Le chef d’état-major des armées exprime des réserves sur la « civilianisation » des personnels de la Défense

Lors d’une audition devant la commission sénatoriale des Affaires étrangères et des Forces armées, le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, avait annoncé, au début du mois, une « rééquilibrage des effectifs globaux du ministère au profit des personnels civils dans les secteurs non opérationnels ». Cette mesure n’est pas sortie du chapeau par hasard.

Dans le rapport de la mission d’information la mise en œuvre et le suivi de la réorganisation du ministère de la Défense, rendu récemment par Geneviève Gosselin-Fleury (PS) et M. Damien Meslot (UMP), cette question fait l’objet d’un long développement. Ainsi, pour la parlementaire socialiste, « la civilianisation des effectifs du ministère de la Défense est aujoud’hui insuffisante et qu’un effort résolu de civilianisation des soutiens est indispensable ».

La raison de cette proposition est à rechercher dans un précédent rapport sur les externalisations du ministère de la Défense, publié en juillet 2011 par MM. Giscard d’Estaing et Cazeneuve. Selon ce dernier, un civil travaillerait en moyenne 1.600 heures par an, tandis qu’un militaire, compte tenu qu’il lui faut du temps pour « entretenir sa forme physique et sa préparation strictement militaire » ne consacrerait qu’environ 1.000 heures à ses « tâches admnistratives ou industrielles de soutien ».

Cependant, le député Damien Meslot a exprimé des réserves à l’égard de la proposition de sa collègue, notamment en soulignant le double-risque qu’il y aurait  « pousser trop loin la civilianisation » car cela fragiliserait la cohésion de l’ensemble et limiterait les capacités de projection des soutiens.

Quoi qu’il en soit, et pour appliquer les directives du ministre, sur les 23.500 suppressions de postes prévues dans la Loi de programmation militaire, 78% concerneront des militaires et 22% des civils. Dans le même temps, M. Le Drian a assuré que les forces opérationnelles seraient préservées au maximum.

Interrogé à son tour par les sénateurs de la même commission, le chef d’état-major des armées (CEMA), l’amiral Edouard Guillaud, a exprimé de vives réserves à ce sujet. « On prétend augmenter le taux de civils. Mais la réduction des effectifs vise principalement le soutien, là où les civils sont les plus nombreux. Difficile alors de la réaliser sans toucher aux opérationnels. Jusqu’à présent, ce ne sont pas les civils qui partent en opération! », a-t-il lancé, le 12 septembre dernier.

Et de prendre pour exemple l’opération Serval. Selon le CEMA, seulement 2 civils ont pris part à cette mission. Et encore, a-t-il précisé, « il s’agissait d’anciens militaires, agents sous contrat de l’économat des armées – de quasi-agents de l’Etat ». « Mes homologues britanniques et américains m’ont demandé comment je m’y étais pris au Mali avec tous les civils, a-t-il poursuivi. « Je leur ai expliqué que je n’en avais pas. Ce sont des gens qui sont en uniforme, et qui sont régulièrement obligés de tenir un fusil pour se défendre, à Gao ou à Tombouctou », a-t-il ajouté.

L’amiral Guillaud a également tordu l’idée reçue selon laquelle les militaires ne seraient pas enclin à confier à des civils des fonctions de soutien « pourtant déliées de tout caractère opérationnel ». C’est ce qu’ont prétendu les magistrats de la Cour des comptes lors de leur audition par les députés Gosselin-Fleury et Meslot.

« La répartition entre civils et militaires n’est donc pas simple. Elle ne l’est pas non plus lorsqu’un certain nombre de postes sont ouverts aux civils dans les bases de défense et qu’on ne trouve pas de candidat! Or, ces postes doivent être tenus. N’arrivant pas à trouver de civils, je nomme donc des militaires ! Cela augmente artificiellement leur proportion. Commençons par fournir tous les postes ouverts aux civils – ce qui est loin d’être le cas! », a ainsi avancé le CEMA, qui a même expliqué que l’on « en arrive à conseiller à certains militaires de devenir civils pour pouvoir les engager! ».

Par ailleurs, l’amiral Guillaud a renvoyé la balle  évoquant un antimilitarisme à peine déguisée dans certaines administrations. « Ce n’est pas plus simple dans les autres ministères, où les commissions (administratives) mixtes paritaires (CAP) émettent un veto quasiment systématique à l’intégration de militaires! », a-t-il fait valoir. « Tous les cinq ou six ans, on nous dit que nous allons pouvoir partir dans les autres administrations. Ce n’est pas vrai ! J’ai même vu un officier recruté comme inspecteur des finances. Au bout d’un an, le corps des inspecteurs des finances a décidé qu’il ne pouvait intégrer un officier ayant fait une grande école militaire », a-t-il déploré.

Conformément à l'article 38 de la Loi 78-17 du 6 janvier 1978 modifiée, vous disposez d'un droit d'accès, de modification, de rectification et de suppression des données vous concernant. [Voir les règles de confidentialité]