Pour le chef d’état-major des armées, un Livre blanc européen sur la défense n’est pas pour demain

Afin de faire avancer l’idée de défense européenne, certains, à droite comme à gauche, estiment qu’il faudrait élaborer un Livre blanc commun aux Etats membres de l’UE.

« Notre pays doit continuer d’insuffler l’esprit d’initiative, à commencer par la réalisation d’un livre blanc européen qui serait le document de référence pour fonder une politique ambitieuse de défense à l’échelle européenne », estimait encore récemment, au nom du groupe UMP à l’Assemblée nationale, le député Pierre Lellouche, dans le cadre d’une contribution au rapport d’information sur l’Europe de la Défense déposé le mois dernier par Elisabeth Guigou, présidente de la commission des Affaires étrangères.

Seulement, cette idée ne va pas forcément de soi. « Sauf exception, les Européens ne souhaitent plus s’impliquer dans la résolution des crises internationales, pour des raisons politiques et budgétaires, mais aussi – et peut-être surtout – culturelles », a ainsi souligné l’amiral Edouard Guillaud, le chef d’état-major des armées (CEMA), lors de son allocution prononcée pour l’ouverture de la nouvelle session de l’IHEDN (Institut des Hautes Etudes de la Défense Nationale).

« On l’a vu récemment avec la crise syrienne : les parlements et les opinions publiques hésitent à engager la force. Le problème est grave : après le doute vient la peur, puis la cécité; certains ont déjà atteint ce stade en Europe. Ne pas vouloir intervenir tôt, c’est nier les signaux faibles : faut-il attendre une catastrophe majeure pour se résoudre à l’action? », a-t-il poursuivi.

Quant à l’Union européenne, a-t-il ajouté, elle « peine toujours sur le chemin d’une conscience stratégique partagée et assumée ». Aussi, pour ce qui est d’un Livre blanc, le CEMA a dit « craindre que nous devions attendre »… Un tel document se compose en 3 parties, a-t-il rappelé. « La première décrit l’état du monde ; la seconde définit l’ambition ; et la troisième, les capacités nécessaires. Même sur la première partie, nous n’y arrivons pas! », a-t-il lancé.

En outre, l’amiral Guillaud a insisté sur la baisse continue des dépenses militaires européennes (-2% chaque année entre 2001 et 2009) et surtout sur le fait que cette « dynamique de réduction se poursuit, pour atteindre un effort moyen des États européens de près de 1% de leurs PIB nationaux ». Dans le même temps, l’augmentation des budgets militaires du Brésil (+62% entre 2006 et 2008), de la Russie (+71%), de l’Inde (+40%) et de la Chine (+71%) est la marque d’une « tendance explicite ».

« Aujourd’hui, ces pays affichent encore une conception de l’emploi de la force limitée à la défense des frontières nationales et de leurs marches régionales, mais pour combien de temps? », a-t-il demandé.

L’amiral Guillaud n’a ensuite pas manqué de revenir de manière subtile sur la Loi de programmation militaire (LPM) 2014-2019. Pour lui, dire que ce texte constitue « une point de décrochage » ou conduit « vers un déclassement stratégique », c’est « regarder le verre à moitié vide ». « Moi, préfère le voir à moitié plein! », a-t-il lancé. Mais dans un cas comme dans l’autre, il y a toujours la même quantité de liquide pourrait-on lui répondre…

« Si elle est respectée dans son exécution budgétaire, nous resterons capables de protéger, de dissuader, et d’intervenir. Nous sommes aujourd’hui, et nous resterons parmi les seuls au monde à disposer d’un tel éventail de capacités. En Europe, clairement, nous serons les seuls », a fait valoir le CEMA.

Aussi, il a affirmé être « vigilant » quant à la bonne exécution de cette LPM. « Dans le contexte budgétaire très tendu que nous connaissons, tout report, toute annulation de crédits déséquilibrerait l’ensemble. En entrée de programmation, cela impliquerait la remise en cause du modèle! », a-t-il expliqué, en ne cachant rien de risques « d’une rupture temporaire de capacité dans certains domaines ».

Quant aux nouvelles réductions d’effectifs exigées par la LPM, l’amiral Guillaud a fait valoir que « les armées réaliseront 60% des déflations programmées au niveau national, alors que les militaires ne représentent déjà plus que 10% des agents publics de l’Etat » et qu’au total, « entre 2009 et 2019, se sont ainsi environ 80 000 postes qui auront été supprimés, soit 25% de l’effectif ». « Finalement, a-t-il estimé, la France restera capable de faire Harmattan ou Serval, mais pas dans les mêmes conditions. Avec des moyens resserrés, l’intervention extérieure sera moins longue demain, et la régénération des forces plus longue et plus difficile ».

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