Sauriez-vous faire atterrir un avion Casa sur un terrain de tennis?

De nos jours, celui ou celle qui s’intéresse aux questions de défense a l’embarras du choix. Ce qui n’était pas le cas il y a quelques années. Désormais, il existe un certain nombre de sites Internet dédiés aux affaires militaires, les journalistes spécialisés de grands médias ont ouvert leur blog, la presse quotidienne aborde régulièrement ces sujets, actualité opérationnelle oblige (mais pas seulement). Et puis c’est sans compter sur les magazines et les revues spécialisées (DSI, qui fête son 100e numéro, les publications notamment des éditions Caraktere et d’Histoire&Collections, Air Fan, Raids, Sécurité Globale etc…). A cela, l’on peut également ajouter les efforts de certains éditeurs (Editions du Rocher, Economica, Lavauzelle, Perrin, Nimrod) qui ont créé des collections concernant cette thématique ainsi que les rapports diffusés par les commissions du Sénat et de l’Assemblée nationale, les compte-rendus d’audition, les études de la Cour des comptes, etc…

Aussi, si jamais l’on souhaite écrire un papier sur la meilleure façon de faire des économies au sein du ministère de la Défense, il y a largement de quoi se documenter pour nourrir sa propre réflexion et ciseler ses arguments. Du moins en théorie. Car ce n’est visiblement pas la peine que s’est donné l’auteur de l’article « Ce que l’armée pourrait gagner à privatiser certaines de ses missions« , publié par Atlantico, ce qui lui donne une audience importante ainsi qu’un certain crédit.

Cet entrepreneur, passé par HEC et contributeur de « Forbes, The Atlantic, The Daily, Le Figaro, Rue89, techPresident, The American Scene et même Fashionista », plaide pour confier au secteur privé certaines tâches assurées par les forces armées françaises, ce qui permettrait de réaliser des économies. Après tout, pourquoi pas défendre un tel point de vue? Oui mais à la condition de s’appuyer sur des arguments solides, sur lesquels il sera possible d’engager un débat.

Or, l’article en question part très mal quand il avance que la défense est le premier poste des dépenses de l’Etat et, qu’à ce titre, elle ne peut pas échapper à « l’austérie », « sous la férule de la Banque centrale européenne et des divers traités européens ». Or, une simple consultation des documents du projet de loi de finances 2014 aurait appris à son auteur que la charge de la dette arrive en tête des dépenses, avec près de 46,9 milliards d’euros. Viennent ensuite l’Enseignement scolaire (46,42 milliards) et la Défense (31,12 milliards).

Ensuite, il est dit dans cet article que « des entreprises comme Fed Ex ou DHL sont plus compétentes en logistique que n’importe quelle armée moderne, qui déploie pourtant énormément d’efforts à la logistique ». Et de prendre pour exemple Blackwater, la société militaire privée américaine (devenue Xe, puis, actuellement Academi), en citant son fondateur, Erik Prince.

Ce dernier aurait expliqué qu’une des tâches de son entreprise était de ravitailler les postes avancés américains en Afghanistan. Une mission « très difficiles pour l’armée. Les routes sont trop dangereuses. Les hélicoptères, lents et bruyants, sont des cibles faciles », commente l’auteur du papier publié par Atlantico. « Blackwater a donc acheté, de seconde main, de vieux avions à hélice CASA qui peuvent attérir (sic!) sur une piste de la longueur d’un terrain de tennis. Ces vieux et petits avions étaient parfaits pour naviguer entre les montagnes et échapper aux Talibans », écrit-il sans sourciller. Plus c’est gros, plus ça passe. Enfin presque

Effectivement, Blackwater a acquis des avions de transport CASA 212, dont la première mise en service remonte à 1974. Ce que notre entrepreneur ne dit pas, c’est la façon de poser un appareil de ce type, d’une longueur de 16,15 m pour une envergure de 20,28 m sur un terrain rectangulaire de 23,77 m de long sur 8,23 m de large (dimensions réglementaires d’un court de tennis…). Admettons que les pilotes de la SMP américaine soient des as défiant l’impossible (et les lois de la physique, des mathématiques et de l’aéronautique). Comment ont-ils faits pour redécoller? Avec un élastique? En vérité, les appareils en question ont effectivement servi à parachuter du ravitaillement. Ce n’est donc pas la taille des avions qui est en cause, seulement la disponibilité et aussi et surtout, si c’est seulement une affaire de sécurité, la capacité de réaliser des Largages de Matériel à très Grande Hauteur (5.000-7.000 mètres) avec ouverture basse (LMTGH-OB) ou à faible ou moyenne hauteur (FH/MH), comme sait très bien le faire le 1er Régiment du Train parachutiste (RTP) en France.

« Une armée moderne n’a ni les postes de dépense, ni la flexibilité organisationnelle, ni la mentalité, ni l’absence de bureaucratie pour aller acheter des avions de seconde main, contraires au réglementations, mais adaptés à la mission », écrit encore notre auteur. Mais c’est oublier, par exemple, que l’armée de Terre a racheté des drones Sperwer d’occasion auprès du Canada. Ou que l’US Marine Corps a repris une partie des Harrier britanniques.

« Aujourd’hui, les modalités de la guerre évoluent. Les guerres ne sont plus faites de batailles en plaine avec des chars d’assaut. Elles ne sont plus faites avec des porte-avions. Elles sont plutôt faites d’opérations chirurgicales, d’interventions de maintien de paix », avance encore ce défenseur de l’externalisation.

Seulement, il y a plusieurs types de conflits. La guerre de russo-géorgienne de 2008 n’a pas invalidé l’usage des chars lourds. Pas plus que l’intervention en Afghanistan et au Mali, où les forces françaises ont déployés des AMX-10 RC. Qu’on le veuille ou non, un canon de 105, ça cause toujours….

Quant aux porte-avions, il faudrait expliquer pourquoi les Etats-Unis vont maintenir leur flotte à 11 exemplaires, les raisons pour lesquelles la Chine, l’Inde ou encore la Russie cherchent à accroître leurs capacités aéronavales et ce que compte faire la Royal Navy avec les deux unités qu’elle a commandées. Et, visiblement, l’apport du Charles de Gaulle au large de la Libye, en 2011, ainsi que le rôle des hélicoptères d’attaques (qui n’ont pas fait de la figuration, loin s’en fait) mis en oeuvre à partir d’un Bâtiment de projection et de commandement) ont déjà été oubliés…

Mais puisque le sujet de fond de l’article en cause est le recours accru au secteur privé pour assurer des tâches dévolues aux militaires, l’armée française pratique l’externalisation depuis longtemps déjà. Par exemple, les élèves-pilotes d’hélicoptères sont formés sur des appareils loués à une entreprise privée. De même que la maintenance des avions école de la BA 709 de Cognac et Xingu de la BA 702 de Bourges-Avord. Les plastrons pour l’entraînement à la défense aérienne sont aussi fournis par un prestataire privé.

Cette politique d’externalisation dans les armées a même fait l’objet d’une étude de la Cour des comptes. Et l’on sait que cette dernière est prompte à traquer le moindre euro mal dépensé. Or, en 2011, elle a montré une certaine réserve face à cette pratique. « Les quelques dossiers qui ont donné lieu à des analyses un peu plus avancées incitent à la plus grande prudence et appellent à des analyses plus poussées, au cas par cas, pour s’assurer que l’externalisation apportent des gains véritables et substantiels », ont en effet écrit les magistrats de la Rue Cambon. Même chose pour une mission parlementaire, qui avait rendu un rapport contrasté quelques mois plus tard…

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