Quelques considérations sur le choix du Brésil en faveur du Gripen NG

Ainsi, au terme d’un processus qui aura pris plus de 10 ans, le ministre brésilien de la Défense, Celsio Amorim, a confirmé donné le nom du vainqueur de l’appel d’offres FX-2, à savoir le Gripen NG. L’avion du constructeur suédois a coiffé sur le poteau le Rafale de Dassault Aviation et du F-18 Super Hornet de Boeing… Et même le SU-35 que la Russie avait tenté de glisser. Au total, 36 appareils seront commandés, pour environ 5 milliards de dollars. Que faut-il en penser?

1- Un appel d’offres soumis à des influences

Septembre 2009. Le président en exercice à cette époque, Luiz Inácio Lula da Silva exprime sa préférence pour le Rafale. Il ne manquait plus qu’à conclure le contrat de vente. Sauf que les deux autres concurrents de Dassault Aviation se déchaînent et critiquent l’avion français à qui mieux-mieux. Là-dessus, certains journaux brésiliens emboîtent le pas, des rumeurs circulent…

Tout cela au point de contraindre Jean-Marc Merialdo, le directeur de la filiale Brésil de Dassault, à remettre les pendules à l’heure. « Malheureusement, nos rivaux ont commencé à faire des déclarations publiques qui ne correspondent pas à la réalité pour tenter d’influencer la décision » avait-il déclaré, en novembre 2009.

En outre, à la même époque, on avait appris que Saab avait obtenu un délai supplémentaire pour remettre sa copie à Brasilia. Qui plus est, le président Lula était en froid avec la hiérarchie militaire, laquelle poussait, on ne sait trop pourquoi, la candidature du Gripen, alors même qu’il avait été avancé, au début de l’appel d’offres, que cet appareil était inadapté aux besoins des forces aériennes du pays.

Autre exemple des bizarreries relevées ces dernières années. En janvier 2010, un compte-rendu d’évaluation fut évoqué par la presse locale. L’on y apprenait alors que le Gripen arrivait en première place. Puis, deux ans plus tard, un autre rapport d’analyse, établi cette fois par le Comité de coordination du programme d’avion de combat (COPAC) de la Force aérienne brésilienne (FAB), invitait Brasilia à choisir le F-18 de Boeing.

« Le rapport était prêt depuis deux ans, mais il avait été mis de côté par le ministre de la Défense Nelson Jobim », expliquait alors le journal Istoé. Seulement, les chiffres présentés dans le document paraissaient étranges, avec un coût unitaire du Rafale à 175 millions d’euros alors que la Cour des comptes avait avancé, en février 2010, le prix, pour les forces françaises, de 142,3 millions d’euros, frais de développement compris. Pour l’export, le coût de l’avion de Dassault avait été estimé, selon la Rue Cambon, à 101,1 millions d’euros.

2- Le coût d’acquisition et de maintenance a été déterminant

L’on a beaucoup parlé du miracle économique brésilien. Mais en fait de miracle, il conviendrait mieux de parler – sans jeu de mot – de mirage. Les indicateurs les plus récents n’incitent guère à l’optimisme : les taux d’intérêts sont élevés, le prix des matières premières – ressources du pays – stagnent, l’inflation guette, le déficit courant se creuse, la dette publique représente 58,8% du PIB et les finances publiques sont sous tension. Sur le plan monétaire, le real est malmené sur les marchés depuis l’annonce de l’ex-président de la Réserve fédérale américaine d’un éventuel durcissement de sa politique.

Dans ces conditions, le choix d’un avion de combat peu onéreux, tant à l’achat qu’en exploitation, se comprend. « Cette logique financière ne prend en compte ni le ratio coût-efficacité favorable au Rafale », a commenté Dassault Aviation, peu après l’annonce faite en faveur du Gripen.

Selon La Tribune, « le Rafale a un coût de 39.000 euros l’heure de vol (coûts 2006, avant utilisation des nouveaux moteurs M88-4E). Il devait, selon le ministère de la Défense, diminuer à 10.000 euros l’heure de vol pour les Rafale C et B, et à 7.000 euros pour le Rafale M en 2012 ». Sur le papier, celui du Gripen NG, monoréacteur, serait de 4.500 euros seulement. Trop beau pour être vrai?

3- Quid des ambitions aéronavales du Brésil?

Lors d’une visite à Paris, le ministre brésilien de la Défense avait indiqué que son pays commençait « à penser au besoin de bâtir un porte-avions ». Le Brésil dispose déjà de capacités aéronavales, avec le Sao Paulo, qui n’est autre que l’ancien Foch de la Marine nationale.

Les A-4 Skyhawk n’étant pas éternels, le choix du Rafale ou du F-18 Hornet, deux avions qui peuvent être embarqués, aurait donc été logique pour les ambitions brésiliennes en la matière. De son côté, Saab dit travailler sur une version « navale » de son Gripen. Mais avec quelle expérience dans ce domaine, la Suède n’ayant pas de porte-avions?

4- Le Gripen NG, un avion encore en cours de développement

Lors de ses évaluation en Suisse, en 2008, sur les vingt-six vols d’essai qu’il a effectués, le Gripen C/D a atterri 4 fois avec la réserve de carburant en dessous du minimum de sécurité… Et les deux rapports rendus après avoir passé au crible les appareils en lice pour équiper les forces aériennes hélvètes étaient sans appel pour l’avion suédois : il était classé dernier, derrière le Rafale et l’Eurofighter. Ce qui n’a toutefois pas dissuader Berne d’en acquérir 22 exemplaires, au motif que la version commandée – NG – sera bien meilleure que celle testée par Armasuisse. Sauf que plusieurs cadres du département de la Défense ont exprimé leurs réserves lors d’audition devant une sous-commission parlementaire.

« Les performances du Gripen, ‘y compris dans sa future version E/F’, resteront en effet très ‘moyennes’ avait affirmé l’un d’eux, comme l’a rapporté le quotidien Le Matin. « Un peu comme un couteau qui ne coupe pas bien. On peut couper une ficelle, mais si c’est plus dur, on y arrivera plus difficilement », avait-il ajouté. « En général, le vendeur assure qu’il livrera le meilleur matériel possible. Mais il y a toujours un écart entre ce qu’on voulait et ce qu’on reçoit », avait expliqué l’ingénieur en chef Gérald Levrat, fort de ses 30 années d’expérience dans ce domaine.

En outre, le Gripen NG n’est pas encore entré en service. Il le sera sans doute en 2017. Contrairement à ses autres concurrents, il n’a donc pas connu l’épreuve du feu (il n’est pas « combat proven », comme on dit). Comme d’autres pays avec le F-35, la mode serait donc d’acheter des appareils sur le papier…

5- Et les transferts de technologie?

Pendant un moment, il avait été avancé que les transferts de technologie consentis par les 3 concurrents en lice allaient être déterminants. Ils étaient même les « points forts » de l’offre du GIE Rafale International. Et cela, sans restriction et avec le soutien plein et entier des autorités françaises, a plaidé Dassault Aviation.

De son côté, Boeing n’a pas été en reste, allant même jusqu’à ouvrir son réseau commercial à Embraer, le constructeur brésilien, pour l’aider à démarcher des clients. Sans doute que l’approche de Saab aura été jugée plus convaincante. Le constructeur suédois avait signé des accords sans attendre la conclusion de l’appel d’offres, à la différence des deux autres.

6- Le contrat de vente reste à signer

Le Gripen NG a remporté la première manche. Reste maintenant à la concrétiser en signant le contrat de vente. Et là encore, ce n’est pas une mince affaire! Il n’est d’ailleurs pas exclu de voir un nouveau coup de théâtre, tant que que le premier acompte n’aura pas été versé. Cependant, la négociation, selon Celsio Amorim, devrait prendre 10 à 12 mois, pour une première livraison en 2018. Pour le Brésil, cet achat est urgent. Mais ses finances lui permettront-elles d’aller aussi vite?

7- Un avion bourré de technologies américaines

La candidature du F-18 Super Hornet a été écartée, dit-on, à cause des relations diplomatiques tendues entre Brasilia et Washington suite aux révélations faites par l’ex-consultant de la NSA, Edward Snowden, au sujet de l’étendue de l’espionnage américain au Brésil. Bien.

Seulement, les Etats-Unis pourraient tirer quand même bénéfice du choix en faveur du Gripen, dans la mesure où cet appareil est assemblé avec environ un tiers de composants américains. Dont son moteur! La conséquence est qu’il faudra une autorisation de Washington pour que le Gripen puisse être exporté au Brésil, en vertu de la réglementation américaine en la matière (International trafic in Arms Regulations, ITAR).

8- Le choix du Rafale n’aurait eu que peu d’influence sur la Loi de programmation militaire française

La Loi de programmation militaire (LPM) 2014-2019, récemment adoptée par le Parlement, repose en partie sur le pari de vendre des Rafale à l’exportation, afin de permettre à Dassault Aviation de maintenir ses lignes d’assemblage, sachant qu’il est prévu seulement 26 appareils, dans les 5 ans à venir, pour les forces françaises.

Au vu des délais (les forces aériennes brésiliennes attendent leur premier appareil en 2018), la non sélection du Rafale ne change fondamentalement pas la donne. « Et puis le Brésil, même si je dois décevoir les brésiliens, ce n’était pas et ce n’est pas la cible prioritaire du Rafale, nous avons d’autres prospects plus importants. Il y a l’Inde et le Golfe », a fait valoir Jean-Yves Le Drian, le ministre français de la Défense.

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