Il y a 70 ans, le commandant Mouchotte disparaissait en combat aérien

Avec notamment Jean Maridor, Christian Martell, Roland de la Poype, Marcel Albert, Edmond Marin-la-Meslée sans oublier bien évidemment Pierre Clostermann, l’aviation française n’a pas manqué de grands pilotes au cours de la Seconde Guerre Mondiale. Mais l’un d’entre eux, sans pour autant avoir un palmarès de victoires  aussi étoffé, retient plus particulièrement l’attention. Il s’agit du commandant René Mouchotte, mort en combat aérien il y a tout juste 70 ans.

De nombreuses rues portent le nom de cet officier, fait Compagnon de la Libération par le décret du 8 mai 1943, comme par exemple à Paris, près de la gare Montparnasse. L’armée de l’Air n’est pas en reste non plus, avec la base aérienne « Commandant Mouchotte » de Cambrai, aujourd’hui fermée, ou encore l’Ecole de Transition Opérationnelle (ETO 00.008), qui, implantée à Cazaux, a choisi pour parrain cet aviateur des Forces aériennes françaises libres (FAFL), comme d’ailleurs l’aéroclub du Plessis-Belleville.

Même de l’autre côté de la Manche, le commandant Mouchotte ne laisse pas indifférent. La BBC a diffusé, en janvier dernier, un documentaire à son sujet. Et une journaliste britannique, Jan Leeming, a publié un article dans le Daily Mail en parlant de lui comme étant  » le héros séducteur qui a volé (son) coeur« .

Né à Saint-Mandé en 1914, René Mouchotte se passionne pour l’aviation et commence à apprendre le pilotage dès ses 18 ans. C’est tout naturellement qu’il accompli ses obligations militaires au sein de l’armée de l’Air, sur la base aérienne d’Istres. Il y obtient son brevet de pilote et ses galons de sergent. Pour autant, il ne s’engage pas à l’issue de son service et il est versé dans la réserve.

En 1939, et alors que le monde s’apprête à entrer en guerre, il est rappelé sous les drapeaux. Contre sa volonté, il est affecté à l’Ecole de formation des instructeurs de Salon de Provence, puis à l’Ecole de formation des sous-officiers du personnel naviguant d’Avord. Souhaitant en découdre, il multiplie les démarches pour être muté dans une unité opérationnelle. Sans succès. Pire : en mai 1940, alors que la Bataille de France est bien engagée, il est envoyé à Oran, en Algérie, bien loin des combats.

Le 17 juin, le maréchal Pétain appelle à cesser le combat. Voici ce qu’a écrit, ce jour-là, René Mouchotte, dans ses carnets : « De ma vie, je ne me rappelle avoir ressenti une émotion aussi intense et douloureuse. On voudrait courir, montrer à tous qu’on a encore une force, une énergie pour continuer à combattre. La France doit rester la France et son cœur bat toujours, malgré ceux qui veulent l’assassiner sans lui permettre de lutter. Un grand dégoût nous saisit pour ces vingt années passées depuis 1918, où la France fut le jouet d’une bande d’arrivistes qui se bousculèrent les uns les autres pour tenir à leur tour les rênes de l’Etat. De gauche, de droite, ils ont tous concourus pour faire du théâtre politique un spectacle de querelles, de désordres et de honte. Et voici aujourd’hui le bilan de leur œuvre. Pourquoi donc se sont battus nos anciens, pour la recherche d’un idéal ? En 1919, on s’arrangeait déjà pour que ces ‘anciens combattants’ n’aient pas le droit de regard sur les affaires de l’Etat. On évinçait ces gêneurs, eux qui pendant quatre ans ont souffert mille morts pour conserver à la France sa liberté. S’ils avaient su qu’on saboterait leur victoire, ils auraient continué à lutter, contre un ennemi intérieur, plus fourbe, plus lâche… »

C’est ainsi que René Mouchotte décide, coûte que coûte, de continuer le combat. Pour cela, il lui faut rejoindre l’Angleterre. Et, à l’aube du 30 juin 1940, avec 5 camarades, dont ses amis Charles Guérin et Henry Lafont, il décolle d’Oran pour Gibraltar aux commandes d’un bimoteur Goéland dont les hélices avaient été déréglées pour dissuader les candidats à l’évasion. Il s’en faut alors de peu pour que cette tentative échoue, l’appareil s’étant « arraché » in-extremis en bout de piste.

Après être arrivé à destination, René Mouchotte et ses camarades embarquent à bord d’un navire pour rallier l’Angleterre, où il s’engage, le 13 juillet 1940, dans la Royal Air Force. A l’issue d’une période d’entraînement à l’Operational Training Unit de Sutton Bridge, il est affecté, en septembre de la même année, au Squadron 245, où il retrouve d’autres aviateurs français comme Henry Lafont et Henry Bouquillard. Il ne reste pas longtemps dans cette unité puisqu’il est muté, un mois plus tard et avec les galons d’ajudant, au Squadron 615, le « Churchill Squadron ». C’est dans ses rangs qu’il va prendre part à la fin de la bataille d’Angleterre.

Au printemps 1941, René Mouchotte est promu sous-lieutenant et chef de Flight par intérim (commandant en vol de 6 avions). Nommé lieutenant en juillet, il devient le premier étranger à commander une escadrille de la RAF. Le 26 août, le jeune officier ouvre son palmarès en abattant un Ju-88 aux commandes de son avion Hawker Hurricane.

A la fin de l’année, René Mouchotte est muté au Groupe de Chasse « Île-de-France » et prend le commandement de l’escadrille « Versailles » avant d’être promu capitaine. Les missions s’enchaînent et, le 14 juillet, il se voit remettre, par le général de Gaille, la Croix de Guerre avec palme. Le 20 août, il prend part à l’opération Jubilee, au-dessus de Dieppe, avec 4 missions effectués en une seule journée. Surnommé « capitaine René » par les Britanniques, il change à nouveau d’affectation pour commander le Squadron 65. Le 1er septembre 1942, il reçoit la Distinguished Flying Cross (DFC).

En janvier 1943, René Mouchotte change à nouveau d’unité. Cette fois, il s’agit de prendre le commandement du Groupe de Chasse « Alsace », où il va croiser la route d’un certain Pierre Clostermann, qui deviendra « l’as des as » français. Le 15 mai, il décroche sa seconde victoire homologuée en « descendant » un Focke-Wulfe au-dessus de la France. Il s’agit sans doute de la 1000e du terrain d’aviation de Biggin Hill… Quoi qu’il en soit, le surlendemain, il abat son 3e avion allemand.

Le rythme opérationnel intense et ses responsabilités de chef d’unité ne laissent aucun répit au commandant Mouchotte. Du 3 avril au 26 juin 1943, il participe à pas moins de 93 missions de guerre.

« Et les Sweeps continuent à une cadence terrible. J’en suis à une record de 140! J’en ressens une fatigue impitoyable. J’ai beau me coucher à 21h30, chaque soir, je sens les nerfs s’user, mon humeur se détériorer. Le plus mince effort m’essouffle, j’ai un besoin hurlant de repos, ne serait-ce que 48 heures. Je n’ai pas pris 8 jours de permission depuis plus de 2 ans, toujours en alerte à voler ou bloqué par quelque travail administratif. D’ailleurs, où aller? Ces jours-ci, j’ai bien essayé de m’arrêter, envisageant avec effroi la dure période de combats qui menaçait de plus en plus impérieusement notre quiétude. Il me faudra toutes mes forces et toute ma santé. J’ai donc enrayé toute activité offensive, me bornant qu’à aller au bureau. Mais ce relâchement de 3 jours m’a amolli les nerfs et la volonté. Je suis toujours aussi éreinté. Demain matin, je repars! », confiait-il dans ses carnets.

Le 27 août 1943, alors qu’il s’apprêtait à partir pour une mission de protection au profit de bombardiers B-17 (la 3e de la journée) au-dessus de Saint-Omer, Pierre Clostermann remarque un détail inhabituel chez le commandant Mouchotte. « Pour la première depuis que je le connais, écrit-il dans le « Grand Cirque », il a enfilé, par-dessus son pullover blanc, sa veste d’uniforme. J’entends Pabiot qui lui en fait la remarque au passage. – Ah! lui répond Mouchotte en riant, on ne sait jamais, je tiens à être paré pour finir en beauté… »

Quelques minutes plus tard, alors que les Spitfire sont engagés dans un violent combat aérien, Pierre Clostermann entendra par radio « I’m alone » : ce seront les derniers mots du commandant Mouchotte. Le chef du groupe Alsace ne reviendra pas à Biggin Hill et son corps sera retrouvé une semaine plus tard, échoué sur la plage de Middelkerke.

« Commandant Mouchotte, croix de guerre, Compagnon de la Libération, DFC… Il aura été pour nous le chef exemplaire, juste, tolérant, hardi et calme au combat, vrai Français à l’âme trempée, sachant, quelles que soient les circonstances, imposer le respect », écrira à son propos Pierre Clostermann.

Apprécié par ses hommes et ses pairs britanniques, le commandant Mouchotte l’était tout autant par ses supérieurs, à commencer par l’ancien chef des FAFL, le général Martial Valin.

« Il n’avait que 4 avions abattus à son palmarès (…) Mais la vraie grandeur de Mouchotte est ailleurs. (…) Un commandant de groupe avait la charge d’un énorme dispositif qui, s’amplifiant d’année en année, finit par comprendre des centaines de chasseurs (…) répartis en plusieurs étages dans le ciel. Et, lorsque l’ordonnance de la formation se rompait pour se transformer en dog fight (…) le chef devait d’abord songer à regrouper son équipe. Or Mouchotte était un chef. J’ai pu le juger par moi-même. Il venait me voir très souvent à l’état-major (…) soit pour me soumettre des propositions concernant son personnel, soit pour discuter de quelque point d’organisation et de tactique. (…) Je l’encourageais à persister dans cette méthode de commandement qui consiste à être le chef par l’exemple plus que par ses galons. Il y excellait et fut sans contredit le commandant de groupe le pus aimé de son personnel », avait-il déclaré en hommage au retour de la dépouille du commandant en France.

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