Pour un député belge, le Rafale serait moins multirôle que le F-35

Les F-16 belges n’étant pas éternels, bien qu’ils aient été modernisés, la question de leur remplacement se pose. La semaine passée, le ministre belge de la Défense, Pieter De Crem, a mis ce dossier sur la table en plaidant que la Belgique se devait de maintenir une « prépondérance en haute technologie ».

« Il est évident que cela représente un coût, ce qui ne rend pas toujours certaines personnes heureuses, surtout en ces temps d’austérité et de déficits budgétaires », a-t-il admis, lors d’une conférence à l’Institut royal supérieur de Défense (IRSD) à Bruxelles, le 11 décembre. Mais « une défense sans une capacité (faite) d’avions de combat est inexistante », a-t-il ajouté. Et de conclure : « Il faut absolument un successeur au F-16 », en évaluant le besoin à 40 nouveaux appareils (contre 54 actuellement en service).

« Si notre pays veut encore jouer un rôle au niveau international, il est incontestable qu’il doit maintenir sa capacité » aérienne. « Sans avions de chasse, la Belgique perdra toute pertinence » à l’égard de ses alliés »européens » et de « l’Otan », a encore fait valoir, le lendemain, devant la Chambre des députés.

Cela étant, Pieter De Crem n’a pas expliciement donné le type d’avion susceptible de remplacer les 54 F-16 actuellement en service au sein de la composante « Air » de la Défense belge. Mais il a subtilement laissé entendre que le F-35 de Lockheed-Martin (ou Joint Strike Fighter, JSF) a sa préférence, étant donné qu’il a déploré la décision du gouvernement emmené par Guy Verhofstadt, au début des années 2000, de ne pas prendre part au programme Joint Strike Fighter.

Face à cette perspective du renouvellement des F-16, la classe politique belge est divisée. D’un côté, les socialistes et les écologistes ne veulent pas en entendre parler. En septembre dernier, évoquant ce dossier, un député PS, Christophe Lacroix, était allé jusqu’à se demander s’il fallait encore une aviation de chasse belge… C’est dire…

D’autres formations politiques, membres de la majorité au pouvoir, s’opposent également à Pieter De Crem, non pas sur le fond, mais sur la forme que pourrait prendre le processus d’acquisition des nouveaux avions de combat, pour lequel elles sont pourtant d’accord. Mieux même : un consensus semble se dessiner en faveur du F-35, avec des arguments parfois surprenants.

Député du Mouvement réformateur, Denis Ducarme s’est exprimé sur ce dossier, au « nom de son parti », dans les colonnes de la Libre Belgique. S’il s’est montré critique à l’égard de Pieter De Crem, qu’il accuse d’avoir une « vision communautaire » du dossier de vouloir « flamandiser » la composante Air en se tournant vers les Pays-Bas (qui vont se doter de 37 F-35 contre 80 prévus initialement), il a indiqué que sa formation politique penchait pour l’avion de Lockeed-Martin.

Et d’expliquer que Bruxelles devait directement négocier avec le constructeur américain « afin d’en tirer les bénéfices économiques pour notre pays ». Car, a-t-il fait ajouté, « si on passe par les Pays-Bas, il ne nous restera que les miettes… »

Pourquoi alors ce choix pour l’appareil de Lockheed-Martin alors qu’en Europe, avec le Rafale, l’Eurofighter et le Gripen, 3 autres avions peuvent prétendre à remplacer le F-16? « Ils sont moins multirôles que les F-35, sur lesquels il est possible d’embarquer une bombe B61 », donc nucléaire, a répondu Denis Ducarme.

Le Rafale moins « multirôles » que le F-35? Première nouvelle! L’avion de Dassault Aviation peut faire de la reconnaissance, de l’appui rapproché, du bombardement ainsi qu’assurer des missions de police du ciel. Qui plus est, il a pu mettre en oeuvre toutes ces capacités en situation de combat. Chose que l’appareil de Lockheed-Martin n’a pas encore fait étant donné qu’il n’est pas entré en service. Mieux même : il n’a tiré ses premiers missiles air-air qu’en octobre dernier.

« Pour ce qui concerne le JSF, le Rafale intègre déjà de nombreuses fonctionnalités de cet appareil pour autant que j’en connaisse », avait estimé le général Denis Mercier, le chef d’état-major de l’armée de l’Air, lors d’une audition au Sénat, le 4 novembre.

Quant aux compensations économiques attendues, il est sans doute trop tard pour Bruxelles : pour le continent européen, les F-35 seront assemblés en Italie. Et il n’est pas prévu d’ouvrir un second centre de production, sauf au Japon, également client de Lockheed-Martin. Quelles seraient, dans ces conditions, les retombées pour la SABCA, la société aéronautique belge?

Enfin, au sujet des bombes nucléaires B-61, dont la modernisation a été annoncée, voilà ce qu’en dit l’Otan : « En temps de paix, ces armes restent sous le commandement et le contrôle des Etats-Unis. Mais en vertu d’un arrangement régi par des accords nucléaires bilatéraux, les pays fournissant des aéronefs s’en verraient confier le contrôle en temps de guerre. Si une frappe doit effectivement avoir lieu, les bombes seraient, suivant le pays hôte, larguées par ce dernier ou par des appareils américains dont la portée opérationnelle atteint 1.350 km et conçus pour transporter des bombes tant nucléaires que conventionnelles ».

Peut-on imaginer un F-35 aux couleurs belges larguer une B-61 alors qu’en 2010, l’Allemagne, la Belgique, la Norvège, les Pays-Bas et le Luxembourg avaient demandé le retrait de ces munitions de leur territoire?

Quoi qu’il en soit, Lockheed-Martin s’apprête à rééditer, avec le F-35, la même chose qu’avec le F-16 dans les années 1970, en remportant le « marché du siècle » aux dépens de Dassault Aviation. A l’époque, les Pays-Bas, la Belgique, le Danemark et la Norvège avaient tous opté pour l’appareil américain. Actuellement, deux ont déjà passé commande du JSF.Quant aux deux autres, il y a de fortes chances qu’ils en fassent autant.

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