La crise ukrainienne pourrait mettre un coup d’arrêt à la baisse des dépenses militaires européennes

Lors d’un colloque organisé en juin 2010 par le Conseil économique de défense, l’amiral Guillaud, alors chef d’état-major des armées (CEMA) avait établi un constat sévère sur « la volonté des Européens à développer leur personnalité stratégique, à s’affirmer en acteur stratégique autonome, in fine, en puissance militaire crédible ».

A l’époque, l’environnement économique, marqué par la crise financière, avait conduit de nombreux pays européens à accentuer la baisse de leurs dépenses militaires. Pour l’ancien CEMA, cette tendance était alors susceptible de créer un « risque capacitaire majeur pour l’Europe de la défense », avec une Politique de sécurité et de défense commune (PSDC) reléguée au rang de ‘soft power’, et de provoquer un « décrocrage technologique » pouvant entraîner des « problèmes d’interopérabilité  » au sein de l’Otan ainsi qu’une « en cause des modèles de forces ».

« C’est le scénario d’une Europe de la défense avortée, une Europe spectatrice de l’Histoire, une Europe, à terme, victime potentielle de l’Histoire. C’est à dire, une Europe qui n’a pas su ou voulu tirer les leçons de l’Histoire et qui s’est laissée bercer ou berner par les sirènes du court terme! », avait lancé l’amiral Guillaud. Et il n’était alors pas encore question de crise ukrainienne et de tensions avec la Russie…

Un an plus tard, l’américain Robert Gates, qui s’apprêtait à quitter ses fonctions de secrétaire à la Défense, avait mis en garde les pays européens membres de l’Otan contre la réduction continue de leurs dépenses militaires et leur manque de volonté politique.

« Il est devenu douloureusement évident que des lacunes – en capacité et en volonté – ont le potentiel de compromettre la capacité de l’Alliance à mener une campagne intégrée, efficace et durable dans les airs et sur mer », avait-il affirmé devant le centre de réflexion bruxellois Security and Defense Agenda. Et d’ajouter : « Si la tendance actuelle à la réduction des capacités militaires n’est pas stoppée et renversée, les futurs dirigeants américains – ceux dont la guerre froide n’a pas été l’expérience formative qu’elle fut pour moi – pourraient considérer que l’investissement des Etats-Unis dans l’Otan n’en vaut pas le coup ».

Plus récemment encore, le président Obama s’était encore dit préoccupé par la baisse des dépenses militaires sur le Vieux Continent (désormais inférieures à celles des pays de la zone Asie-Pacifique) et avait appelé les Européens à prendre leurs responsabilités.

Mais les événements en Ukraine et l’attitude de la Russie vont sans doute changer la donne. « Nous devons rester concentrés sur la situation et être prêt à répondre de manière appropriée à la voie que la Russie décidera de prendre », a affirmé le général Philippe Breedlove, le commandant suprême des forces alliées de l’Otan, le 30 avril.

« Sur le long terme, l’Otan doit s’adapter au nouveau modèle de la Russie qui consiste à  recourir à la force pour atteindre ses objectifs », a-t-il ajouté. « Cela va nécessiter une adaptation stratégique dans la dissuasion et de l’assurance pour répondre aux exigences du 21e siècle », a-t-il encore estimé.

Par ailleurs, cette semaine, le Pdg d’Airbus Group, Tom Enders, a indiqué que les inquiétudes nées de ce nouveau contexte allaient mettre sans doute un terme « au déclin des dépenses militaires européennes constatées depuis 10 ans ». Prenant l’exemple d’entretiens qu’il a eus avec des dirigeants polonais, il a affirmé qu’il « ne fait aucun doute à Varsovie que l’Europe et l’Alliance atlantique font face au défi politique et sécuritaire le plus important depuis une génération avec la réapparition d’une Russie assez agressive à ses frontières ».

L’actuel secrétaire américain à la Défense, Chuck Hagel, est sur la même ligne. « Les 28 membres de l’Otan doivent augmenter leur budget consacré à la défense malgré leurs difficultés financières pour faire face à Moscou qui, sur le long terme, va chercher à tester l’Alliance atlantique », a-t-il en effet estimé, le 2 mai, lors d’un discours prononcé devant le Wilson Center, un cercle de réflexion de Washington.

« Face aux actions de la Russie en Ukraine, l’Otan a réagi avec force et volonté pour rassurer ses membres est-européens frontaliers du géant russe », s’est-il félicité. « Mais, a-t-il ajouté, sur le long terme, nous devons nous attendre à ce que la Russie teste la raison d’être de notre alliance, notre énergie, notre engagement ».

« Après 1991, l’Alliance atlantique a recherché le partenariat, pas le conflit, avec la Russie », a encore affirmé M. Hagel. « Mais aujourd’hui, l’Otan doit être prête à revoir les principes élémentaires sous-tendant sa relation avec la Russie », a-t-il expliqué.

Conscient des problèmes économiques et budgétaires de la plupart des pays européens ainsi que des difficultés qu’ont ses homologue à se faire entendre au sein de leur gouvernement, M. Hagel en a appelé à l’organisation d’une réunion ministérielle de l’Otan pour évoquer les investissements de défense aves les ministres des Finances des Etats membres.

« Les leaders dans nos gouvernements doivent comprendre les conséquences des tendances actuelles de baisse des dépenses de défense et aider à sortir de cette impasse budgétaire », a-t-il fait valoir.

Nul doute que le sujet sera sur la table lors du prochain sommet de l’Otan prévu en septembre au Pays de Galles. « L’un des objectifs du sommet sera certainement d’obtenir un engagement de la part des dirigeants à augmenter les dépenses de défense et de mettre davantage l’accent sur les capacités réelles plutôt que de dépenser de l’argent sur de mauvaises choses », a déclaré Alexander Vershbow, le secrétaire général adjoint de l’Alliance, lors d’un déjeuner avec Defense Writers Group.

Pour aller plus loin : « La transformation militaire russe« , par le colonel Michel Goya

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