L’Assemblée nationale vote le blocage administratif des sites Internet faisant l’apologie du terrorisme

Les députés ont adopté à une large majorité un nouveau projet de loi de lutte contre le terrorisme qui avait été présenté le 9 juillet dernier en Conseil des ministres par Bernard Cazeneuve, le ministre de l’Intérieur.

Le texte – le 14e du genre depuis 1986 – vise à empêcher les candidats au jihad à quitter le territoire, à lutter contre les filières de recrutement et à renforcer les mesures contre l’apologie du terrorisme ainsi qu’à l’incitation aux actes terroristes. Il créé aussi le « délit d’entreprise terroriste indivuelle ».

Ce projet de loi est censé apporter une réponse aux départs de jeunes français en Syrie et en Irak, où ils rejoignent les rangs de l’État islamique (EI). Selon le coordonnateur national du renseignement, Alain Zabulon, ils étaient 870 à avoir suivi cette voie en juillet. Plus d’un mois plus tard, le ministre de l’Intérieur a donné le chiffre de 932.

L’interdiction de sortie du territoire pour les aspirants jihadistes aura une durée de 6 mois à 2 ans. Elle sera prononcée en cas de soupçons sérieux sur les motivations d’une personne ayant le projet de se rendre à l’étranger pour prendre part à des activités terroriste ou rejoindre un zone d’opération d’un groupe terroriste. Les individus concernés seront signalés au Système d’information commun aux paus de l’espace Schengen et se verront privés de leur carte d’identité et de leur passeport.

Reste à savoir comment identifier les candidats au jihad… Enfin, sans doute que cette disposition permettra-t-elle, si elle est violée, de donner un motif pour arrêter les jihadistes quand ils chercheront à revenir en France.

Autre mesure du projet de loi, la création d’un délit d’entreprise terroriste individuelle. Il s’agit d’apporter une réponse à la menace dite des « loups solitaires », c’est à dire à ces personnes qui se radicalisent seule, le plus souvent en consultant des sites Internet appartenant à des organisations terroristes. Pour les empêcher de passer à l’action, il faudra que leur projet criminel soit « caractérisé » par la détention d’armes ou de substances dangereuses ainsi que par des éléments factuels (repérages, formation au maniement des explosifs, consultation de sites Internet, etc…).

Les cas de terroristes individuels sont relativement rares. Si Mohamed Merah, qui assassiné des militaires et des enfants juifs en mars 2012, a agi seul, il n’en reste pas moins qu’il avait été aidé dans son « entreprise terroriste ». Quant à Mehdi Nemmouche, l’auteur d’une fusillade meurtrière à Bruxelles, Bernard Cazeneuve a contesté qu’il ait été un « loup solitaire ».

« Le passage à l’acte procède d’un conditionnement psychologique qui pousse celui qui se sent investi à accomplir sa funeste mission (…) Ce que je veux dire c’est que les complicités directes ou indirectes sont déterminantes ne serait ce que pour entrer en possession des armes utilisées par les terroristes ce qui me conduit à penser, sans la moindre réserve, que le ‘loup solitaire’ n’en est pas un », avait-il expliqué, en juin, devant la commission des Lois du Sénat.

Aux États-Unis, il y a au moins un cas avéré, avec celui du major Malik Nadal Hasan, un psychiatre de l’armée américaine qui a tué 13 personnes à Fort Hood, en novembre 2009. Cet officier d’origine palestinienne s’était radicalisé en échangeant, via Internet, avec l’imam Aulaqui, l’idéologue d’al-Qaïda dans la péninsule arabique (AQPA), tué par une frappe de drone en septembre 2011.

Un autre cas, récent, pourrait être correspondre à ce phénomène de « loup solitaire ». En août dernier, toujours aux États-Unis, un certain Ali Muhammad Brown a été arrêté pour avoir tué au moins 4 personnes dans l’État de Wahington et le New Jersey. Sa motivation? « Ma mission est de venger les millions de vies perdues chaque jour en Irak, en Syrie, en Afghanistan et dans tous ces endroits où des vies innocentes sont prises tous les jours. … Donc, une vie pour une vie », a-t-il dit aux policiers.

Enfin, considérant que l’EI recrute massivement via ce canal, le projet de loi prévoit également permettre à l’autorité administrative de demander aux fournisseurs d’accès (FAI) de bloquer l’accès aux sites Internet faisant l’apologie du terrorisme si leurs éditeurs ou leurs hébergeurs ne les ont pas suspendus dans les 24 heures.

Cette mesure sera-t-elle efficace? Rien n’est moins sûr… Déjà, demander à des éditeurs de retirer leurs contenus en ligne peut être valable en France… Mais s’ils sont basés à Mossoul, Raqqa ou Quetta, ce sera tout bonnement sans effet. Restera donc aux FAI d’en empêcher l’accès. En outre, il existe des outils qui permettent aisément de passer outre cette interdiction (chiffrement, modification des adresses IP, etc…).

« Sur la question de l’opportunité du blocage, les critiques relatives aux possibilités de contournement et au « surblocage » sont légitimes et doivent être entendues, mais elles ne sauraient justifier la passivité des pouvoirs publics pour des contenus hébergés à l’étranger et dont le retrait par l’éditeur ou l’hébergeur n’est pas envisageable », a expliqué le député Sébastien Pietrasanta, le rapporteur du texte. « Je partage l’idée que la solution la plus efficace sera toujours le retrait du contenu par l’éditeur et l’hébergeur, mais lorsque le retrait ne peut être obtenu, le blocage est une arme de dernier recours dont les pouvoirs publics doivent pouvoir disposer », a-t-il ajouté.

Seulement, et les débats dans l’Hémicycle l’ont montré (du moins, pour ceux qui ont fait l’objet d’un compte rendu intégral au moment de la rédaction de cet article), la dimension des réseaux sociaux n’a pas été prise en compte dans ce projet de Loi. Or, c’est via Twitter, Facebook, Diaspora et autres services de ce type que les jihadistes font une grande part de leur propagande. Que faudra-t-il faire? Les bloquer s’ils ne répondent pas dans les 24 heures aux demandes de l’autorité administrative?

Lors de la séance du 15 septembre, le mot « site » a été utilisé 28 fois par les débatteurs, tandis que l’expression « réseaux sociaux » ne l’a été qu’à 6 reprises. En clair, cette dimension n’a pas été prise en compte.

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