Budget de la Défense : « Quand c’est flou, c’est qu’il y a un loup »

« Quand c’est flou, c’est qu’il y a un loup », a dit un jour Martine Aubry, candidate malheureuse des primaires du Parti socialiste en 2011. Et du flou autour des crédits militaires, ce n’est pas ce qui manque depuis que le député et ancien ministre Xavier Bertrand a parlé de l’éventualité de nouvelles coupes dans le budget de la Défense.

De source sûre (le Sécrétariat général de la défense et de la sécurité nationale, qui dépend du Premier ministre), le parlementaire a assuré, le 11 mai, que le gouvernement envisageait des coupes de « 1,5 à 2 milliards d’euros par an pendant trois ou quatre ans » dans le budget de la Défense dans le cadre de son plan d’économies de 50 milliards.

Depuis, on a eu droit aux traditionnels « éléments de langage » pour démentir les propos de M. Bertrand. « Les crédits militaires ne sont pas comme les autres mais chacun devra faire des efforts », « les équilibres globaux de la Loi de programmation militaire seront respectés » mais il y aura de « possibles ajustements » (enfin peut-être mais ils sont prévu de toutes façons), « la LPM sera appliquée » parce que « c’est important pour notre souveraineté », mais il y aura « des ajustements » dans la mesure du possible… Bref, à force, on ne sait plus trop quoi penser.

Et si l’on ajoute la confusion apportée par des « tweets » de journalistes non spécialisés qui semblent confondre compensation de « recettes exceptionnelles » qui ne seraient pas en rendez-vous (celles liées à la vente de fréquences hertziennes) et maintien, comme prévu, du budget de la Défense à 31,4 milliards d’euros, on n’est pas rendu…

Cela étant, et malgré les démentis qui n’en sont pas vraiment (il est pourtant simple clairement de démentir ce qui est faux…), l’on s’agite au ministère de la Défense (il est fait état de la tentation chez certains chefs d’état-major de démissionner (Le Figaro, Le Monde) et chez les industriels de l’armement. Ces derniers ont demandé à être reçus par le président Hollande, qui, bien qu’il a promis au moins à 4 reprises que les crédits militaires ne serviraient pas de variable d’ajustement budgétaire, reste bien silencieux sur ce dossier.

D’ailleurs, le journaliste Bruno Dive (Sud Ouest), écrit à ce sujet : « Selon nos informations, Jean-Yves Le Drian serait allé voir son ami Hollande pour lui demander de réitérer son engagement de sanctuariser le budget de la Défense. Mais, contrairement à ce qu’il avait fait du temps de Jean-Marc Ayrault, François Hollande lui a opposé une fin de non-recevoir et lui a demandé de s’adresser au Premier ministre… Une attitude pour le moins étrange, car même en période de cohabitation, les présidents ont toujours veillé à garder la haute-main sur les questions de défense ».

En outre, des rumeurs sur de possibles coupes budgétaires circulaient bien avant la sortie de Xavier Bertrand. C’est d’ailleurs bien pour cela que le chef d’état-major des armées (CEMA), le général de Villiers, a consacré une bonne partie de son exposé sur la dissuasion nucléaire, le 7 mai, devant les députés de la commission de la Défense, pour mettre en garde contre leurs conséquences.

Qui plus est, en fonction des différents scénarii, des chiffres, qui ne tombent pas du ciel, circulent. Ainsi, pour les Echos, les coupes dans le budget de la Défense seraient de 2,3 milliards d’euros. Selon la Tribune, le Premier ministre aurait tranché pour au moins 1 milliard. Le quotidien Le Monde a donné la fourchette de 3 à 6 milliards selon les hypothèses étudiées. Et il semblerait bien que ce soit la bonne puisque que c’est celle également rapportée par Jean Guisnel (Défense Ouverte, Le Point), qui parle d’informations « recueillies auprès de sources crédibles ».

« Le ministre des Finances et des Comptes publics Michel Sapin a enfin fait connaître en haut lieu, verbalement à ce stade, qu’il souhaite une remise en cause des engagements budgétaires de la loi de programmation militaire votée par le Parlement en décembre 2013. Les responsables militaires ont pris connaissance très récemment de ces précisions, conformes aux déclarations du député UMP Xavier Bertrand le 11 mai dernier », soit une baisse de 1 à 2 milliards sur 3 ans, écrit le journaliste du Point, toujours bien informé.

En clair, cela veut dire que la Loi de programmation militaire 2014-2019, calculée au plus juste pour prendre en compte l’impératif de redressement des comptes publiques, serait caduque, à peine 6 mois après son entrée en vigueur. Des programmes d’équipements majeurs seraient menacés (renouvellement des blindés de l’armée de Terre, avions ravitailleurs sans lesquels il n’y a pas de projection de force possible, satellite CERES, etc…).

Quel que soit le montant des coupes budgétaires, ces dernières mettront en péril l’équilibre de la LPM : une brique en moins et tout s’effondre, comme l’avait souligné M. Le Drian, l’automne dernier. Aussi, la riposte semble s’organiser au sein des commissions parlementaires dédiées aux affaires de défense.

« S’agissant du respect de la LPM, nous avions voté en ayant conscience que les moyens étaient « juste insuffisants ». C’est la raison pour laquelle j’avais insisté pour que nous adoptions un amendement visant les 2% du PIB norme Otan en cas de retour à bonne fortune. Je considère inenvisageable une réduction de ces crédits sauf à remettre en chantier un nouveau Livre blanc et une nouvelle LPM », a ainsi affirmé Jean-Louis Carrère, le président (PS) de la commission des Affaires étrangères et des Forces armées du Sénat, en conclusion d’une réunion tenue le 14 mai dernier sur la situation en Centrafrique.

Quant à Patricia Adam, la présidente (socialiste) de la commission de la Défense et des Forces armées de l’Assemblée nationale, elle compte convier les parlementaires « investis dans les questions de défense », les industriels et des experts à un « petit-déjeuner » le 23 mai afin d’aborder ce dossier.

« Vous n’ignorez rien des enjeux budgétaires en cours de discussion et de l’état réel des crédits de la Défense. Un certain nombre d’initiatives ont d’ores et déjà été prises pour sensibiliser les différents décideurs sur la situation très particulière du budget de la Défense et sur les efforts sans pareil accomplis depuis des années par ce ministère. Compte tenu des enjeux et du constat que je fais de tensions chez nos partenaires militaires et industriels, je vous propose de nous réunir en fin de semaine pour échanger nos informations », a écrit Mme Adam dans son invitation.

« Mon objectif, a-t-elle ajouté, est naturellement de parvenir à renforcer l’esprit collectif s’il en est besoin et de s’entendre sur les suites ».

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