Vers la fin du régiment?

L’on peut faire remonter la notion de régiment au règne de Louis XI, époque où ce roi constitua des « bandes », dont celles de Picardie, créées en 1479, sont à l’origine du 1er Régiment d’Infanterie (RI), actuellement implanté à Sarrebourg. Voire même à la création du corps des « francs-archers » par la petite ordonnance du 28 avril 1448 promulguée par Charles VII.

Quoi qu’il en soit, les armées royales se structurèrent autour du régiment. D’abord d’Infanterie, puis de Dragons (1541), de Cuirassiers (1665), de Hussards (1692), de Chasseurs à cheval (1758) et d’Artillerie (sous le règne de Louis XV). Pendant la Révolution française, il est décidé de changer l’appellation des régiments en leur donnant un numéro en fonction de leur ancienneté (décret du 18 août 1790).

Sous la IIIe République, et au lendemain de la guerre de 1870 et de la Commune, le rôle du régiment va encore gagner en importance, notamment avec la mise en place du service militaire universel (d’où l’expression « faire son régiment »). Il devient le « creuset » de la Nation dans la mesure où les dirigeants politique de l’époque voient dans l’armée un instrument de la cohésion nationale.

Dans les années 1870, il était aussi perçu comme pouvant être un rempart contre la tentation monarchique. Le prétendant au trône de France, le comte de Chambord, ayant refusé les couleurs bleu-blanc-rouge, le régiment contribue à « l’identification du drapeau tricolore au régime qui revendique pour sien l’héritage de la Grande Nation » (1) Chacun d’entre eux recevra ainsi, le 14 juillet 1880, des mains du président Jules Grévy, son étendard ou son drapeau.

Dans le même, le régiment s’enracine localement, grâce à une politique de casernement menée en 1875 par le général Séré de Rivières. « Au même titre que le lycée ou l’école communale », la caserne « a représenté le bâtiment public républicain (2).

Par ailleurs, et quand il s’agissait de surveiller la ligne bleue des Vosges, ou même quand il était question d’expéditions lointaines, comme au Tonkin par exemple, le régiment était déployé avec la totalité de ses compagnies (ou escadron), qu’elles soient de combat ou de soutien. Ce que l’on pouvait le résumer par « un chef, une mission, des moyens ».

Depuis 1980, il s’est amorcé une tendance qui, à terme, posera la question du maintien des régiments en tant que tels. C’est en tout cas l’objet de l’étude faite pour le compte la collection « Focus stratégique » de l’IFRI par le colonel André Thiéblemont et intitulée « La fin du régiment? Trente ans de déstructuration de l’organisation tactique régimentaire« .

A partir des années 1980-90, les engagements militaires extérieurs de la France se multiplient (Liban, Tchad, Balkans, Irak, Rwanda, etc..). Or, l’armée française fonctionne encore avec la conscription, Or, étant donné qu’il n’est pas question, pour des raisons politiques, d’engager le contingent, ce sont des unités professionnelles ou semi-professionnelles, qui sont donc sollicitées. Ces régiments composés de militaires de carrière ou volontaires deviennent alors des « réservoirs de ressources ». Et pour faire le compte, on déshabille Paul pour habiller Jacques, tant au niveau des personnels que des moyens.

La fin de la conscription ne mettra pas fin à cette tendance. Bien au contraire, elle l’aura même accentué, avec la mise en place de bataillons opérationnels dits à structure modulaire, comme le sont les Groupements tactiques interarmes (GTIA), constitués par des « briques » fournies par les régiments. Même si elle répond à une nécessité opérationnelle, cette évolution est toutefois inévitable, compte tenu des suppressions de postes imposées notamment aux forces terrestres.

« Prise en étau entre une demande politique densifiant ses actions extérieures et la rareté des effectifs disponibles pour ces actions, l’armée de Terre est contrainte de bricoler des organisations de fortune. Il s’ensuit une déstructuration de l’organisation tactique régimentaire : le corps de troupe, démembré, est transformé en ‘réservoir de ressources' », explique ainsi le colonel Thiéblemont.

Qui plus est, la constitution des bases de défense où sont mutualisés « les moyens qui conféraient au régiment son autonomie d’action » mettent à mal ce modèle multi-séculaire. « Le chef de corps n’est plus maître de son corps », estime-t-il.

En outre, la cohésion régimentaire peut être mise à mal. « L’économie à tout prix comme la densification, l’intensité et la parcellisation des activités opérationnelles ont en effet provoqué une relative dégradation de la sociabilité régimentaire. Les unités ne cessent de se croiser : l’une à peine revenue, l’autre repart. L’animation de la vie régimentaire devient un défi! Il est rare qu’un chef de corps puisse rassembler en manoeuvre, dans un camp ou dans une manifestation festive l’ensemble de ses unités », relève le colonel Thiéblemont.

L’une des conséquences est « chaque unité a sa propre histoire, sédimentée par des expériences opérationnelles particulières, étrangères, le plus souvent à celle des unités voisines », alors que, dans le même temps, et toujours selon le colonel Thiéblemont,  l’imaginaire et la symbolique du régiment vivent sur des stocks du passé qui ne sont plus renouvelés ». « La nouvelle organisation modulaire des forces terrestres entretiendra ce phénomène. Elle menace de sclérose le fameux esprit de corps. Les solidarités et les micro-cultures qui se fabriquent en compagnie pourraient s’y substituer », estime-t-il.

D’où la question qu’il pose : « Comment le régiment pourra-t-il subsister comme espace social où se construisent et se reproduisent l’esprit de corps et la ‘cohésion indispensable au combat’ si un imaginaire collectif transcendant les particularités de ces unités ne s’y renouvelle pas, si ses membres ne sont plus fédérés dans des expériences communes? ».

(1) Vers l’armée nouvelle, Jean-François Chanet

(2) Histoire militaire de la France, André Corvisier, Guy Pedroncini

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