Capturé puis libéré par les taliban, le sergent Bergdahl est accusé d’être un déserteur

Après le temps du soulagement, voici venu celui de la polémique. Libéré après 5 ans de captivité en échange du transfert vers le Qatar de 5 importants responsables du mouvement taleb, dont certains passent pour être très dangereux, le sergent Bowe Bergdahl devra désormais lever le voile sur plusieurs zones d’ombre de son histoire.

Quel est le profil de ce sous-officier? Le magazine Rolling Stones a publié son portrait en juin 2012. Originaire de l’Idaho, né dans une famille modeste, calviniste et très pieuse, Bowe Bergdahl, scolarisé à domicile, est éduqué selon des principes moraux strictes et un brin survivalistes. À l’âge de 5 ans, il sait manier un .22 long rifle et monter à cheval. Adolescent, il se prend de passion pour l’escrime et, plus surprenant, pour la danse. Grand lecteur, le jeune homme rêve d’aventures et entreprend les démarches pour s’engager dans la Légion étrangère (il aurait même commencé à apprendre le français). Recalé, il rejoint, 3 ans plus tard, l’US Army. Lors de son instruction militaire, à Fort Benning, il passe pour être zélé et solitaire.

Affecté en Afghanistan avec son unité, visiblement, il déchante quelque peu. Rolling Stones écrit : « La durée de la guerre [en Afghanistan et en Irak, ndlr] a contraint le Pentagone à envoyer de plus en plus de recrues qui n’étaient pas préparées et indisciplinées, comme dans l’unité de Bowe. Pour atteindre ses objectifs de recrutement, l’armée avait réduit ses normes d’aptitudes intellectuelles et donné plus de dérogations pour permettre l’engagement de candidats ayant un passé criminel ou des problèmes avec la drogue ».

D’où, certainement, la déception de l’idéaliste Bergdahl, qui passait ses loisir à lire et à étudier les cartes de sa future zone de déploiement pendant que ses camarades feuilletaient le dernier numéro de Playboy.

Trois jours avant sa capture, le jeune soldat a d’ailleurs dénoncé, dans un courriel envoyé à ses parents la conduite d’une partie de ses camarades et le fonctionement « absurde » de l’US Army. « J’ai pitié de tout ici, écrit-il alors au sujet des Afghans. Ces gens ont besoin d’aide, et tout ce qu’ils ont, c’est la nation la plus arrogante au monde qui les traite comme des moins-que-rien ». Et d’ajouter même : « J’ai honte d’être Américain ».

Bien évidemment, ces propos, retranscrits par Rolling Stone, laissent tout supposer au sujet des circonstances de sa capture, lesquelles n’ont jamais été clairement établies à ce jour. Selon les documents publiés par WikiLeaks en 2010 (les compte-rendus de situation), l’on sait que Bowe Bergdahl n’a pas répondu à l’appel le 1er juillet 2009 et que les communications entre taliban interceptées par les forces de l’Otan mentionnent alors un Américain sans arme mais équipé d’une caméra, trouvé dans les environs d’un village situé près de la base où il était affecté. Mais les insurgés, à l’époque, ne sont guère précis. Certains disent qu’il était sous l’emprise de l’alcool. D’autres prétendent qu’il a été arrêté « assis sur les toilettes »…. Même sur les conditions de sa captivité, des responsables de la rébellion ont donné des versions contradictoires…

Quoi qu’il en soit, pour certains de ses anciens « camarades » de la « Blackfoot Company », il ne fait aucun doute que Bowe Bergdahl est un déserteur. C’est le cas notamment de l’ex-sergent Matt Vierkant, cité par CNN. « J’étais déjà énervé, mais maintenant, avec tout ce qu’il se passe, je le suis encore plus », s’est-il emporté. Il a « a déserté pendant sa mobilisation, et ses compatriotes ont perdu la vie en le cherchant », a-t-il accusé, en demandant qu’il soit jugé devant un tribunal militaire.

« Il s’est barré. Il était là-bas pour nous protéger et au lieu de ça, il a décidé de tracer son propre chemin », a également dénoncé Jose Bagget, un ex-soldat de la Blackfoot Company. Sur Facebook, une page intitulée « Bowe Bergdahl is NOT a hero » a été créée pour exiger que l’ancien prisonnier soit puni pour « abandon de poste ». D’ici qu’il soit question d’un scénario à la « Homeland », il n’y a qu’un pas…

Cependant, pour l’armée américaine, la disparition de Bowe Bergdahl n’a jamais été classée comme un abandon de poste ou une désertion. D’ailleurs, pendant les 5 années de sa captivité, il a même été promu au moins à deux reprises. Et il doit encore l’être en juin prochain. Ce qui paraît bien curieux pour un déserteur présumé…

« Nous l’avons ramené à la maison. Nous avons respecté notre principe de ne jamais abandonner un camarade. Il y aura le temps à l’avenir de gérer toutes ces questions » sur les circonstances de sa capture, a ainsi expliqué le colonel Steven Warren, un porte-parole du Pentagone. « Nous n’avons toujours pas d’idée précise sur ce qui a provoqué son départ de la base cette nuit-là », a toutefois admis le contre-amiral John Kirby, un autre communicant de la défense américaine.

Toujours est-il que le secrétaire à l’US Army a indiqué qu’il sera mené « effort complet et coordonné (…) pour mieux connaÎtre les circonstances de sa disparition et de sa captivité » et que le général Martin Dempsey, le chef d’état-major interarmées, a affirmé, en rappelant le principe de la présomption d’innocence, que « les chefs de notre armée ne fermeront pas les yeux si une faute délibérée a été commise » par le sergent Bergdahl.

Cela étant, connaître exactemement les circonstances de la capture de Bowe Bergdahl permettrait à l’administration américaine d’éteindre la polémique qui ne cesse d’enfler sur les conditions de la libération de ce dernier. La transfert au Qatar de 5 responsables du mouvement taleb alors détenus à Guantanamo, a du mal à passer, surtout si c’était pour obtenir la libération d’un déserteur…

Qui plus est, la manière dont tout cela s’est passé fait jaser. « En exécutant ce transfert, le président viole clairement les lois stipulant qu’il doit informer le Congrès trente jours avant tout transfert de terroristes de Guantanamo, et expliquer en quoi la menace représentée par ces mêmes terroristes est considérablement atténuée », ont dénoncé le représentant Howard McKeon et le sénateur James Inhofe. « Nous sommes vraiment inquiets de ce tournant dans la politique des États-Unis, qui était de ne pas négocier avec des terroristes », a surenchéri Mike Rogers, le président républicain de la commission du renseignement de la Chambre des représentants.

L’histoire de Bowe Bergdahl pourrait faire penser à celle du sergent Charles Robert Jenkins. Redoutant d’aller au Vietnam, ce dernier avait rejoint en douce (et après avoir avalé quelques bières) les lignes nord-coréennes en 1965. Libéré en 2004, il fut condamné à 30 jours de détention à son retour. Mais il n’a jamais été promu à un grade supérieure pendant les 39 années passées en Corée du Nord.

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