Pourquoi la Loi de programmation militaire 2014-2019 est dans l’impasse

Cette semaine, les parlementaires des commissions concernées par les affaires de défense ont averti que les recettes exceptionnelles tirées de la vente aux enchères des fréquences 700 MHz pour la téléphonie mobile ne seraient pas au rendez-vous, comme promis, en 2015. Le manque à gagner pour le budget des forces armées serait d’au moins 1,55 milliard d’euros. Autant dire que sans ces ressources, la Loi de programmation militaire 2014-2019, votée en décembre, est morte.

Cette dernière prévoit un recours sans précédent à ces recettes exeptionnelles (REX) pour financer le budget de la Défense. Sur la période 2014-2019, les forces armées doivent en principe disposer de 190 milliards d’euros de crédits, dont 6,1 milliards de ressources extra-budgétaires.

En outre, 500 millions de REX, mobilisables jusqu’en 2015 et prélevés sur le programme des investissement d’avenir (PIA), déjà sollicité à hauteur de 1,77 milliard en 2014, ont été ajoutés dans l’article 3 de la LPM afin de disposer d’une clause de sauvegarde en cas de problème. Cette somme va en fait servir à compenser 2 annulations de crédits : celle de novembre 2013 (650 millions) et celle décidée en juin (350 millions) dans le cadre du projet de loi de finances rectificative (PLFR) 2014.

Seulement, il se pose un problème de taille : pour que cet argent puisse être disponible pour le ministère de la Défense, encore faut-il qu’il serve à financer des dépenses éligibles selon les règles fixées pour le PIA. « Ces critères, notamment, prohibent l’autofinancement et imposent donc de recourir à des opérateurs de l’État », a rappelé Daniel Reiner, dans le cadre des travaux de la commission des Affaires étrangères et des Forces armées au Sénat.

Or, « en ce qui concerne la mission ‘Défense’, le PIA, en pratique, ne peut financer que des programmes pris en charge soit par le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), soit par le Centre national d’études spatiales (CNES) », a-t-il ajouté. Seulement, le besoin en financement par le PIA de l’ensemble des projets de ces deux structures « paraît avoir déjà été couvert », a affirmé le sénateur.

Aussi, l’idée de revoir le statut de la Direction générale de l’armement (DGA) en la « dotant d’une personnalité morale » afin de lui permettre de devenir un « opérateur de l’Etat » est à l’étude… Mais visiblement, cela suscite peu d’engouement… « La réflexion, à cet égard, semble peu avancée. À preuve, le document qui a servi de support à la présentation à Matignon, le 1er juillet dernier, du rapport d’étape de la mission : sous un intitulé ‘Le changement de statut de la DGA’, la page est restée blanche », a expliqué M. Reiner, pour qui il « paraît peu probable que les ressources du PIA alimentent les REX au-delà des 1,75 milliard d’euros aujourd’hui prévus pour 2014 ». En clair, il ne faudra pas compter sur les 500 millions supplémentaires de la clause prévue par l’article 3 de la LPM.

Mais le plus inquiétant reste la vente aux enchères des fréquences 700 MHz. Pourtant prévue dans les annexes de la LPM, il fallait pourtant s’attendre à de grosses difficultés sur ce point. Et les débats de la commission des Affaires étrangères et des Forces armées ont en effet mis en lumière quelque chose d’énorme.

« S’agissant de la mise aux enchères de la bande des 700 MHz, l’avenir dépend des décisions que doit prendre la Conférence mondiale des radiocommunications programmée en novembre 2015 », explique le sénateur Jacques Gautier.

Comment, dans ces conditions, avoir promis les REX tirées de cette vente pour 2015 alors que l’avenir de ces fréquences 700 MHz ne sera pas connu avant le 11e mois de cette année-là? Comment organiser, en deux mois, des enchères quand l’on sait, comme l’a souligné M. Gautier, que « deux questions fondamentales » devront « être tranchées : à partir de quand l’usage des fréquences de la bande des 700 MHz sera-t-il autorisé, en Europe, pour la téléphonie mobile, et sur quelle largeur de spectre de fréquences exactement cette autorisation sera-t-elle donnée? ». Et encore, une fois ces questions réglées – si elles le sont – « le choix de chaque État concerné, y compris celui de la France, se trouvera encore contraint par le choix des pays frontaliers, compte tenu de possibles effets de brouillage tant que les fréquences en cause seront utilisées, dans ces pays, pour la télévision ».

Mieux encore. Toujours d’après M. Gautier,  l’Agence nationale des fréquences avait estimé au début de l’année 2013 (donc bien avant la sortie du Livre blanc et les discussions sur la LPM) que « la mise aux enchères de la bande des 700 MHz, pour la réattribution de celle-ci à la téléphonie mobile, ne pourrait pas intervenir avant 2017 » étant donné « la nécessité technique de réaménager les fréquences aujourd’hui occupées par la télévision ». Le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) a quant a lui indiqué qu’il fallait 3 ans pour libérer les fréquences. Et le ministère de la Culture et de la Communication a même avancé la date de 2019 dans une note datée de juin 2013.

« Les documents que nous avons recueillis (ndlr, lors du contrôle sur pièces effectué à Bercy le 17 juin) font apparaître que la direction du budget était informée et consciente de ces estimations de calendrier dès le premier trimestre 2013 », avance Jacques Gautier, qui souligne par ailleurs que « dans la conjoncture économique actuelle du secteur, en cours de consolidation, il est estimé, au demeurant, que les opérateurs de téléphonie n’ont ni l’appétence, ni les moyens, d’investir dans de nouvelles fréquences ».

La conséquence de tout cela est que la LPM est dans une impasse. Les idées avancées afin de trouver les ressources nécessaires à sa bonne exécution sont écartées les unes après les autres (comme celle de créer une société de portage, retoquée par Bercy). Une mission a été mise en place le 13 juin dernier pour tenter de trouver des solutions aux problèmes causé par le retard de la vente aux enchère des fréquences.

Ce qui paraît bien tardif pour un des difficultés connue depuis le début 2013, alors que le montage financier de la LPM n’était pas encore bouclé! Qui plus est, en 2015, outre donc le défaut attendu des 1,5 milliard d’euros de REX, le ministère de la Défense devra se passer de 500 millions d’euros, conformément aux chiffres avancés par la programmation budgétaire triennale… 500 millions compensés par de nouvelles ressources extrabudgétaires que l’on a déjà du mal à identifier.

« L’année prochaine s’annonce, de la sorte, extrêmement critique, car au défaut des REX devrait s’ajouter un report de charges de la mission ‘Défense’ anticipé, pour la fin 2014, à hauteur de 3,3 à 3,4 milliards d’euros, dont 2,4 milliards sur le programme 146. Les objectifs capacitaires de la LPM, et ceux de notre base industrielle et technologique de défense, pourraient se trouver gravement compromis par cette situation. D’ailleurs, dans ce contexte d’incertitude, la DGA, depuis mai dernier, a déjà gelé ses engagements, notamment pour les programmes M51-3 et Barracuda ; et le lancement des programmes MRTT et Scorpion reste en attente », a résumé Jean-Louis Carrère, le président de la commission des Affaires étrangères et des Forces armées.

« La notion même de REX implique une certaine incertitude. De fait, on constate aujourd’hui qu’en 2015, et au-delà peut-être, le produit de la mise aux enchères de la bande de fréquences des 700 MHz ne sera pas disponible. Nous voici confrontés à nos responsabilités politiques! », a commenté le sénateur (PS) Jeanny Lorgeoux. C’est au pied du mur que l’on voit le maçon, dit-on…

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