Quand les militaires français espionnaient les Soviétiques…

Ce n’est pas tout d’obtenir des renseignements. Encore faut-il les exploiter. Par exemple, dans les années 1980, l’on estimait qu’un hélicoptère d’attaque Gazelle avec ses missiles HOT avait le temps de détruire 10 blindés du Pacte de Varsovie avant d’être abattu. Sauf que les états-majors n’avaient pas pris en compte que les Soviétiques disposaient de missiles antiaériens légers jusqu’à l’échelon de la section d’infanterie…  « Nombreux ont été les colonels à avoir été surpris lorsque je leur ai dit cela », se rappelle le major Pierre Bach, qui a fait l’objet d’une biographie écrite (Un espion français à l’Est) par Jean-Jacques Cécile, lui-même ancien des forces spéciales…

Issu de l’arme blindé cavalerie (ABC), Pierre Bach a commencé sa « carrière » d’espion en 1970, au sein d’une unité encore bien mystérieuse pour beaucoup : la MMFL, pour Mission militaire française de liaison auprès du haut-commandement soviétique en Allemagne.

Après la Seconde Guerre Mondiale, le territoire allemand avait été divisé en 4 zones d’occupation attribuées aux vainqueurs, c’est à dire les Etats-Unis, la Russie, la Grande-Bretagne et la France. Pour régler les problèmes qui se posaient alors, des organismes de liaisons entre les différents états-majors furent mis en place, via des accords bipartites, lesquels précisaient que « les membres des missions auront la liberté de voyager et de se déplacer sur tout le territoire des zones délimitées (est et ouest, donc) conformément aux décisions des Alliés occupant l’Allemagne ». Sauf que cette liberté de circulation est toutefois limitée par l’instauration de zones interdites permanentes et de zone interdites temporaires, cela afin de préserver des regards indiscrets les mouvements de troupes éventuels…

Car si, au départ, l’idée était de créer des structures de liaison, ces dernières furent le prétexte pour mener des missions de renseignement. Une tâche importante pour les Français dans la mesure où, en cas de conflit, les forces soviétiques stationnées en Allemagne de l’Est étaient censées foncer vers l’ouest de la France afin de bloquer l’arrivée par mer des renforts américains. D’où l’intérêt de la MMFL, qui pouvait aller chercher des renseignements en territoire hostile de par son statut (quitte à outrepasser ses droits) ou encore des opérations menées par l’armée de l’Air, avec notamment des Nord 2501 Noratlas « Gabriel », chargés de laisser traîner leurs « oreilles » dans les couloirs aériens menant vers Berlin.

L’ouvrage de Jean-Jacques Cécile revient donc largement sur cette MMFL en racontant les missions effectuées par Pierre Bach en Allemagne de l’Est  et en livrant, au passage, quelques informations qui ne manquent pas de sel. Le sous-officier a été muté à deux reprises au sein de cette unité. Entre-temps, il a continué son travail de renseignement lors de son affectation à l’ambassade de France de Hongrie, auprès de l’attaché militaire. Là encore, les anecdotes, pour certaines croustillantes et très révélatrices, fusent sous la plume de son biographe.

Après un passage à la Force d’action rapide (FAR), le major Bach fut affecté à l’ambassade de France en Croatie, alors nouvellement ouverte, suite à la déclaration d’indépendance de Zagreb. Là encore, l’exploitation des informations obtenues sur le terrain laissait à désirer à l’époque, alors que la Direction du renseignement militaire (DRM) venait d’être créée…

L’on apprend en effet que les dossiers envoyés par le sous-officiers furent à deux doigts de connaître les affres du classement vertical. Il paraît que « les couloirs de l’habituellement benoîte Direction du renseignement militaire ont (…) résonné d’une agitation pour le moins inhabituelle » après un coup de gueule du général Heinrich, qui, informé par Pierre Bach de la situation, piqua une grosse colère…

Cela étant, Jean-Jacques Cécile, en racontant la carrière, riche, du major Pierre Bach, rend bien compte de la réalité de l’univers du renseignement, qui est – mais faut-il encore le répéter et le rappeler sans cesse? – à mille lieues des films d’action. Au passage, il en profite pour dénoncer quelques pratiques « administratives » absurdes, comme l’obligation de dépenser tous les crédits avant chaque 31 décembre, sous peine de voir son budget rogné pour l’année suivante, ou encore les règles mystérieuses qui régissent les affectations. La guerre des « boutons », entre coloniaux et légionnaires d’un côté et « métro » de l’autre, y est aussi dénoncée. Mais il faut dire que l’auteur ne se prive pas non plus pour tâcler les aviateurs… Comme quoi, nul n’est parfait.

Un espion français à l’Est par Jean-Jacques Cécile – Editions du Rocher – 22 euros

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