Budget de la Défense : Bercy est loin d’avoir dit son dernier mot

Si l’on pouvait avoir encore quelques doutes sur la position de Bercy à l’égard des sociétés de projet, Christian Eckert, le secrétaire d’État au Budget, les a définitivement balayés lors d’une audition devant la commission des Finances, à l’Assemblée nationale, ce 11 février.

Pour rappel, la Loi de programmation militaire (LPM) 2014-2019 avait prévu 2,2 milliards de recettes exceptionnelles (REX) afin de maintenir le budget de la Défense au montant de 31,4 milliards d’euros en 2015. Ces ressources extra-budgétaires devaient être tirées de la vente aux enchères des fréquences 700 MHZ aux opérateurs de télécommunications. Or, et c’était prévisible, cette opération ne pourra pas se faire dans les délais prévus pour des raisons techniques, réglementaires et économiques.

D’où l’idée de mettre en place des sociétés de projet, dotées de capitaux obtenus par la la cession de participations de l’État dans certaines entreprises et/ou des investisseurs privés. Le concept est relativement simple : il s’agit pour ces structures d’acquérir des équipements neufs et de racheter des matériels mis en oeuvre par les armées afin de les leur louer dans la foulée.

Un tel dispositif interroge et suscite de nombreuses réserves en raison, notamment, des surcoûts qu’il est susceptible de générer puisqu’il faudra s’acquitter de la TVA, des assurances sur les matériels loués et des intérêts (lesquels seront plus élevés que ceux des emprunts d’État). En clair, il n’a rien de la pierre philosophale et, si l’on en croit différents échos, ce remède sera sans doute pire que le mal qu’il est censé guérir…

Quoi qu’il en soit, un amendement visant à permettre la mise en place de ces sociétés de projet a été déposé par le gouvernement dans le cadre du projet de loi sur l’activité et la croissance défendu par Emmanuel Macron, le ministre de l’Économie. Pour autant, la messe n’est donc pas encore dite.

« Pendant un temps, on a présenté une telle opération comme étant une opération qui permettrait d' »échapper » à la comptabilisation de la dépense en terme de dépenses maastrichtienne. Le ministère des Armées (sic!) poussait cette idée », a commencé par rappeler le secrétaire d’État au Budget au sujet des sociétés de projet.

Or, a-t-il poursuivi « toutes les analyses juridiques que nous avons faites, avec les services de Bercy, les services de la Commission mais aussi avec le ministère des Armées (re-sic!) nous conduit à dire que ça ne fonctionne pas. Quelle que soit la structure capitalistique de la société de projet, elle sera à tous les coups requalifiée comme dépense maastrichtienne ». Et d’ajouter : « Donc la réponse est maintenant claire et partagée par l’ensemble des ministères et bien sûr par le gouvernement : ça sera une dépense maastrichtienne et ça ne répond pas à l’un des objectifs que recherchait ce montage sur la société de projet ».

Par la suite, M. Eckert a donné quelques alternatives, sans toutefois vraiment convaincre. Selon lui, la vente aux enchères des fréquences 700 MHZ peut toujours se faire avant la fin de cette année. Qu’elle ne se fasse pas est « probable mais certain », a-t-il dit… Sans que l’on sache vraiment où il a voulu en venir, le secrétaire d’État a évoqué « un certain nombre de contrats de ventes d’équipements militaires en cours de finalisation », en estimant que « ceci pourrait conduire là-encore à des éléments qui pourraient changer la donne »… Sauf que ce sont les industriels qui empocheront ces recettes… Pas les armées.

Un autre levier avancé serait de jouer sur les dates de livraison d’équipements et sur celles de leur paiement. « La comptabilisation de la dépense sur des matériels militaires se fait au moment de la livraison du matériel et pas forcément au moment du paiement. Il y a donc parfois possibilité, à quelques semaines ou à quelques mois près d’avoir une gestion rigoureuse qui permet de faire des choses », a dit M. Eckert. Pas sûr que les industriels soient d’accord avec cette vision, à moins qu’ils aient beaucoup de trésorerie devant eux… Et puis on est toujours loin des 2,3 milliards promis!

Cela étant, cette affaire des sociétés de projet semble donner lieu à quelques tiraillements entre l’Hôtel de Brienne et Bercy. Et M. Eckert en a donné un aperçu en déplorant certaines « fuites » sur les débats en cours.

« Je ne peux pas tout dire. Il y a des conseils de défense qui sont par définition couverts par le secret défense même si lendemain des journaux publient l’intégralité des documents qui nous ont été remis sur table avec des tampons de toutes les couleurs ‘confidentiel défense’. Et ça ne vient pas de Bercy! Je tiens à le dire. Et ce n’est pas sérieux parce que la description, le nombre précis des matériels et de leur valeur qui se trouvent dans Challenges le lendemain d’un conseil de défense auquel j’ai assisté, c’est franchement pas très sain comme comportement. (…) Enfin, on sait bien qui détenait ces sources… », s’est-il emporté à un moment de son intervention.

Quoi qu’il en soit, le Budget n’a pas dit son dernier mot sur les sociétés de projet, même si un amendement autorisant leur création sera défendu par le gouvernement au Parlement. « Nous mettons en place les éléments législatifs pour permettre la chose s’il s’avérait qu’il n’y avait pas d’autres solutions (…) et si elle s’avère indispensable », a affirmé M. Eckert.

Plus tard, le secrétaire d’État a même admis l’existence d’un « plan B » (qui serait donc le plan B du plan B…). Ce dernier a été évoqué lors du dernier conseil de défense, a-t-il fait savoir. Mais il a été « rejeté assez rapidement », selon lui. Et M. Eckert a eu ce commentaire : « Quand on veut tuer son chien, on dit qu’il a la rage ». On n’en saura pas plus…

Enfin, s’agissant du budget de la Défense, M. Eckert a rappelé « l’attachement » du président Hollande à son montant de 31,4 milliards d’euros. Mais, a-t-il averti, cela vaut dans « les deux sens », opérations nouvelles ou contraintes suppémentaires ou pas. En clair, s’il ne baissera pas (ce qui reste à voir), il n’augmentera pas non plus. Et la question du financement du maintien de 7.500 postes sur les 34.000 qui devaient être supprimés reste posée.

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