L’École Polytechnique restera-t-elle sous la tutelle du ministère de la Défense?

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Le 1er décembre prochain, Mme l’ingénieur général hors classe de l’armement Caroline Laurent, diplômée de l’École Polytechnique prendra les rênes de la stratégie de la Direction générale de l’armement (DGA), après avoir dirigé une équipe de 450 personnes pour conduire les opérations et les études amont relatives à la maîtrise de l’Information, aux capteurs spatiaux de renseignement ainsi qu’aux systèmes de télécommunications et de commandement.

Le parcours de Caroline Laurent illustre parfaitement la vocation que Napoléon Bonaparte assigna  à l’École Polytechnique quand il lui donna un statut militaire en 1804, soit 10 après sa création

Seulement, si, pendant longtemps, l’X, comme on la surnomme, a fourni de nombreux ingénieurs aux armées françaises ainsi qu’aux grands corps de l’État, ce n’est plus vraiment le cas aujourd’hui, alors que les diplômés doivent 10 ans au service public, faute de quoi ils ont l’obligation de rebourser les frais de leur scolarité. Enfin presque…

Comme le souligne un récent rapport du député François Cornut-Gentille [.pdf], seulement 18 élèves de Polytechnique rejoignent, chaque année, le corps des ingénieurs de l’armement pendant 380 autres choisissent une carrière civile, que ce soit dans le public ou le privé. « Depuis plusieurs décennies, l’École Polytechnique n’a plus pour vocation principale de participer ‘aux travaux de recherche et de préparation de l’avenir’, de la Défense », a ainsi relevé le parlementaire.

Mieux même : alors que les élèves ont un statut militaire au cours de scolarité et qu’ils perçoivent, à ce titre, une solde, 23% d’entre eux qui obtiennent leur diplôme partent travailler à l’étranger et seulement 13% rejoignent un Corps de l’État. Et 48% de ceux qui ont choisi de partir dans le privé exercent leurs talents dans l’industrie. En clair, l’X fournit de moins en moins d’ingénieurs mais de plus en plus de « managers ».

Et pour cause : l’État se désintéresse de plus en plus de la sphère « scientifique et technique »…. À un moment où les enjeux scientifiques et techniques sont plus que jamais d’actualité, on assiste à la poursuite voire à l’accélération de la perte d’influence de Polytechnique au sein de la haute fonction publique et de la sphère politique », dénonce le député.

Quant au remboursement des frais scolarités évoqué précédemment, il n’est exigible qu’auprès des diplômés ayant quitté le Corps de l’État qu’ils avaient rejoint avant 10 ans. En clair, ceux qui ont été embauché par une entreprise privé ne doivent rien. « Un polytechnicien menant carrière dans des institutions bancaires américaines est exonéré de remboursement à la différence d’un ingénieur des Ponts travaillant dans une direction régionale de l’État », a ainsi noté M. Cornut-Gentille. Cette pratique, appelée la « Pantoufle », va faire l’objet d’une réforme dans le cadre d’un décret dont la signature est imminente.

En outre, le député a également mis l’accent sur la sociologie des élèves de Polytechnique. « Le recrutement majoritairement parmi l’élite sociale et économique des élèves de l’X est incontestable, malgré un processus de sélection fondé sur les classes préparatoires scientifiques, 63,7 % des étudiants de première année étaient issus d’une famille de cadres et professions intellectuelles supérieures, contre 5,6 % d’employés et 1,3 % d’ouvriers », a-t-il noté. Et d’ajouter : « Cette surreprésentation de l’élite sociale et économique parmi les élèves de l’X peut devenir à court terme une source de fragilisation. Une élite n’est socialement acceptée que lorsque sa contribution à l’intérêt général est avérée et reconnue par tous ».

Aussi, déplore M. Cornut-Gentille, « l’incertitude voire l’incompréhension autour de la finalité de la formation polytechnicienne ouvre la voie à une critique aujourd’hui infondée ‘d’une école de l’élite pour l’élite aux frais des contribuables’. Combinée au régime exorbitant de la pantoufle, cette critique élitiste peut mener à un divorce entre la société française et la formation d’excellence que constitue l’X ».

Au vu des moyens engagés par le Direction générale de l’armement au profit de l’École Polytechnique et le faible nombre de diplômés qui font carrière en son sein, la question du lien avec le ministère de la Défense – plus généralement ce que veut l’État pour cet établissement – se pose. Surtout en période de disette budgétaire. Cette année, l’X a reçu  une dotation de 73,5 millions d’euros.

« Au sein des forces, le faible nombre d’officiers polytechniciens ne permet pas d’entretenir la flamme. Au sein de la DGA, au-delà du recrutement annuel d’une grosse quinzaine d’ingénieurs de l’armement, l’intérêt pour Polytechnique est à démontrer. Quant aux armées, elles ne font pratiquement pas appel à ce vivier d’officiers de réserve que constituent les anciens de l’X », note M. Cornut-Gentille.

D’autre part, l’intégration de Polytechnique au campus Paris-Saclay avec d’autres établissements sous tutelles civiles. Et « l’uniformisation statutaire s’imposera rapidement au nom de l’efficience. Dans cette perspective, faute d’arguments décisifs, l’X ne pourra longtemps défendre sa spécificité militaire », estime le député.

Pour autant, ce dernier, qui déplore le manque de stratégie pour cette grande école, estime que lien de Polytechnique avec la Défense est « loin d’être dépourvu de sens » et qu’il serait « même souhaitable de le conserver », à condition d’adopter une « démarche volontariste pour le conforter ».

Pour apporter une réponse aux problèmes mis en évidence par  ce rapport, le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, a annoncé, lors d’une audition à l’Assemblée nationale, le 23 octobre dernier, le lancement d’une commission gouvernementale.

J’ai lu votre rapport et je vais proposer au Premier ministre de mettre en place une commission pour instruire chacun des points que vous avez évoqués parce qu’ils sont importants », a-t-il ainsi affirmé en s’adressant à M. Cornut-Gentille. Les travaux de cette commission seront menés sous l’égide du chef du gouvernement et du ministre de la Défense. Il reste plus qu’à lui trouver un président, lequel ne serait pas forcément un ancien de l’X.

Car comme l’a remarqué le député de la Haute-Marne dans son rapport, « Tant que l’État, et non l’autorité de tutelle elle-même partie prenante de la communauté polytechnicienne, n’affirmera pas clairement les missions dévolues à l’École, il est à craindre que, par l’affichage de leurs débats, les Polytechniciens ne contribuent à fragiliser l’institution à laquelle ils sont pourtant tous très attachés ».

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