Varsovie fait miroiter un contrat de 5,8 milliards d’euros si la France renonce à livrer les BPC Mistral à la Russie

Le 3 septembre dernier, et étant donné la situation « grave » en Ukraine, le président Hollande avait estimé que les conditions n’étaient pas réunies pour autoriser la livraison du premier Bâtiment de projection et de commandement (BPC) de type Mistral à la Russie, en raison de son soutien apportés aux séparatistes ukrainiens. Cette annonce, faite à l’issue d’un conseil restreint de défense, avait sans doute pour but de faire baisser la pression sur les autorités françaises alors que le sommet de l’Alliance atlantique devait s’ouvrir le lendemain à Newport, au Pays de Galles.

Pour la plupart des pays membres de l’Otan, hostiles à cette commande de 2 BPC passée par la Russie en 2011 pour 1,2 milliards d’euros, la déclaration de l’Élysée fut évidemment très bien accueillie. Et il n’a pratiquement pas été question – du moins publiquement – de la livraison du premier Mistral (le Vladivostock) pendant le sommet.

Ancien commandant suprême des forces alliées en Europe (SACEUR), l’amiral James Stavridis avait alors estimé que la France venait de « prendre une bonne décision en arrêtant le processus de vente » car « il aurait été absurde de fournir une aide à l’Ukraine tout en livrant du matériel militaire à la Russie ». Et d’avancer l’idée de livrer un BPC, voire même les deux, à l’Otan dans le cadre d’une « force de réaction rapide ».

Mais apparemment, le sens de l’annonce faite par la présidence de la République a été mal compris. « S’agissant de la vente des Mistral, il n’y a ni rupture ni suspension, contrairement à ce qu’on a pu dire », a affirmé Jean-Yves Le Drian, le ministre de la Défense, lors d’une audition menée conjointement par les députés et les sénateurs des deux commissions concernées par les affaires militaires, le 17 septembre dernier.

« La décision de la livraison se prend au moment où elle est prévue. Le président de la République a déclaré, avant le sommet de Newport et le cessez-le-feu en Ukraine, que, s’il avait eu à prendre cette décision à ce moment-là, il aurait refusé la livraison car la sécurité de l’Europe et de la France était en cause. C’est donc fin octobre-début novembre qu’il appréciera si cette livraison peut avoir lieu », a encore expliqué M. Le Drian.

Le fait est, les opérations se poursuivent normalement à Saint-Nazaire, où a été assemblé le Vladivostok. Les 400 marins russes arrivés en Loire-Atlantique au cours de cet été suivent normalement leur formation pour maîtriser le navire qui leur est promis… Et ils ont même effectué une sortie en mer à bord.

Quoi qu’il en soit, le contrat des deux BPC est une vraie épine dans le pied. La décision de vendre ces deux navires a été prise afin de donner de l’activité au chantier naval STX de Saint-Nazaire, dont le carnet de commandes avait été essoré par la crise. Et il s’agissait aussi, pour le gouvernement de l’époque, de remporter un important contrat d’armement, même si certains responsables militaires – dont l’ex-chef d’état-major des armées, l’amiral Édouard Guillaud – n’étaient franchement pas chauds à cette idée. Et pour cause : la Russie avait donné quelques signes peu encourageants (suspension du traité FCE, guerre avec la Géorgie, reprises des vols de bombardiers stratégiques, etc…). Et en matière d’équipements militaires, il vaut toujours mieux vendre à des pays avec lesquels on partage une certaine vision stratégique et des intérêts communs.

Résultat : ne pas livrer les deux navires expose la France à des pénalités qui devraient être élevées (même si on en ignore exactement le montant). Et puis il faudra bien évidemment rembourser ce que la Russie a déjà payé (avec 2.000 milliards d’euros de dette, on ne regarde plus…). Et les livrer mécontentera les proches alliés, ce qui n’est pas très bon non plus. Pire même : cela peut priver les industriels d’armement de juteux contrats, comme celui concernant la défense aérienne polonaise.

Là, le consortium Eurosam (MBDA et Thales) s’oppose à l’américain Raytheon pour fournir aux forces polonaises un système de défense aérienne. Montant du contrat : 5,8 milliards d’euros étalés sur 10 ans. Soit 4,8 fois le prix des deux BPC Mistral commandés par la Russie.

Pour remporter cet appel d’offres, Eurosam a proposé le SAMT/T (en service en France et en Italie) et s’est associé au groupe polonais Polska Grupa Zbrojeniowa PGZ tout en proposant des transferts de techonologie importants. De son côté, Raytheon, qui mise sur son système Patriot, en a fait de même en s’alliant avec TELDAT, un autre société polonaise.

Seulement, il y a ces deux BPC commandés par la Russie… « Je ne peux vous cacher que le contexte des Mistral n’aide pas à prendre des décisions positives »,  a affirmé Tomasz Siemoniak, le ministre polonais de la Défense, dans un entretien publié le 29 septembre par le quotidien Rzeczpospolita. « Nous sommes critiques à l’égard de cette transaction. Personne ne l’a jamais caché, y compris devant nos partenaires français », a-t-il ajouté, en assurant toutefois qu’il n’y aurait pas de « lien » entre ce contrat et le choix du système de défense aérienne. Vraiment?

« Je ne veux pas jouer le rôle de quelqu’un qui pose des conditions à la France. Je suis confiant que la France prendra une décision sage et responsable, sachant qu’elle est membre de l’Otan et connaissant l’opinion des autres alliés », a ainsi fait valoir M. Siemoniak.

Contrairement à d’autres pays européens, la Pologne a toujours maintenu son effort de défense (il faut dire que sa situation économique l’a aidée) et prévoit d’investir 33,3 milliards d’euros dans les 10 ans à venir pour moderniser ses forces armées. Voilà un marché à « travailler »… Et qui pourrait bien échapper aux industriels français. Et cela d’autant plus que, outre la défense aérienne, Varsovie compte se procurer des hélicoptères pour 3 milliards d’euros ainsi que 3 nouveaux sous-marins. « Que de bonheurs possibles dont on sacrifie ainsi la réalisation à l’impatience d’un plaisir immédiat! », a écrit Marcel Proust…

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