Les jihadistes instaurent un califat entre l’Irak et la Syrie

sykespicot-20140630Depuis l’offensive jihadiste lancée le 9 juin dans le nord et l’ouest de l’Irak, le l’expression clef « #SykesPicotOver » a fait son apparition dans la mouvance radicale présente sur le réseau social Twitter. Ce n’est pas un hasard : l’objectif de l’Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL) est de redessiner les frontières héritées des accords Sykes-Picot de 1916, lesquels ont modelé les pays du Moyen Orient tels que nous les connaissons actuellement.

Héritier de l’organisation terroriste fondée par Abou Moussab al-Zarkaoui (qui bénéficia, pendant un temps, de la bienveillance du régime syrien), puis de l’Etat islamique en Irak, l’EIIL avait subi de gros revers infligés par les forces américaines, aidées par les tribus sunnites. La guerre civile en Syrie lui a permis de recruter massivement des jihadistes étrangers et de rebondir. D’abord en marginalisant l’Armée syrienne libre puis les autres mouvements d’essence islamiste ou proches d’al-Qaïda, comme le Front al-Nosra.

Ainsi, l’EIIL a conquis de la majeure partie de la province de Raqa (nord), de larges parts de celle de Deir Ezzor (est), frontalière de l’Irak ainsi que certains secteurs de celle d’Alep (nord). Par la suite, l’organisation a porté son effort sur le territoire irakien.

D’abord en s’emparant de Falloujah et en prenant le contrôle partiel de Ramadi, au début de cette année, puis en lançant une offensive victorieuse sur Mossoul et plusieurs autres provinces irakiennes à majorité sunnites. Pour remporter ces succès, l’EEIL a dû composer avec d’autres formations, comme le Jaysh Rijal al-Tariq al-Naqshabandi, fondé par d’anciens officiers proches de Saddam Hussein.

La conséquence première de ces offensives, tant en Syrie qu’en Irak, est l’affaiblissement des régimes en place, alaouite à Damas (branche du chiisme) et chiite à Bagdad. Du coup, les minorités kurdes présentes dans ces deux pays pourraient en profiter pour obtenir davantage d’autonomie, si ce n’est leur indépendance (ce que la Turquie verrait d’un très mauvais oeil). D’ailleurs, les Kurdes irakiens ont, ces derniers jours, poussé leurs pions, notamment en augmentant leur emprise sur la ville pétrolière de Kirkouk.

Quant à l’EIIL, et alors que le monde musulman vient d’entrer dans la période du ramadan, son porte-parole, Abou Mohammad al-Adnani, a annoncé, via un enregistrement audio diffusé par internet, l’établissement d’un califat s’étendant de la région d’Alep en Syrie jusqu’à celle de Diyala dans l’est de l’Irak.

« Lors d’une réunion, la choura (conseil) de l’Etat islamique a décidé d’annoncer l’établissement du califat islamique et de désigner le cheikh Al-Baghdadi (ndlr, le chef de l’EIIL) calife des musulmans », a-t-il affirmé. « Al-Baghdadi, appelé désormais le calife Ibrahim a accepté cette désignation par allégeance et est devenu ainsi calife des musulmans partout (dans le monde) », a-t-il poursuivi. « Les mots Irak et Levant sont supprimés du sigle EIIL, dont le nom officiel devient désormais l’Etat islamique », a-t-il encore ajouté.

Ensuite, al-Adnani n’a pas manqué de faire de la propagande. « Musulmans! rejetez la démocratie, la laïcité, le nationalisme et autres ordures de l’Occident, revenez à votre religion (…) L’Occident et l’Orient se soumettront à vous, c’est la promesse de Dieu », a-t-il lancé. « Vous n’avez aucune excuse religieuse pour ne pas soutenir cet Etat. Sachez qu’avec l’établissement du califat, vos groupes ont perdu leur légitimité. Personne ne peut ne pas prêter allégeance au califat », a-t-il dit à l’adresse des autres groupes jihadistes et islamistes.

Le terme « calife » n’est pas anodin puisque c’est le titre que prirent les successeurs du prophète Mahomet. Jusqu’à présent, il y a eu 4 califats : « Omeyyade » de Damas (exilé à Cordoue), « Abbasside » de Bagdad, Fatimide » du Caire et Ottoman, ce dernier ayant été aboli par Mustafa Kemal Atatürk en 1924.

L’annonce de l’instauration d’un califat sur un territoire englobant des régions syriennes et irakiennes est de nature à marginaliser al-Qaïda « canal historique », dont les cadres sont au Pakistan. Le chef de l’organisation co-fondée par Oussama Ben Laden, Ayman al-Zawahiri, avait récemment désavoué l’EIIL pour ses actions en Syrie et réaffirmé la prédominance du Front al-Nosra.

« D’un point de vue géographique, l’Etat islamique est déjà parfaitement opérationnel en Irak et en Syrie. Il est en outre présent -mais caché- dans le sud de la Turquie, semble avoir établi une présence au Liban, et a des partisans en Jordanie, à Gaza, dans le Sinaï, en Indonésie, en Arabie saoudite, et ailleurs », a expliqué, à l’AFP, Charles Lister, chercheur associé à Brookings Doha. « Baghdadi pourrait désormais ordonner des opérations peut-être en Jordanie, ou en Arabie saoudite. Et on peut s’attendre à une augmentation de la violence en Irak dès aujourd’hui », a-t-il ajouté.

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