Le commandant des forces de l’Otan évoque la menace d’une intervention russe en Moldavie

Le commandant suprême des forces alliées en Europe (SACEUR), le général américain Philip Breedlove, a mis en garde, le 23 mars, contre une possible intervention militaire russe en Transnistrie, un territoire appartenant théoriquement à la Moldavie mais qui, peuplé majoritairement de russophones, a proclamé son indépendance.

« Les forces (russes) qui sont à la frontière de l’Ukraine en ce moment sont très, très importantes et très très prêtes », a affirmé le SACEUR, lors du Brussels Forum, organisé par le centre de recherches américain German Marshall Fund. « Ce qui est inquiétant d’un point de vue militaire, c’est que les Russes ont utilisé toute une série d’exercices militaires pour nous ‘conditionner' », a-t-il ajouté.

« Par le passé, l’Otan a observé plusieurs exercices à large échelle de l’armée russe, où des forces importantes étaient mises en état d’alerte et conduisaient des exercices, avant de se retirer », a ainsi expliqué le général Breedlove. « Il y a absolument suffisamment de troupes (russes) positionnées à l’Est de l’Ukraine pour qu’elles se précipitent en Transnistrie si une telle décision de le faire devait être prise à Moscou », a-t-il prévenu, en estimant tout cela « très inquiétant ».

« Ce que nous voyons, c’est une rhétorique similaire à celle utilisée lorsqu’ils sont entrés en Crimée », a encore poursuivi le SACEUR, avant d’ajouter que « la Russie agit à présent plus comme un adversaire que comme un partenaire ».

« Je pense que nous devons penser à nos alliés, au positionnement de nos forces dans l’alliance et le niveau d’alerte de ces forces, afin que nous soyons là pour nous défendre, si nécessaire, en particulier dans la région de la Baltique et ailleurs », a-t-il par ailleurs estimé. Voilà ce qui prend à contre-pied la nouvelle stratégie américaine, qui donne la priorité à la région Asie-Pacifique. Qui plus est, ce sont des propos que certains imaginaient ne plus à entendre…

La semaine passée, le président moldave, Nicolae Timofti, a fait part de sa préoccupation au sujet d’une répétition du scénario qui s’est produit en Crimée pour son pays. Et le fait que les forces armées russes aient fait des manoeuvres en Transnistrie alors que le Parlement de ce territoire se serait adressé à Moscou pour demander son rattachement à la Fédération de Russie, ne fait qu’ajouter à l’inquiétude de Chisinau.

Car, à bien des égards, la situation de la Moldavie ressemble à celle de l’Ukraine. Ce pays de 33.000 km2 est en effet partagé entre deux mondes : le latin et le slave. Sa population compte 65% d’habitants parlant le roumain et 27% de russophones. Le reste étant composé de plusieurs minorités, dont les Gagaouzes (des turcophones chrétiens) et des Bulgares.

L’histoire de la Moldavie est mouvementée. Etablie en principauté au XIVe siècle, elle devient vassale de l’Empire ottoman avant d’être annexée, en 1812, par la Russie. A l’issue de la guerre de Crimée, gagnée par la France et le Royaume-Uni, elle s’unit avec la Valachie pour former la Roumanie indépendante. Toutefois, en 1878, une partie de la Bessarabie, c’est à dire la partie orientale de son territoire, est rendue à Moscou.

En 1918, les Moldaves votent en faveur de l’union avec la Roumanie, laquelle est reconnue par la France, le Royaume-Uni et l’Italie lors de la conférence de Paris de 1920. Sauf que les Soviétiques désormais établis à Moscou refusent. Et, en 1924, est créée, sur la rive gauche du fleuve Dniestr, c’est à dire sur le territoire de l’actuelle Transnistrie, la Républuqye autonome socialiste soviétique de Moldavie (RASSM), essentiuellement peuplée de russophones.

En 1940, dans le cadre du Pacte germano-soviétique, la Moldavie est annexée par Staline et devient la 13e république fédérée de l’Union soviétique (RSSM). Mais, un an plus tard, la Roumanie, alors dirigée par Ion Antonescu, le « Pétain roumain », récupère ce territoire avec le concours de l’Allemagne nazie, après le lancement de l’opération Barbarossa. La Transnistrie devient un lieu de déportion pour les Juifs, les Tsiganes et les Résistants.

Trois an plus tard, la Moldavie change à nouveau de mains et revient dans le giron de l’URSS. Ses frontières définitives sont alors fixées. Ses habitants, déjà éprouvés par la guerre, subissent le joug soviétique : jusqu’en 1955, de nombreux roumanophones sont déportés en Sibérie. Et c’est sans oublier la famine de 1946-1947 qui fit 150.000 victimes. Par ailleurs, le développement industriel de la Transnistrie est privilégié par Moscou, aux dépens de la partie occidentale de cette république.

Quand vient la chute de l’empire soviétique, en 1991, la Moldavie proclame son indépendance. Sauf que, pour la Transnistrie, peuplée très majoritairement de russophones, il n’en est pas question dans la mesure où il est alors craint que Chisinau demande son rattachement à la Roumanie. L’année suivant, des combats éclatent et le président moldave, Mircea Snegur, à l’époque, autorise une intervention armée contre les « indépendantistes » de Tiraspol.

Le conflit se terminera, après plus d’un millier de morts et l’implication de la 14e armée russe commandée par un certain général Aleksandr Lebed, par un accord entre Chisinau et Moscou, lequel prévoit la neutralité de la Russie et l’octroi d’une large autonomie à la Transnistrie en échange d’un non rattachement de la Moldavie à la Roumanie.

Depuis, la Transnistrie, qui s’est officiellement donné le nom de « République moldave du Dniestr », est un Etat de facto indépendant non reconnu par la communauté internationale (à l’exception des anciennes républiques autonomes géorgiennes d’Abkhazie et d’Ossétie du Sud) et qui revendique une proximité avec la Russie, laquelle y maintient une présence militaire. Ce statut qui n’en est pas un fait de ce territoire une plaque tournante à tous les trafics (humains, drogue, armes vers le Caucase, etc…)

Et ce qui risque ne rien arranger est la volonté de Chisinau d’adhérer à l’Union européenne alors que le pays dépend économiquement de la Russie (plus de 90% de son approvisionnement énergétique, 40% de ses exportations). Voilà de quoi rappeler la situation ukrainienne…

En réponse à la menace qui pèse sur la Moldavie, l’ex-Premier ministre luxembourgeois, Jean-Claude Juncker, par ailleurs candidat du centre droit à la présidence de la Commission européenne, a déclaré qu' »après les événements en Ukraine, il était maintenant extrêmement urgent que les Européens signent un accord d’association avec la Moldavie très rapidement, c’est-à-dire dans les prochaines semaines ». Et d’ajouter : « Nous devons barrer la route (au président russe Vladimir Poutine). Il doit savoir qu’il ne peut pas faire en Moldavie ce qu’il a fait en Crimée ».

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