La mission spéciale des aviateurs français du Squadron 342 « Lorraine » à l’aube du 6 juin

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Seuls français à débarquer, le 6 juin 1944, sur les plages normandes (en l’occurrence celle de Sword, à Colleville), les 177 hommes du commando Kieffer furent longtemps oubliés par l’histoire officielle. Il faut dire que, le Jour J, ce sont 156.177 soldats alliés (dont environ 72.000 Américains, 64.000 Britanniques et 21.000 Canadiens) qui furent lancés dans la bataille.

De nos jours, cet oubli est réparé : il suffit de voir le nombre de livres qui leur sont dédiés pour s’en convaincre, sans compter les documentaires télévisés et les articles de presse. Et l’on peut même entendre que le commando Kieffer fut la seule unité française à avoir été engagée ce 6 juin 1944. Seulement, ce n’est pas tout à fait exact.

En effet, 36 commandos français du 4e SAS (ex-4e Bataillon d’infanterie de l’Air devenu 2e Régiment de chasseurs parachutistes) furent parachutés en Bretagne, afin d’y appuyer les maquis des Forces françaises de l’Intérieur pour mener des actions de guérilla contre les forces allemandes. Le Jour J, La Combattante, un torpilleur des Forces navales françaises libres (FNFL) apporta un appui-feu pour le débarquement des troupes à Corseulles-sur-Mer (secteur de Juno Beach) : elle détruisit ainsi plusieurs batteries côtières ennemies. Ce navire battant pavillon tricolore fut donc ainsi l’un des bâtiments de guerre de la task force alliée de bombardement engagée ce jour-là, comme d’ailleurs les croiseurs légers Georges Leygues et Montcalm (Bombardment Group 124.9 – Task Force C)

Mais si l’opération Overlord fut un succès, c’est aussi (et surtout) grâce à la puissance aérienne des forces alliées, qui disposaient de plus de 11.000 appareils à opposer à la Luftwaffe, qui ne comptait alors plus qu’entre 400 et 600 avions. Depuis janvier 1944, les aviateurs alliés multiplièrent en effet les sorties afin d’entamer le potentiel de l’aviation allemande.

Lors du Jour J, les forces aériennes alliées jouèrent donc un rôle capital. Ne serait-ce déjà pour larguer les 13 000 parachutistes américains et 10 000 autres britanniques derrière les lignes allemandes. Pour cela, les chasseurs furent mobilisés pour couvrir les 832 avions de transport C-47 Dakota. Les bombardiers furent employés pour larguer 4.000 tonnes de bombes sur les défenses allemandes déployées sur les principaux sites du débarquement.

Moins connu est le rôle tenu par le Group 100 de la Royal Air Force, spécialisé dans la guerre électronique. Les 5 et 6 juin, ses avions s’employèrent à larguer des paillettes au large des ports de Boulogne et du Havre afin de brouiller les radars allemands « Freya » avec le but de faire croire à l’ennemi qu’un débarquement se préparait dans la région du Pas-de-Calais. Il s’agissait-là de l’ultime épisode de l’opération Fortitude.

Les aviateurs français eurent leur part, mais pour une toute autre mission. Ainsi, au matin du 6 juin, le Squadron 342 « Lorraine », alors doté de Douglas Mc IIIA Boston et qui compta dans ses rangs l’écrivain Romain Gary ainsi que Pierre Mendès France), fut engagé, avec le Squadron 88, dans une opération bien particulière puisqu’il s’agissait de répandre un rideau de fumée sur les plages d’Omaha et d’Utah afin de masquer les péniches de débarquement. Cet épisode demeure très peu connu. Seule la Royal Air Force le mentionne…

Ce n’est que dans l’après-midi du 5 juin que les équipages du « Lorraine » apprirent l’imminence du débarquement allié. Les permissions et les sorties sont donc annulées. Dès 16 heures, les mécaniciens reçoivent l’instruction de peindre des bandes blanches sur les avions du squadron : signe que les choses se précisent… Après avoir pris connaissance des ordres, les armuriers placent à bord des Douglas des pots de fumigène en lieu et place des bombes que certains s’attendaient à larguer sur les défenses allemandes.

À 22 heures, c’est l’extinction des feux : le mess est fermé jusqu’à nouvel ordre… Quatre heures plus tard, lors du briefing, les détails de la mission sont précisés : il est question de répandre un rideau de fumée toute les 10 minutes, à compter de 6 heures. Il est prévu que « Lorraine » fasse décoller 6 paires de Boston. Les appareils devront voler à très basse altitude (50 pieds!), à une vitesse de 500 km/h, tout en déclenchant leurs 4 pots de fumigène toutes les 10 secondes.

Les avions du Squadron 88 décollent à 4h45 pour atteindre la côte normande 45 minutes plus tard. Pour le Lorraine, 6 équipages sont sur le pied de guerre. À 5h10, le premier (lieutenant-colonel Gorri, sous-lieutenant Hennecart et sergent Mingam) prend l’air à son tour, suivi par son ailier (lieutenant Leneindre, lieutenant Marcassus et sergent Martin). Et puis c’est le tour des autres Douglas du Lorraine, à 10 minutes d’intervalle.

Si le danger ne vient pas forcément de la chasse allemande (inexistante ce jour-là face à la couverture aérienne assurée par les unités alliées – dont les squadrons 341 « Alsace », 340 « Ile de France », 329 « Cigognes » et 345 « Berry », sans oublier un certain Pierre Clostermann, détaché au Squadron 602), les Douglas du Lorraine doivent faire face à la terrible Flak (la DCA allemande) qui vise les bombardiers Marauders. C’est ainsi que l’équipage formé par le sous-lieutenant Canut (navigateur) et les sergents Boissieux (pilote) et Henson sera abattu…

La RAF, qui leur dédie une page sur son site Internet, précise qu’ils furent « les trois premiers aviateurs français à être abattus au cours du débarquement en Normandie, à l’aube du 6 Juin ». Dans le cahier de marche du Lorraine, dont des extraits ont été publiés dans la revue éditée par l’Association Guerrelec « La Fayette », il est écrit :

« BOISSIEUX et sa petite moustache, cherchant toujours à bien faire et luttant contre la malchance. CANUT, grand fou, gai et bon vivant, truand à ses heures et franc-buveur aimé des Britanniques pour son ‘French type’ accentué. HENSON, ayant toujours l’air d’avaler la moitié de ses phrases avec son chewing-gum, sympathique cocktail franco-britannique ».

Au total, cette mission d' »enfumage » des défenses côtières allemande aura été un succès. Deux appareils manqueront cependant à l’appel : outre celui de l’équipage Boissieux-Canut-Henson, le Squadron 88 a perdu l’un des siens. Un autre rentrera à Hartford Bridge Hants sérieusement endommagé par la Flak.

Actuellement, l’Escadron de chasse 3/30 Lorraine est toujours actif. Doté de 6 Rafale, il est affecté à la base aérienne française 104 d’Al Dhafra, aux Emirats arabes unis.

Pour aller plus loin : Un site dédié aux groupes de bombardement des FAFL

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