Budget/Défense : Les sénateurs sont favorables aux sociétés de projet… mais avec de fortes réserves

Le montant du budget de la Défense pour 2015 sera de 31,4 milliards d’euros, dont 2,3 milliards de recettes exceptionnelles (REX). Le problème est que ces dernières doivent provenir de la vente aux enchères de la bande de fréquences 700 MHZ aux opérateurs de télécommunications. Or, le calendrier de cette opération ne pourra pas, à l’évidence, être tenu.

D’où la recherche active de solutions alternatives. Plusieurs pistes ont été explorées pour être aussi vite abandonnées. Dans l’idéal, l’État aurait pu céder quelques participations qu’il détient au capital de certaines entreprises afin d’avoir les liquidités nécessaires pour abonder le budget de la Défense. Seulement, les règles de la Loi organique aux lois de finances (LOLF) l’interdisent, sauf exception.

On aurait pu faire valoir que le défaut des REX attendus par le ministère de la Défense est un cas de force majeure, avec des conséquences incalculables tant sur les capacités des forces armées que sur l’industrie de l’armemement. Et qu’il était donc possible de faire une exception… Mais le gouvernement n’a pas vu les choses ainsi : pour lui, une telle opération pour financer des dépenses d’équipements militaires conduirait à un appauvrissement du patrimoine de l’État…

D’où le recours à des « sociétés de projets », dont le capital serait abondé par la cession de participations financières de l’État ainsi que par les apports d’investisseurs privés. Le système est relativement simple : ces structures rachèteraient des matériels aux armées pour ensuite les leur louer.

Comme l’a écrit un jour l’éditorialiste André Frossard, « le meilleur moyen de savoir où l’on va, c’est encore d’y aller ». Et c’est l’impression que l’on a avec ces sociétés de projets. Et les rapporteurs pour l’avis « Défense : Équipement des forces », les sénateurs Daniel Reiner (PS), Jacques Gautier (UMP) et Xavier Pintat, doivent être dans cet état d’esprit…

Dans leur rapport, les trois parlementaires se posent beaucoup de questions au sujet de ces sociétés de projets (ou SPV pour Special purpose vehicules)… Questions qui peinent à trouver des réponses. Ainsi en est-il du calendrier des opérations, sachant que la Direction générale pour l’armement (DGA) devra impérativement disposer des 2,3 milliards de REX avant septembre, au plus tard.

Deux obstacles sont à franchir : il faut d’abord faire adopter une mesure législative en faveur de ces structures, étant attendu qu’il n’est pas possible « de déroger au principe selon lequel les biens du domaine privé de l’État – catégorie dans laquelle se rangent les équipements militaires, pour les biens meubles – ne peuvent être vendus que s’ils ne sont plus utilisés ».

Ensuite, il est nécessaire de procéder aux cessions des participations financières de l’État le plus tôt possible, ce qui, comme le notent les rapporteurs et au vu des sommes en jeu et du contexte économique « nécessiterait vraisemblablement que l’État arbitre entre ses intérêts stratégiques et ses intérêts patrimoniaux ». Pour le moment, on est encore dans le flou sur ces deux points.

Il faudra régler la question de la gouvernance de ces sociétés de projets, c’est à dire « le type de société à retenir, les critères présidant aux choix de direction, les dispositifs de contrôle interne et de contrôle par le Gouvernement ». Or, d’après les sénateurs, « rien encore n’a été avancé, alors que l’on en est encore (…) à recruter les conseils juridique et financier externes de l’État » et « vu la relative complexité du système envisagé, ces éléments paraissent pourtant essentiels ».

Autre question, quels seront les matériels militaires concernés? A priori, seuls les équipements coûteux (A400M par exemple) devraient l’être. « Mais une difficulté tient à l’association d’investisseurs privés au capital des SPV, car ces investisseurs – et les banques sur le concours desquelles ils adosseraient leur participation – ne voudraient certainement pas courir le risque d’assurer du matériel directement employé à des actions de combat, périlleuses par nature ; il faudrait donc s’en tenir à du matériel d’ordre logistique, ou du moins à des équipements qui ne risquent guère de se trouver fortement endommagés, voire perdus, en opérations », soulignent les rapporteurs.

Il y a aussi l’assurance de la « parfaite disponibilité des équipements » loués aux forces armées. Il n’est en effet pas question qu’il y ait la moindre restriction d’emploi des matériels loués. « Tout risque de blocage opérationnel lié au montage envisagé suffirait à ruiner l’intérêt de celui-ci », avancent les rapporteurs. Or, pour le moment, aucun garantie concrète pour ces conditions soient satisfaites n’ont été présentées.

Et quid du maintien en condition opérationnelle? « Comment s’agencerait la gestion simultanée de parcs de matériels détenus par des propriétaires différents – l’un étant la propriété de l’État et l’autre, celle des sociétés de projet? », se demandent en effet les sénateurs. « Pour le matériel qui serait la propriété des SPV, une distinction serait-elle à opérer entre l’entretien ‘lourd’, qui serait mis à la charge des sociétés propriétaires, et l’entretien ‘courant’, qui resterait de la responsabilité de l’État, c’est-à-dire le ministère de la défense, locataire? », se sont-ils interrogés.

Enfin, combien ce dispositif va-t-il coûter? « La location dont il s’agit supposant par définition un loyer, et le fonctionnement des sociétés de projet impliquant de facto des coûts de fonctionnement – rémunérations des conseils juridiques et financiers externes, mise en place d’éventuelles sûretés et garanties, frais de gestion, etc. -, ce coût global serait inéluctablement supérieur à celui qui résulterait d’un achat direct par l’État des équipements en cause, si les REX nécessaires étaient disponibles à temps », font remarquer les rapporteurs.

En outre, il faudra également préciser si le ministère de la Défense bénéficiera d’une option d’achat au terme de la période de location des matériels… Sur ce point, les sénateurs ne peuvent faire que des hypothèses… « On peut supposer que tout se jouerait en fonction de la négociation entre l’État et ses partenaires, lors de la constitution des SPV », écrivent-ils.

Cependant, malgré toutes ces interrogations pertinentes et le fait que ces sociétés de projets sont loin de faire l’unanimité, il n’y a pas d’autres solutions pour éviter que le ministère de la Défense soit en cessation de paiement à l’automne prochain.

« C’est pourquoi vos rapporteurs pour avis, bien que la somme des incertitudes ci-dessus recensées suscite leur circonspection à l’égard du scénario esquissé par le Gouvernement, ne peuvent que soutenir, dans son principe, une tentative pour trouver une issue au problème que représente l’absence momentanée des REX initialement prévues, sous réserve que toutes les garanties dont un tel projet devra s’accompagner soient effectivement aménagées – et clairement présentées au Parlement », ont fait valoir les rapporteurs.

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