L’interdiction des syndicats au sein de l’armée française épinglée par la Cour européenne des droits de l’Homme

Voilà une décision qui va faire du bruit. La Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) a condamné la France en raison de l’interdiction absolue faite à ses militaires d’adhérer à un syndicat dans deux arrêts qu’elle a publiés ce 2 octobre.

L’une des affaires sur laquelle les juges ont été appelés à se prononcer remonte à mars 2008. À cette époque, l’association Forum Gendarmes & Citoyens est créée, avec le commandant Jean-Hugues Matelly pour vice-président.

Cet officier fera parler de lui deux ans plus tard après avoir été radié des cadres de la gendarmerie pour avoir outrepassé « l’exigence de loyalisme et de neutralité liée à son statut militaire » en exprimant une « une désapprobation claire vis-à-vis de la politique conduite par le gouvernement ». Réintégré en 2011 suite à une décision du Conseil d’État, il sera même promu en 2013.

Quoi qu’il en soit, la création du « Forum Gendarmes & Citoyens » fait grincer des dents à la Direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN). Pourquoi? Tout simplement parce que dans les buts de cette association figure « la défense de la situation matérielle et morale des gendarmes » et que des militaires encore en activité en sont membres.

En clair, pour la hiérarchie de Jean-Hugues Matelly, il s’agit ni plus ni moins d’un groupement professionnel à vocation syndicale… Ce qui est interdit par l’article L 4121-4 du code de la Défense et le Statut général des militaires. D’où l’ordre donné par la DGGN aux gendarmes d’active ayant rejoint cette association de la quitter. Et le Conseil d’État n’a rien trouvé à y redire.

Sauf la CEDH… Dans son arrêt, cette dernière, qui s’appuie sur les articles 10 et 11 (liberté d’expression et d’association) de la Convention européenne des droits de l’Homme, a rappelé que des « restrictions légitimes » pouvaient s’appliquer aux militaires mais qu’elles devaient aussi « faire l’objet d’une interprétation stricte et se limiter à l’exercice des droits en question, sans porter atteinte à l’essence même du droit de s’organiser ». Et d’ajouter que, à ce titre, « le droit de former un syndicat et de s’y affilier fait partie des éléments essentiels de cette liberté ».

En outre, si la CEDH a bien noté que la France a « mis en place  des instances et des procédures spéciales pour prendre en compte les préoccupations des personnels militaires », elle considère toutefois que « ces institutions ne remplacent pas la reconnaissance au profit des militaires d’une liberté d’association, laquelle comprend le droit de fonder des syndicats et de s’y affilier ».

S’agissant plus précisément du cas du désormais lieutenant-colonel, la Cour estime que « les motifs invoqués par les autorités pour justifier l’ingérence dans les droits de M. Matelly n’étaient ni pertinents ni suffisants, dès lors que leur décision s’analyse comme une interdiction absolue pour les militaires d’adhérer à un groupement professionnel constitué pour la défense de leurs intérêts professionnels et moraux. L’interdiction pure et simple de constituer un syndicat ou d’y adhérer porte à l’essence même de la liberté l’association, une atteinte qui ne saurait passer pour proportionnée et n’était donc pas « nécessaire dans une société démocratique ». Et de conclure : « Dès lors, il y a eu violation de l’article 11 ».

Cet arrêt peut être contesté par la France lors des trois prochains mois. Passé ce délai, il sera définitif.

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