La vente de deux BPC Mistral à la Russie peut-elle être bloquée par la législation européenne?

Quand la Russie a annexé la Crimée, en mars dernier, la pression a été mise sur les autorités françaises afin qu’elles annulent la livraison de 2 Bâtiments de projection et de commandement (BPC) de type Mistral, commandés par Moscou en juin 2011 pour 1,2 milliard d’euros.

Et Paris a répondu qu’une décision serait prise en octobre, c’est à dire au moment de la remise à la marine russe du premier navire, à savoir le Vladivostok, assemblé au chantier naval STX de Saint-Nazaire, où 400 marins russes sont arrivés  pour être formés à la mise en oeuvre de ce BPC tandis que la poupe du second, qui s’appelera le Sebastopol y était attendue.

Pour autant, les opposants à ce contrat ont continué à donner de la voix. Le 17 juillet, une résolution adoptée lors d’une séance plénière du Parlement européen a demandé un embargo sur les ventes d’armes européennes à destination de la Russie « jusqu’à ce que la situation dans l’Est de l’Ukraine se soit normalisée ». Ce qui concerne les deux BPC commandés par Moscou… Et il n’était encore pas question de l’affaire du Boeing 777 de la Malysia Airlines, abattu dans l’est de l’Ukraine, en proie à des tensions séparatistes depuis plusieurs mois.

Or, pour Washington, il ne fait aucun doute que le vol MH-17 a été la cible d’une batterie de défense aérienne d’origine russe. « Il est assez clair qu’il s’est agi d’un système qui a été transféré de Russie et remis aux mains des séparatistes prorusses en Ukraine », a ainsi affirmé, sur CNN, le 20 juillet, John Kerry, le chef de la diplomatie américaine. Sur le plateau de NBC, ce dernier a assuré que les États-Unis savaient « d’où était parti le tir de missile et que nous en connaissons la trajectoire ». Et d’ajouter : « Nous connaissons l’heure aussi », en évoquant l’interception de conversations d’insurgés pro-russes.

Aussi, la pression est mise sur le président russe, Vladimir Poutine. Le Premier ministre néerlandais, Mark Rutte, dont 192 compatriotes ont péri dans la chute du Boeing 777 de la Malaysia Airlines a affirmé qu’il « doit prendre ses responsabilités à l’égard des rebelles » et « montrer au monde et aux Pays-Bas qu’il fait ce qu’on attend de lui, qu’il fait ce qui doit être fait ».

S’il est effectivement confirmé que l’avion civil a été abattu par un missile tiré depuis une position tenue par les séparatistes pro-russe, le Premier ministre britannique, David Cameron a estimé que « c’est la conséquence directe de la déstabilisation par la Russie d’un Etat souverain, de la violation de son intégrité territoriale, du soutien de milices brutales, et de leur entraînement et de leur armement ». Et s’insister : « Si le président Poutine ne change pas son approche sur l’Ukraine, alors l’Europe et l’Occident doivent fondamentalement changer leur approche à l’égard de la Russie ».

Dans ces conditions, et même si Paris veut mener le contrat des BPC jusqu’au bout, il est possible que la vente soit déclarée illégale en vertu du droit européen. Comment? En 1998, à l’initiative de la France et du Royaume-Uni, l’Union européenne a adopté un code de bonne conduite en matière d’exportation d’armes et d’équipements militaires. Dix ans plus tard, ce texte est devenu juridiquement contraignant, par l’adoption d’une position commune des États membres. En clair, il a désormais valeur de loi.

Ce code de bonne conduite fixe 8 critères que doivent impérativement vérifier les États membres de l’UE avant d’accorder des licences d’exportation d’équipements militaires à des pays tiers. Faute de quoi, aucune vente ne peut être possible (sauf à ignorer le droit…).

Le premier vise bien évidemment à respecter les engagements internationaux (traités en vigueur, embargos…) ainsi que l’Arrangement de Wassenaar sur le contrôle des exportations d’armes. D’autres critères imposent la nécessité de s’assurer que le client respecte les droits de l’homme et le droit international. Il faut également s’assurer que cette vente d’équipements militaire ne menace pas la sécurité des pays amis ou alliés (5e) et qu’elle ne nuira pas à la paix et à la stabilité régionale (4e).

Tout est affaire d’interprétation… Avec l’annexion de la Crimée et son soutien aux séparatistes ukrainiens que l’affaire du vol MH-17 mettrait en exergue, la Russie ne remplit pas le 4e critère défini par ce code de bonne conduite,  ni même le 5e puisque l’Ukraine est désormais un partenaire de l’Union européenne depuis que Kiev a signé l’accord d’association en juin dernier.

« Bien que se référant à ces critères, la décision d’exporter ou non vers tel ou tel pays relève encore de la souveraineté de chacun des États membres qui jugent souverainement si l’exportation garantira le respect de chacun des critères pour accorder l’autorisation. Les décisions sont alors parfois contestables, voire contestées », relativise Sylvie Matelly, dans les Cahiers Irice (Identités, relations internationales et civilisations de l’Europe) (*).

Toutefois, l’on voit mal, en effet, comment la France pourrait contrevenir à des obligations qu’elle a même contribué à mettre en place en livrant les deux BPC à la Russie.

(*) Matelly Sylvie, « Un code de conduite européen pour sécuriser les exportations ? Le cas des exportations d’armes en Europe », Les cahiers Irice 2/ 2010 (n°6), p. 93-110 – URL : www.cairn.info/revue-les-cahiers-irice-2010-2-page-93.htm.

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