Vers un moratoire sur les suppressions de postes au sein des armées?

Plus de 8.000 militaires français engagés hors de la métropole… Et maintenant, 10.500 autres déployés dans le cadre d’une opération intérieure après les attentats de la semaine passée… Même si le contrat opérationnel des armées tel qu’il a été défini d’abord par le dernier Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale puis par la Loi de programmation militaire (LPM) 2014-2019 est respecté, on touche là à ses limites.

D’autant plus qu’il n’est pas question de relâcher l’effort sur les opérations extérieures en cours. « Certains pourraient être tentés de dire : ‘On va se replier sur nous-mêmes, on ne va s’occuper de rien du tout et, comme ça, on sera protégés’. C’est une erreur totale », a ainsi estimé Laurent Fabius, le ministre des Affaires étrangères, le 11 janvier. « Les terroristes ne sont pas loin de chez nous, et ce n’est pas parce qu’on serait repliés sur nous-mêmes qu’ils cesseraient de venir chez nous », a-t-il ajouté.

À l’antenne d’Europe1, ce 13 janvier, le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, n’a pas dit autre chose. « Aujourd’hui, et c’est une singularité nouvelle et grave, il n’y a pas de rupture entre la menace extérieure et la menace intérieure et s’il y a eu une décision de mobilisation de plus de 10.000 militaires, c’est que c’est une opération militaire, comme les opérations que nous menons à l’extérieur », a-t-il dit.

Contrairement à ce qu’ont pu dire et répéter quelques éditorialistes sur certaines chaîne d’informations en continu, les frères Kouachi et Amedi Coulibaly n’étaient pas des « imbéciles » mais des ennemis. Dire les choses telles qu’elles sont, c’est déjà prendre la mesure de la menace.

Bref, il n’est pas donc pas question de réduire la voilure sur certaines opérations, à commencer par celle en cours dans la bande sahélo-saharienne, qui, appelée Barkhane, vise justement à éliminer les groupes jihadistes qui y sont présents. D’après le quotidien Le Monde, l’État-major envisagerait d’y augmenter les effectifs (qui sont de l’ordre de 3.000 à 3.500 personnels) et d’y « renforcer significativement les moyens d’attaque », avec notamment l’envoi de 10 hélicoptères supplémentaires de l’Aviation légère de l’armée de Terre (ALAT). « On sait où est l’ennemi. On se prépare tous pour monter sur Madama [et donc près du sud de la Libye, ndlr], a même confié une source militaire au journal.

Mais l’enjeu est de pouvoir tenir dans la durée. Et pour cela, il faut des effectifs suffisants. « Il est aussi souhaitable de s’interroger sur la place des réserves (…) pour des missions complémentaires de celles de nos forces professionnelles », a affirmé M. Le Drian. « Je crois qu’un des sujets qui doit être posé demain, c’est le rôle des réserves pour l’avenir, en particulier pour la protection du territoire », a-t-il poursuivi. « C’est une des leçons que nous devons tirer de la nouvelle situation », a-t-il ajouté.

Au cours des années passées, il a été question de faire un effort particulier pour augmenter le nombre de réservistes « opérationnels ». Selon un document récent du Sénat, il s’avère que « d’après le tout récent premier rapport sur l’exécution de la loi de programmation militaire 2014-2019 (juin 2014), les effectifs des militaires de réserve, après plusieurs années marquées par une diminution du nombre de volontaires, se sont stabilisés en 2013. Une hausse de 162 engagements sous réserve (ESR), par rapport à 2012, rompt ainsi la tendance déflationniste constatée précédemment, dans un contexte de restructurations et de baisse des crédits consacrés aux réserves ».

Toujours selon le même document, « au 31 décembre 2013, le nombre de réservistes opérationnels s’élevait à environ 56 300 (dont environ 28 500 réservistes de la Gendarmerie nationale, soit 50 %) ».

Quoi qu’il en soit, et alors que la dernière LPM a acté la suppression de 23.500 postes supplémentaires au sein du ministère de la Défense (dont 7.500 cette année), la question de mettre fin à la déflation des effectifs militaires se pose. Interrogé sur ce point précis, M. Le Drian a répondu qu' »aujourd’hui, les missions que remplissent nos armées, que ce soit à l’extérieur ou à l’intérieur du territoire national, « sont tout à fait inscrites dans la Loi de programmation militaire » et que « cela correspond au contrat qui été passé entre la Nation et les armées ».

Pour autant, les choses ne sont pas figées. « Il est prévu, en 2015, que le Parlement soit saisi d’une actualisation » de la LPM, « c’est à dire qu’il est prévu de regarder à nouveau quelles sont les menaces et quelles sont les capacités nouvelles qu’il s’agira de mettre en oeuvre », a continé le ministre. Aussi, la question des effectifs « sera abordée au moment où il le faudra, lorsque le Parlement sera saisi, c’est à dire dans quelques semaines ». En clair, la balle sera dans le camp des députés et des sénateurs. Et M. Le Drian ne serait probablement pas opposé à ce qu’il y ait au moins un moratoire sur les suppressions de postes au sein des armées.

Mais il se posera immanquablement la question des moyens… Les militaires n’ayant pas le don d’ubiquité, il faudra, à moment donné, choisir. Soit on fait comme si de rien n’était, soit on décide de trouver les ressources nécessaires pour faire face à des menaces qui ne sont pas hypothétiques.

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