BPC/Russie : Micmac autour d’une lettre adressée par DCNS aux autorités russes

lettre-20141030Depuis qu’il est question de vendre des Bâtiments de projection et de commandement (BPC), il y a maintenant plus de 5 ans, l’on assiste à un feuilleton aux multiples rebondissements. Même si certains militaires français de haut rang n’étaient pas chauds à l’idée d’un tel contrat et que des alliés de l’Otan ont froncé les sourcils, il n’empêche que Moscou a passé commande de 2 navires de ce type pour 1,2 milliards d’euros.

Fallait-il vendre ces navires? Si la France ne l’avait pas fait, d’autres auraient sans doute profité de l’aubaine (Damen et Navantia, notamment), peut-on penser. D’ailleurs, d’autres pays ont vendu – ou cherché à le faire – du matériel militaire aux forces russes, comme l’Allemagne et l’Italie. En outre, il fallait aussi au plan de charge du chantier naval STX France, à Saint-Nazaire…

D’un autre côté, la Russie ne donnait pas de signaux très encourageants, avec la suspension du traité sur les Forces conventionnelles en Europe (FCE) ou encore l’affaire géorgienne. Mais le mot d’ordre à l’époque était alors de regarder ce qui rassemblait (par exemple, le conflit en Afghanistan) plutôt que d’insister sur ce qui séparait. Et pour ça, Moscou pouvait compter sur de solides relais d’influence

Seulement, avec l’annexion de la Crimée et l’aide apportée par Moscou aux séparatistes du Donbass (est de l’Ukraine), l’affaire de la livraison des BPC à la marine russe est devenue un casse-tête : faut-il livrer les navires (le premier, le Valdivostok, est prêt) quitte à se fâcher avec les alliés de l’Otan et de l’Union européenne? Ou alors faut-il annuler le contrat, quitte à rembourser les sommes déjà versées et risquer de payer des dommages et intérêts?

Aussi, pour se sortir de ce guêpier, Paris cherche à repousser au plus tard la décision de livrer (ou pas) le premier BPC à la Russie. Et comme Soeur Anne ne voyant rien venir, les autorités françaises guettent le moindre signe de désescalade en Ukraine. Le président Hollande, qui souffle le chaud et le froid sur ce dossier, a toutefois posé deux conditions : le respect du cessez-le-feu conclu entre Kiev et les rebelles le 5 septembre dernier et un « accord de règlement politique suffisamment avancé ». On en est encore très loin (des militaires ukrainiens ont encore été tués ce 30 octobre…)

Dans ce contexte, le vice-Premier ministre russe, Dmitri Rogozine, a publié, via Twitter, une lettre (ou plutôt une copie en noir et blanc) à l’en-tête du groupe français de construction navale DCNS, signé le 8 octobre par son numéro deux, Pierre Legros, invitant les dirigeants de Rosoboronexport, l’agence russe chargée des équipements militaires, à assister à la cérémonie devant marquer la livraison du Vladisvostok à la marine russe le 14 novembre prochain, à Saint-Nazaire.

Problème : la veille, le ministre français de la Défense, Jean-Yves Le Drian, avait indiqué que la décision de livrer ou non le navire ne serait pas prise avant la mi-novembre… Et il est vrai que rien n’a été décidé pour le moment, puisque la dernière réunion de la Commission interministérielle pour l’étude des exportations de matériels de guerre (CIEEMG) n’a pas donné lieu à un feu vert à cette livraison. Peut-être en sera-t-il autrement lors de sa prochaine réunion, prévue le… 13 novembre.

Un porte-parole de DCNS, sollicité par l’AFP, affirmé qu' »aucune date de livraison ne peut être donc confirmée à ce stade » etant donné que les « autorisations gouvernementales d’exportation nécessaires pour la réalisation d’un transfert » sont toujours en attente.

Et le ministre des Finances, Michel Sapin, y a mis son grain de sel. « Les conditions ne sont pas réunies. Les conditions, c’est quoi? C’est qu’en Ukraine, nous soyons dans un dispositif qui va vers la normale, qui permette de détendre les choses, qui fasse que la Russie joue un rôle positif », a-t-il expliqué. « D’un certain niveau, ça va mieux, d’autres points de vue, il y a encore des inquiétudes, donc, aujourd’hui, les conditions ne sont pas réunies », a-t-il insisté.

Alors, l’on peut s’interroger sur cette lettre diffusée par M. Rogozine. Est-elle authentique? Le porte-parole de DCNS n’a pas voulu faire de commentaire à son sujet. Pour ne pas se fâcher avec un client? Et pourquoi aurait-elle été écrite si le groupe naval n’a pas encore reçu toutes les autorisations nécessaires pour livrer le Vladivostok? A-t-elle été envoyée par erreur?

En attentant, le vice-Premier ministre russe doit savourer son effet. En diffusant ce courrier, il joue un bon tour aux autorités française en mettant Paris en porte-à-faux à l’égard de ses partenaires de l’Otan et de l’UE. Et peut-être qu’il s’agit aussi de contraindre la France à prendre une décision.

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