Paris décidera de suspendre éventuellement la livraison des BPC « Mistral » à la Russie en octobre

Il y a quelques jours, le ministre français des Affaires étrangères, Laurent Fabius, a évoqué « l’annulation », puis, en rectifiant le tir peu après, la « suspension » de la livraison à la Russie des navires Vladivostok et Sébastopol, deux Bâtiments de projection et de commandement (BPC) de type Mistral, commandés au chantier naval STX France et à DCNS, en juin 2011, pour 1,2 milliard d’euros. « Ça fait partie du troisième niveau des sanctions. Pour l’instant nous sommes au deuxième niveau », a-t-il précisé, en parlant de l’attitude russe en Crimée.

Mais visiblement, le gouvernement français a décidé de temporiser sur cette question. Le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, a indiqué ce 20 mars qu’une possible décision visant à suspendre le contrat serait prise au moment de la livraison du premier BPC, le Vladivostok. C’est à dire pas avant octobre prochain. Et encore, « à condition que ce soit dans un ensemble de mesures qui pourraient être prises notamment au niveau européen », a-t-il ajouté, tout en assurant que son collègue du Quai d’Orsay « a bien fait d’agiter cette menace ».

Les deux BPC sont « des bateaux qui ne sont pas armés, qui seront des bateaux militaires quand ils arriveront en Russie », a encore fait valoir M. Le Drian, qui a en outre souligné qu’une partie de leurs coques avait été fabriquée par un industriel russe.

Du côté de Moscou, l’on cherche bien évidemment à mettre la pression sur Paris. « La Russie fera valoir ses droits jusqu’au bout en cas de rupture par la France du contrat de livraison de deux navires militaires de type Mistral en raison de la crise ukrainienne », a ainsi déclaré, ce jour, Iouri Borissov,  le vice-ministre russe de la Défense.

« En cas de rupture du contrat sur les Mistral, la partie russe fera valoir ses droits jusqu’au bout en vertu des accords passés, et exigera notamment la compensation de tous les préjudices qu’elle pourrait subir », a-t-il ajouté, en soulignant que des pénalités sont prévues dans l’accord signé en 2011, sans pour autant en préciser les montants.

« Je pense qu’il est prématuré de les rendre publiques. Nous n’en sommes pas arrivés là. J’espère que la partie française va tout de même peser le pour et le contre, et prendre la bonne décision », a estimé M. Borissov.

Le vice-Premier ministre russe, Dmitri Rogozine, a également agité la menace financière à l’égard des autorités françaises. « La France doit soit livrer les BPC Mistral à la Russie, soit rendre l’argent versé par Moscou dans le cadre du contrat », a-t-il indiqué le 19 mars.

« Remplissez vos obligations contractuelles et livrez les navires dans les délais prévus ou rendez-nous notre argent et les poupes de ces navires, assemblées sur nos chantiers navals de la Baltique! », a-t-il encore insisté sur sa page Facebook.

Par le passé, la France a déjà décidé d’annuler des livraisons d’équipements militaires. En 1969, le général de Gaulle décrèta un embargo sur les armes à destination d’Israël. Problème : l’Etat hébreu avait commandé, quelques mois auparavant, 12 vedettes lance-missiles aux Constructions mécaniques de Normandie (CMN) ainsi que des avions de combat Mirage 5. Que s’est-il passé par la suite?

Pour les bateaux, un commando israélien en a subtilisés 5, avec, semble-t-il, la complaisance, ou du moins une certaine passivité des autorités françaises. Cela donna lieu à l’affaires des « vedettes de Cherbourg« . Quant aux Mirage 5, ils ont tout simplement été reversés à l’armée de l’Air (à la 13e escadre de chasse, alors à Colmar).

Si la livraison des BPC est gelée, voire annulée, ces deux scenarii seraient invraisemblables. D’ailleurs, étant donné qu’ils ont été conçus afin de correspondre aux besoins russes, l’on imagine mal qu’ils soient reversés à la Marine nationale. Et cela d’autant plus que le dernier Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale prévoit de l’en doter que de seulement 3 exemplaires, lesquels sont déjà en service. Qui plus est, avec une Loi de programmation militaire (LPM) qui peut dérailler à tout moment, débourser 1,2 milliard d’euros porterait un rude coup au budget de la Défense. Cela voudrait dire moins d’argent pour financer d’autres programmes prioritaires (frégates multimissions, sous-marins nucléaires d’attaque Barracuda).

Une autre solution serait de les revendre à un autre pays. Il y a de la demande pour ce type de navire… Mais qui en voudrait, étant donné qu’ils ont été construits pour les besoins particuliers de la marine russe? A moins de consentir un gros rabais? Quoi qu’il en soit, si le contrat BPC ne va pas à son terme, ce sont les finances publiques françaises qui risquent de trinquer…

Conformément à l'article 38 de la Loi 78-17 du 6 janvier 1978 modifiée, vous disposez d'un droit d'accès, de modification, de rectification et de suppression des données vous concernant. [Voir les règles de confidentialité]