La Loi de programmation militaire contestée… par les acteurs du Web

Une fois n’est pas coutume, un article – en l’occurrence le n°13 – de la Loi de programmation militaire (LPM) 2014-2019 définitivement adoptée le 10 décembre, a eu les honneurs du Wall Street Journal. En gros, sur un ton ironique, le journal économique américain souligne les contradictions des responsables politiques français, lesquels ont vigoureusement dénoncé les agissements de la NSA alors qu’ils viennent de renforcer les moyens de collectes de données numériques des services de renseignements tricolores.

« La sécurité est une exigence, mais elle ne doit pas être garantie à n’importe quel prix, elle ne doit pas porter atteinte aux libertés ni à la vie privée : c’est la position de la France », a ainsi rappelé, non sans malice, le Wall Street Journal, en concluant avec un « Mais oui, bien sûr », en français dans le texte.

Que dit cet article 13? Dans le cadre de « la sécurité nationale, la sauvegarde des éléments essentiels du potentiel scientifique et économique de la France, ou la prévention du terrorisme, de la criminalité et de la délinquance organisées et de la reconstitution ou du maintien de groupements dissous », il autorise le recueil auprès des opérateurs et des acteurs de l’économie numérique, « des informations ou documents traités ou conservés par leurs réseaux ou services (…), y compris les données techniques relatives à l’identification des numéros d’abonnement ou de connexion (…) à la localisation des équipements terminaux utilisés ainsi qu’aux communications d’un abonné portant sur la liste des numéros appelés et appelant, la durée et la date des communications ».

Comme on le voit, le spectre est large. Manifestement, les contenus de ces communications peuvent être concernés. Et certains y voient le germe à de possibles atteintes à la vie privée.

D’ailleurs, les sénateurs écologistes ont déposé un amendement – rejeté – visant à supprimer cet article, au motif qu’il pose de « graves questions en termes de protection des droits et libertés individuelles » et que la CNIL « n’a pas été saisie pour avis de cette disposition et n’a pas été en mesure de donner sa position au regard de la protection de la vie privée ».

La principale association françaises des acteurs de l’Internet, qui rassemble notamment AOL, Dailymotion, Google, Deezer, PriceMinister, Facebook ou encore Yahoo, a regretté l’adoption définitive de la LPM, laquelle, selon elle, « menace la protection des libertés et des données ».

« Cette adoption intervient alors que de très nombreux acteurs tant de la société civile que du secteur économique avaient appelés à revoir le texte; la CNIL, elle, regrettant de ne pas avoir été consultée sur celui-ci », a-t-elle fait valoir, tout en rappelant qu’elle avait « pourtant appelé le gouvernement à un moratoire sur toute nouvelle mesure de surveillance touchant les données Internet » et demandé aux parlementaires de « s’assurer que ce nouvel accès à des données ne concernait pas les données de contenu, comme les courriers électroniques, les photos, les documents non publics, etc. stockés par les hébergeurs sur leurs serveurs ».

« En se focalisant sur la question des factures détaillées (les Fadettes) et de la géolocalisation, les sénateurs ont oublié que ce texte ne s’appliquait pas seulement aux opérateurs de télécommunications, mais bien à tous les intermédiaires de l’internet », a-t-elle encore plaidé.

De leur côté, les parlementaires, et plus particulièrement les sénateurs de la commission des Affaires étrangères et de la Défense nationale, ont fait valoir, au contraire, que cet article n°13 est « plus protecteur des libertés publiques ».

Et d’expliquer : « Les demandes, motivées, d’accès aux données de connexion seront soumises à la décision d’une personne qualifiée auprès du  Premier ministre et non auprès du ministre de l’Intérieur comme aujourd’hui » et chacune d’entre elles devra faire « l’objet d’un contrôle effectué par la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité, autorité administrative indépendante, qui est présidée par un magistrat et qui comprend des Parlementaires ».

En outre, « les conditions d’utilisation de la géolocalisation en temps réel seront, quant à elles, plus strictes que celles prévues par le projet de loi puisqu’elles seront identiques à celles prévues pour les interceptions de sécurité : l’autorisation sera accordée sur demande écrite et motivée du ministre concerné par décision écrite du Premier ministre et communiquée au Président de la CNCIS ».

Enfin, pour les sénateurs, « ce nouveau dispositif ne modifie aucunement ni la nature des données concernées ni la procédure permettant aux services de renseignement d’avoir accès à ces données » et « aucune extension du champ des données accessibles par rapport au droit existant n’est prévue. L’accès aux contenus des communications reste du ressort exclusif du régime des interceptions de sécurité, qui demeure totalement inchangé ».

Quant au ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, il a expliqué, au cours de l’examen en 2e lecture du projet de LPM qu' »en revenant à la loi de 1991, l’article 13 renforce le contrôle politique, démocratique et technique. La Cnil se prononcera sur le décret d’application et le dispositif pourra être réexaminé dans le cadre du projet de loi sur le renseignement ».

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