La privatisation de Nexter en vue de son rapprochement avec KMW votée par les députés

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Le projet de loi sur la croissance et l’activité, porté par le ministre de l’Économie, Emmanuel Macron, est un fourre-tout : le travail dominical côtoie la dérèglementation de certaines professions ou encore la simplification du permis de conduire. Qui plus est, ce texte comporte des dispositions qui intéressent la défense, dont le rapprochement du groupe d’armement terrestre Nexter avec son concurrent allemand Krauss Maffei Wegmann (KMW)

Ainsi, l’article 47 du projet de loi vise à autoriser « le transfert au secteur privé de la majorité du capital de la société Groupement industriel des armements terrestres (GIAT) et de ses filiales ».

Actuellement, l’État est actionnaire à 100% de Nexter Systems SA via Giat industries. Pour que ce rapprochement, appelé projet KANT et annoncé en juillet 2014, soit possible, il doit baisser sa participation de 50% afin d’être à parité avec la famille Bode-Wegman, propriétaire de KMW, au sein d’une holding, provisoirement appelée NewCo, dont le siège social sera installé, comme celui d’Airbus, aux Pays-Bas pour des raisons de neutralité fiscale. En outre, il conservera une action spécifique devant lui permettre de garantir les intérêts stratégiques de la France.

Cette opération donnera lieu à la création d’un groupe fort de 6.000 salariés, avec un chiffre d’affaires de 1,6 milliard d’euros, ce qui en ferait le premier sur la scène européenne et le 3e au niveau mondial.

Cet article, qui privatise partiellement Nexter, a été adopté le 9 février par les députés, à l’issue d’un débat, parfois passionné à défaut d’être passionnant. Il avait aussi été discuté en commission spéciale trois semaines plus tôt.

Trois points de vue ont été exprimés au sujet de ce rapprochement. Il y a sont qui y sont totalement favorables, d’autres qui le sont aussi mais avec quelques réserves, notamment au sujet de la politique restritive de Berlin en matière de ventes d’armes et ceux qui y sont résolument opposés, par crainte de voir Nexter se faire avaler par son concurrent allemand.

Le ministre de l’Économie s’est donc attaché à répondre aux objections soulevés par certains députés. Sur la « sensibilité » de Berlin au sujet de l’exportation d’armements, il a avancé qu’elle « ne changera pas avec le rapprochement ».

« Nous la retrouvons déjà, du reste, lors des discussions constantes que nous avons, notamment avec M. Sigmar Gabriel, à propos des exportations d’Airbus Group », a poursuivi M. Macron. « L’organisation est donc ainsi structurée et des discussions permanentes entre nos ministres et entre nos services, ainsi qu’entre le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale et son équivalent allemand, permettent de clarifier les positions sur ce sujet et ne constituent en rien un blocage », a-t-il expliqué.

« La politique d’export est arrêtée par la holding mais, durant les cinq premières années, les exportations de Nexter seront décidées par Nexter. Je veux être très clair sur ce point : en aucun cas les pouvoirs publics allemands ne pourront bloquer des exports décidés par la filiale qui restera en France; le rapprochement sera progressif et déterminé en fonction des modalités que je viens de définir », a encore fait valoir le ministre, qui a aussi avancé que « l’option prise ici est de développer des synergies à la fois stratégique et commerciale avec notre partenaire allemand sans qu’il puisse y avoir à ce stade de blocage ».

Le ministre de l’Économie, qui s’est défendu d’être « Héautontimorouménos » [ndlr, voir les Fleurs du Mal de Baudelaire], a en outre estimé que Nexter ne pouvait pas seulement vivre de la commande publique française – le programme Scorpion ne serait pas suffisant – et qu’il devait exporter. D’où l’intérêt de cette alliance avec KMW. Un autre a trait à la mise en commun des ressources pour la recherche et le développement, en particulier dans les domaines des chars de combat de nouvelle génération, des armes laser ou encore des munitions intelligentes.

Pour autant, certains parlementaires opposés au projet KANT sont toutefois d’accord sur le fait qu’une consolidation de l’industrie de l’armement terrestre européenne est nécessaire. Mais pas avec un groupe allemand. C’est ainsi le cas d’Yves Fromion (UMP), spécialiste du sujet.

La France « doit préserver les fondements de sa souveraineté en conservant le degré d’indépendance nécessaire à l’équipement de ses forces armées » et « l’armement terrestre est essentiel car il est déterminant dans l’issue d’un conflit armé », avait-il affirmé lors des débats en commission spéciale.

« Voilà pourquoi, si l’on peut approuver le transfert au secteur privé d’une part du capital de GIAT, l’opération doit nous permettre en priorité de consolider au niveau national nos propres entreprises d’armement, tout en recherchant un ou plusieurs partenaires européens », avait-il fait valoir, en plaidant pour un rapprochement entre Thales et Nexter. Rapprochement possible, selon lui, car l’État « dispose de tous les moyens nécessaires pour organiser cette consolidation nationale ».

« Nous sommes face à une décision politique délibérée qui favorise la mainmise de l’industrie allemande sur GIAT, donc sur Nexter », avait ensuite déploré M. Fromion, en soulignant que « l’enthousiasme de nos voisins d’outre-Rhin (…), fait d’ailleurs apparaître notre naïveté. » Et d’ajouter : « Rappelons-nous comment les Allemands ont torpillé le rapprochement entre EADS et BAE, où ils ne trouvaient pas leur compte. Je crains que la France ne se prépare une fois encore à travailler pour le roi de Prusse, et il ne s’agit pas d’un vain jeu de mots! ».

Lors de la séance du 9 février, M. Macron a réfuté ces arguments, repris par d’autres députés. « S’agissant de l’idée qu’il puisse exister un préalable de consolidation française avant d’aller vers une telle opération, je rappelle que cela a été tenté à plusieurs reprises sans succès », a-t-il dit. « Rappelons que Thales n’a aucune synergie avec Nexter. Il s’agit d’une consolidation purement théorique, qui a d’ailleurs échoué. Les mariages forcés, dans la vie des affaires, conduisent souvent à des sinistres. En l’espèce, nous avons décidé de ne pas suivre cette voie, car le faire n’aurait pas de sens », a conclu celui qui ne veut pas être l' »Héautontimorouménos« .

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