L’audacieuse attaque tentée par le sous-marin Curie

« La chance sourit aux audacieux », dit-on. Mais pas toujours…. Affecté à Bizerte, à la 2ème Escadrille de la 1ère Armée Navale, le lieutenant de vaisseau John Joseph Gabriel  O’Byrne, commandant du sous-marin « Curie », de type Brumaire, reçoit l’ordre, en décembre 1914, d’attaquer la flotte austro-hongroise, alors au mouillage au port croate de Pola, qui se dérobait face à la flotte française en mer Adriatique.

Quelques jours auparavant, le commandant du Curie avait reçu l’ordre de retirer un système de filières qu’il avait imaginé afin d’éviter de voir les hélices et les gouvernails de son sous-marin être pris dans les filets protégeant les ports adverses pour y installer à la place un dispositif de défense « réglementaire » totalement inefficace. Cette décision ne sera pas sans conséquences pour la suite.

« Nous sommes en guerre et j’ai reçu un ordre. Ordre médiocre, j’en conviens, mais pas absolument mauvais. Les chances de réussir sont réduites, mais non tout à fait supprimées. En réclamant contre mon chef direct, je donnerais l’exemple de l’indiscipline », confiera le commandant O’Byrne à son camarade Paul Chack, également officier de marine et futur écrivain qui sera fusillé en 1945 pour avoir collaboré avec les nazis.

Conçu aux chantiers navals de Cherbourg quelques années avant le début des hostilités, le Curie est à propulsion diesel alors que  la plupart des submersibles de l’époque sont à vapeur. Pouvant évoluer à 8 noeuds en plongée (13 noeuds en surface), il dispose de 7 tubes à torpilles de 450 mm  (1 à l’étrave et 6 à l’arrière). D’une longueur de 52 mètres et d’un déplacement en plongée de 551 tonnes, il est mis en oeuvre par un équipage de 25 marins. Pour le commandant O’Byrne, il n’était alors plus que temps de passer à l’action et de montrer de quoi était capable le navire qu’il lui avait été confié.

Malgré un navire alourdi par les fameuses défenses « réglementaires », le sous-marin Curie, avec 10 jours de vivres à bord, est remorqué, le 17 décembre, par le croiseur Jules Michelet pour économiser du combustible. Son commandant dispose d’une « carte secrète », sur laquelle sont censés être marquées les défenses du port du Pola.

Deux jours plus tard, la chance sourit au sous-marin français : il croise un cuirassé de type Radetzky qui rentre au port. Le commandant O’Byrne va s’en servir de « pilote » pour entrer dans la rade de Pola, avec la perspective de réaliser un « joli carton » étant donné qu’une bonne partie de la flotte austro-hongroise y est réunie avant d’entamer la semaine de Noël.

Tout semble aller pour le mieux quand, le sous-marin, alors en plongée périscopique, accroche les mailles d’un filet défensif. En fait, un câble s’est pris dans le gouvernail milieu du Curie. Commence alors une lutte acharnée qui va durer des heures pour le désengager tout en tentant d’éviter de se faire remarquer par la marine austro-hongroise.

Mais à cause des remous provoqués par les manoeuvres pour se libérer du câble, le sous-marin  est repéré. Pire, au cours de l’une d’entre elles, le Curie se cabre et son étrave crève la surface. Les marins austro-hongrois vont alors canarder la position et même y jeter de lourdes chaînes. Mais ce n’est encore pas suffisant pour avoir raison du navire français, qui tente une énième fois de se défaire du câble qui l’empêche d’évoluer. « Un dernier coup, mes garçons, pour la France, pour l’honneur du vieux Curie », lance le commandant. Il émerge de nouveau, 2 heures plus tard, mais il est encore accueilli par des salves ennemies.

La situation à bord devient critique. Les accumulateurs sont épuisés, il n’y a plus d’électricité et l’atmosphère devient irrespirable. Et il n’y a plus d’espoir. Le commandant O’Byrne va tenter un dernier coup. Après avoir détruit tous les documents confidentiels du bord alors que le sous-marin est en plongée, il donne l’ordre à l’équipage d’évacuer le Curie, son idée étant de purger les ballasts en grand pour le faire couler.

Le Curie refait surface à la nuit tombée. Ses marins, rassemblés sur le pont reçoivent une grêle de mitraille. Certains tombent dans l’eau glacée, ce qui, paradoxalement, les sauvera. Le second du sous-marin, l’enseigne de vaisseau Pierre Chailley, qui organise l’évacuation, est fauché : son corps, criblé de balles, ne sera retrouvé que 3 jours plus tard. Quant au lieutenant de vaisseau O’Byrne, il est resté à bord pour s’assurer du sabordage de son bâtiment. Toutefois, des éclats d’obus le blessent grièvement. Le quartier-maître électricien Salaun, également touché, reviendra à bord chercher son commandant…

Les survivants sont ensuite recueillis à bord du croiseur Sankt-Georg et du Dreadnought amiral Viribus Unitris. Les marins austro-hongrois sont stupéfaits et admiratifs par l’audace de leurs homologues français, qui ont pu rester pendant deux jours dans la rade de Pola sans se faire repérer. Quoi qu’il en soit, cela ne leur évitera pas d’être internés au camp de Deutsch-Gabel. Le commandant O’Byrne, gravement touché, ne survivra pas à ses blessures. Echangé en 1916 contre un officier autrichien, il décédera à Grenoble peu de temps après son transfert. Il sera coté à l’ordre de l’Armée navale : « A fait preuve du plus grand héroïsme en pénétrant au fond d’un port ennemi malgré la multiplicité des moyens de défense, a lutté avec la plus grande énergie pour échapper à l’ennemi, et a coulé le bâtiment pour éviter qu’il ne tombe entre ses mains ».

Quant au Curie, la marine austro-hongroise réussira à le renflouer et le remettra en service sous le nom de U-14. Il ne sera rendu à la France qu’après l’armistice. Réintégré au sein de la Marine nationale, il sera finalement désarmé en 1928.

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