Budget de la Défense : Le débat sur les sociétés de projet en 9 points

La trajectoire financière fixée par Loi de programmation militaire 2014-2019 présente le défaut majeur de s’appuyer sur 6,1 milliards d’euros recettes exceptionnelles (REX), par essence incertaines. Et comme cela ne suffisait pas, 1,5 milliards d’euros ont été ajoutés pour compenser les économies demandées au ministère de la Défense.

Pour cette année, et comme l’on pouvait le craindre, les 2,2 milliards d’euros attendus de la vente aux enchères de fréquences de la bande des 700 MHZ (utilisées pour la Télévision numérique terrestre) ne seront pas au rendez-vous pour porter le montant du budget de la Défense à 31,4 millards.

1- Que se passera-t-il si le ministère de la Défense n’obtient pas ses recettes exceptionnelles avant l’été?

L’attribution finale des fréquences étant prévues en décembre 2015 par l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP), le ministère de la Défense ne pourra pas disposer des 2,2 milliards de REX dans les temps. Déjà aux prises avec un report de charges élevé, la Direction générale de l’armement (DGA), en charge de la gestion du programme 146 (Équipement des forces), ne pourra plus honorer ses factures dès le mois de septembre, voire à la fin août. Ce qui mettra en difficulté les fournisseurs qui n’ont pas de trésorerie suffisante pour faire face à cette situation.

2- Le retard de la cession des fréquences était-il prévisible?

En tout état de cause, compter sur la vente aux enchères des fréquences 700 MHZ en 2015 était très optimiste. En juillet 2014, le sénateur Jacques Gautier avait évoqué des documents selon lesquels la réattribution de ces fréquences ne pouvait pas avoir lieu avant 2017, voire même 2019, d’après une note datée du 13 juin 2013 émise par le ministère de la Culture et de la Communication.

« Les documents que nous avons recueillis (ndlr, lors du contrôle sur pièces effectué à Bercy le 17 juin 2014) font apparaître que la direction du budget était informée et consciente de ces estimations de calendrier dès le premier trimestre 2013 », avait même affirmé M. Gautier.

En outre, rien ne garantit que la vente de ces fréquences soit à la hauteur du montant espéré étant donné la conjoncture actuelle et la situation financière du secteur français des télécommunications. Vendre trop vite pourrait même faire perdre de l’argent à l’État

3- Une alternative : les sociétés de projet

Pour le ministère de la Défense, la solution pour remédier à l’absence des REX prévues repose sur les sociétés de projet, dont le principe a été précisé à l’occasion de la présentation du projet de loi de finances 2015.

Grâce à la cession de biens de l’État, il est question de créer deux sociétés de projets qui rachèteront 3 frégates multimissions (FREMM) pour 1,68 milliards et 4 avions A400M pour 560 millions aux armées pour les leur louer dans la foulée.

4- Les sociétés de projet sont-elles une solution provisoire?

À vrai dire, on l’ignore. Lors de son passage devant la commission spéciale mise en place pour examiner le projet de loi sur l’activité et la croissance (loi Macron), le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, a assuré que, « lors de la vente des fréquences, ces sociétés seront supprimées, l’une après l’autre ».

Mais, au cours de la même intervention, M. Le Drian a indiqué que ces sociétés de projet pourraient également faciliter les ventes françaises d’équipements militaires à l’étranger. « Je n’exclus pas que ce dispositif perdure d’une autre manière afin d’aider nos exportations. À deux ou trois reprises, j’ai en effet été contacté par des pays, y compris européens, qui souhaitaient louer du matériel français. Comme nous n’avions pas de solution à leur proposer, ces pays se sont adressés à nos concurrents », a-t-il dit.

Enfin, le 11 mars dernier, le ministre avait évoqué l’avenir de ces structures. « Le schéma pour les années suivantes sera nettement plus élaboré et intègrera du service et des capitaux privés, nous y travaillerons mais ce sera un deuxième temps », avait-il dit.

5- Des sociétés de projet avec des capitaux publics ET privés?

Comme on l’a vu, M. Le Drian a parlé de « schéma plus élaboré » avec un appel aux capitaux privés. Mais, pour le moment, on n’en est pas encore là. Car pour Laurent Collet-Billon, le Délégué général à l’armement (DGA), convoqué le 1er avril par la commission des Finances de l’Assemblée nationale, cette option « n’est pas d’actualité » tout simplement parce que les industriels de l’armement, à l’exception de DCNS, n’ont pas l’intention d’y participer.

6- Pourquoi le ministère des Finances est réticent face à ces sociétés de projet?

Pour le secrétaire d’État au Budget, Christian Eckert, le montage des sociétés de projet est « consolidant » pour le déficit et la dette au sens « maastrichien ». Le ministre des Finances, Michel Sapin, a dit travailler sur d’autres solutions, ce qui alimente la rumeur sur l’existence d’un plan B dont M. Le Drian ne veut pas entendre parler.

En outre, le président Hollande a validé, en Conseil de défense, le principe des sociétés de projet. Et le gouvernement a ajouté un amendement au projet de loi Macron pour permettre leur création. « Comment, alors, le ministre des finances peut-il s’autoriser à ne pas respecter cet arbitrage, en cherchant d’autres solutions? », a demandé Jean-Pierre Raffarin, lors d’une réunion de la commission sénatoriale des Affaires étrangères et de la Défense qu’il préside.

S’agissant des arguments opposés par Bercy, le ministre de la Défense a admis que « ces dépenses auront un impact sur le déficit public maastrichtien au moment de la livraison de ces matériels militaires » mais qu’il « sera donc étalé dans le temps et ne sera que temporaire puisqu’il sera effacé lors de la vente des fréquences hertziennes ». Et d’ajouter : « ce schéma est largement neutre pour la dette publique puisqu’il est financé par des cessions d’actifs même si on ne peut exclure que ces sociétés aient, pour une petite part, recours à l’emprunt ».

7- Les sociétés de projet seront-elles finalement coûteuses pour le contribuable?

Lors de son passage devant la commission des Finances de l’Assemblée, le DGA a été forcé d’admettre que les sociétés de projet auront un surcoût, lié à la rémunération du capital, c’est à dire aux loyers payés par les armées. Et plus ce dispositif  « s’inscrira dans la durée, plus il coûtera cher et plus le coût de récupération des matériels sera élevé », a-t-il dit aux députés.

8- Qu’en pensent les états-majors?

Que ce soit pour les états-majors et la Direction générale de l’armement, le moyen d’obtenir les fonds prévus par la LPM importe peu. Ce qui compte pour eux, c’est de disposer des 31,4 milliards d’euros inscrits au budget 2015.

9- Existe-t-il des alternatives aux sociétés de projet?

Du point de vue du ministère des Finances, et d’après ce que l’on peut comprendre des déclarations de MM. Eckert et Sapin, le ministère de la Défense pourrait attendre que la cession des fréquences ait lieu sans avoir recours aux sociétés de projet, notamment grâce à la baisse du prix du pétrole et à une inflation moindre que prévu. Seulement, privé des 2,1 milliards, le principe de la « sanctuarisation » du budget des armées ne serait plus respecté et sa valeur nominale serait la même que celle du fameux « scénario Z » qui avait circulé en 2013, avant la publication du Livre blanc sur la Défense et la sécurité nationale.

Pour le ministre de la Défense, il n’y a pas de plan B susceptible d’être une alternative à la solution des sociétés de projet. Selon M. Le Drian, la LOLF (Loi organique relative aux lois de finances) n’autorise pas l’État a vendre des biens pour financer des dépenses.

Ce que conteste Gilles Carrez, président de la commission des Finances à l’Assemblée. Selon ce dernier, l’article 21 de la LOLF indique en effet que « sauf dérogation expresse prévue par une loi de finances, aucun versement au profit du budget général, d’un budget annexe ou d’un compte spécial ne peut être effectué à partir d’un compte d’affectation spéciale. Tout est dans « sauf dérogation expresse prévue par une loi de finances ».

Ce point a été abordé par le sénateur Jacques Gautier. « L’article 21 (paragraphe II) de la LOLF, à titre de dérogation au principe qui est certes l’interdiction, autorise cette affectation directe de produits de cession de participations financières au budget général, par exemple la mission ‘Défense’, au moyen d’une disposition expresse en loi de finances, initiale ou rectificative », a-t-il affirmé. Mais, a priori, ça coince du côté des Finances. « Nous avons demandé au ministre des Finances la raison pour laquelle il ne suivait pas cette voie ; nous n’avons pas eu de réponse », a-t-il dit lors de la présentation du contrôle « sur place et sur pièces » effectué le 12 mars à Bercy.

Enfin, une autre solution prônée par le député Jean-François Lamour serait de revoir le statut de la DGA pour rendre cette dernière éligible aux crédits du Programme des investissements d’avenir (PIA).

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