Le président de la commission européenne veut une armée pour l’UE

Sur le papier, si on additionne les dépenses de ses pays membres en matière de défense, l’Union européenne (UE) serait la seconde puissance militaire mondiale, avec un budget global de plus de 185 milliards d’euros.

De quoi faire dire à certains qu’il faudrait créer une armée européenne, comme l’a fait le président de la Commission de Bruxelles, Jean-Claude Juncker, dans un entretien publié le 8 mars par le journal allemand Welt am Sonntag. Cette idée a été reprise au vol par plusieurs responsables d’outre-Rhin.

Ainsi, le ministre allemand de la Défense, Mme Ursula von der Leyen, a réagi en affirmant que « notre avenir, en tant qu’Européens, passera un jour par une armée européenne ». En février, elle avait affirmé que « ses petits-enfants connaîtraient des États-Unis d’Europe, avec leur propre armée ». Pour le chrétien-démocrate Norbert Roettgen, le président du Comité des affaires étrangères du Bundestag, « l’idée d’une armée de l’UE était une vision européenne dont le temps est venu« . Et la tonalité est la même du côté du SPD, le parti social-démocrate.

Qu’a proposé M. Juncker? Estimant que l’Otan ne suffisait pas dans la mesure où tous ses États membres n’en font pas partie, le président de la Commission de Bruxelles a estimé que l’Union européenne a « besoin d’une armée » afin de lui « permettre aussi bien de faire face aux nouvelles menaces à ses frontières que de défendre ses valeurs ».

« Une armée commune européenne montrerait au monde qu’il n’y aura plus jamais de guerre entre les pays de l’UE », a plaidé M. Juncker dans les colonnes du journal allemand. Sauf que ce n’est pas la garantie absolue si l’on pense au conflit qui a déchiré l’ex-Yougoslavie dans les années 1990. « Une telle armée aiderait également l’UE à formuler des politiques étrangères et de sécurité et à assumer plus de responsabilités dans le monde », a-t-il poursuivi.

« Munie de sa propre armée, l’Europe pourrait réagir avec plus de crédibilité à toute menace visant la paix dans un État membre ou un pays voisin », a encore continué M. Juncker. Et d’ajouter :  » Il ne s’agit pas de créer une armée européenne pour la déployer tout de suite, mais cela permettrait d’envoyer un message clair à la Russie : nous sommes prêts à défendre nos valeurs européennes ». Un autre argument consiste à dire que cette force commune permettrait de rationaliser les dépenses militaires au sein de l’Union.

L’idée avancée par M. Juncker n’est pas nouvelle : dans les années 1950, il était question d’une « Communauté européenne de défense », dotée d’institutions supranationales, placées sous la supervision de l’Otan. Dans ses mémoires, le gaulliste Michel Debré, écrivit, à son sujet : « Le traité est illisible et si riche d’arrières-pensées qu’il faut se prendre la tête à deux mains pour saisir le sens de certaines phrases ». Finalement, elle vit jamais le jour.

Le projet d’armée européenne est donc un vieux serpent de mer. Et, en l’état actuel des choses, il n’est pas envisageable. Il faudrait orienter la construction européenne vers plus de fédéralisme. Or, composée de pays indépendants depuis toujours (ou presque) l’Europe n’est pas les États-Unis, où tout était à construire. Les forces armées eurpéennes ont chacune leur histoire et leurs traditions, difficilement solubles dans un grand tout dans lequel on parlerait le « volapuk intégré » pour reprendre un bon mot du général de Gaulle. Et l’on ne parle pas de leurs équipements, différents d’un État à l’autre.

Qui plus est, additionner les capacités militaires des uns et des autres ne fait pas pour autant une cohérence. Que feraient la France et le Royaume-Uni avec leur force de frappe alors que d’autres pays, comme l’Allemagne, sont réticents vis-à-vis du nucléaire? En outre, il faudrait aussi une convergence économique entre tous les pays membres afin que tous les soldats de cette armée européenne aient le même traitement. Avec la Pologne, le Royaume-Uni et la Suède qui ne font pas partie de l’euro, des niveaux de vie différents, comment harmoniser tout cela?

Parler d’armée européenne, c’est un peu comme envoyer le ballon en touche quand on est pressé par un attaquant adverse au football… C’est la formule magique pour faire penser que l’on est pas « sec » sur les questions de défense. Ou c’est être idéaliste. Or « un idéaliste, disait l’essayiste américain Henry Louis Mencken, est quelqu’un qui, remarquant qu’une rose sent meilleur qu’un chou, conclut qu’elle fera une meilleure soupe ».

Car pour certains pays, une armée européenne n’a aucun sens étant donné que l’Alliance atlantique existe. C’est le point de vue notamment défendu par le Royaume-Uni, et cela, quel que soit le sentiment à l’égard de l’UE du gouvernement en place. D’où la raison pour laquelle Londres s’oppose à un état-major européen qui ferait doublon avec celui de l’Otan.

En outre, il faudrait harmoniser les régles d’engagement des différentes armées au niveau européen. Chose qui n’a pas encore été entreprise jusqu’à présent. Et puis M. Juncker semble avoir oublié que l’UE compte déjà des Battle Groups (groupements tactiques)… qui n’ont jamais été engagés. Et que dire des difficultés incroyables pour envoyer une force européenne en Centrafrique, l’an passé! Il a fallu demander un appui à la Géorgie, qui ne fait partie ni de l’Union ni de l’Otan, pour qu’elle puisse voir enfin le jour!

Enfin, est-il besoin d’une armée européenne pour intervenir dans un pays de l’UE qui serait menacé alors que l’article 42 (paragraphe 7) du Traité de Lisbonne stipule que « Etats membres de l’UE doivent assistance à l’un d’eux s’il est attaqué, conformément à l’article 51 de la Charte des Nations unies? »

En revanche, il serait sans doute plus judicieux de mettre un terme à la baisse continue de l’effort de défense de la plupart des États membres et de favoriser les coopérations quand cela est possible. La crédibilité se joue aussi (et surtout) à ce niveau. Au lieu d’une « armée européenne commune », M. Juncker aurait pu proposer de sortir une partie des dépenses militaires du calcul des 3% de déficit. C’est ce que demande d’ailleurs la France.

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