. Sorti lieutenant en 1897 et affecté au 153° RI de Toul, il s’intéresse alors à l’aviation au sein de laquelle il réussit à se faire affecter en 1911. Celui que l’on surnommera le « père du bombardement » pour le rôle qu’il a joué dans la constitution du GB1.

Détenu à Marienburg après avoir être pris à l’issue du raid sur Ludwigshafen-Oppau, le commandant de Goÿs tentera de s’évader à 7 reprises. La 8e sera la bonne : en novembre 1917, il parvient en effet à fausser compagnie à ses géôliers et à rejoindre les Pays-Bas. De retour en France, il reprend immédiatement du service à la tête du GB4, doté du nouveau Bréguet 14.

Après l’armistice, de Goÿs est promu au grade de lieutenant-colonel. Il sera affecté en Turquie pour y vendre du matériel français, puis en Roumanie, en qualité d’attaché militaire. Au cours des années 1920, il prend part à un raid au-dessus du Sahara, avec l’objectif d’ouvrir de nouvelles lignes aériennes et promouvoir l’aviation. Nommé général en 1926, il occupera différents postes au ministère de l’Air, puis prendra le commandement de la 2e Division aérienne de Paris. En 1933, il est chargé de l’inspection de l’Aviation de Défense, écoles et de la direction du centre d’études de ce qui deviendra l’armée de l’Air.

Mis à la retraite en 1937, le général de Goÿs fera encore parler de lui au cours de l’Occupation, en participant activement à un réseau de la Résistance. Doyen des généraux de l’armée de l’Air, il décède en 1967, à l’âge de 91 ans.

Le résultat du bombardement de l’usine BASF qu’il mena le 27 mai 1915 « aurait pu être encourageant », écrit le Centre d’études stratégiques aérospatiales (CESA) dans l’une de ses chroniques hebdomadaires [.pdf]. « Mais, poursuit-il, à partir de l’été 1915, les pertes subies face aux chasseurs et aux défenses anti-aériennes inquiètent le haut-commandement qui renonce au projet de créer une escadre forte de 50 appareils destinée à constituer la clé de voûte du bombardement stratégique. (…) L’aviation française de bombardement entre dès lors dans une longue période d’éclipse dont elle ne sortira que vers la fin de 1917, lorsque le colonel Duval, chef du Service aéronautique aux armées, en fera le fer de lance de sa future Division aérienne ».

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