Pour son chef d’état-major, la Marine nationale ne fera plus tout ce qu’elle sait faire aujourd’hui dans 10 ans

Invité le mois dernier à s’exprimer devant la commission des Affaires étrangères et de la Défense du Sénat, le chef d’état-major de la Marine nationale (CEMM), l’amiral Bernard Rogel, a estimé que le dernier Livre Blanc sur la Défense et la Sécurité nationale (LBDSN) avait trouvé le meilleur compromis possible entre la préservation des capacités des forces françaises et la contrainte budgétaire.

Pour rappel, il est prévu de maintenir le budget de la Défense à son niveau de 2012 (31,4 milliards d’euros) jusqu’en 2016, c’est à dire qu’il ne prendra pas en compte l’inflation. Cette variable constitue donc l’effort des forces françaises au redressement des comptes publics.

Seulement, déjà que ces ressources n’ont permis, jusqu’à présent, de maintenir un format « juste suffisant », comme l’avait souligné un rapport du Sénat l’an passé, cette équation budgétaire impose une nouvelle réduction des effectifs des forces armées (-24.000) ainsi que des moyens qui leur sont donnés pour accomplir leurs missions.

Pour la Marine nationale, cela se traduira par l’abandon, jusqu’en 2025, du second porte-avions, la réduction à 15 du nombre de frégates dites de premier rang (leur nombre avait déjà été raboté de 7 unités avec la présente Loi de Programmation Militaire) et la suppression d’une unité amphibie (il n’y aura pas de 4e Bâtiment de projection et de commandement).

Aussi, et comme l’a rappelé l’amiral Rogel, le maintien de l’ensemble des capacités conduit inévitablement à réduire les moyens d’action. Ce qui, « très concrètement », a-t-il expliqué, va progressivement remplacer systématiquement le et par le ou dans les missions que nous réalisons, ce qui nécessitera la souplesse et des arbitrages en conduite. » En clair, il faudra faire des choix dans les engagements car il ne sera plus possible pour la Marine nationale de déployer à la fois une frégate en Méditerranée orientale et un autre dans l’opération de lutte anti-piraterie Atalanta.

« Je souhaite que vous preniez bien conscience que, si les conséquences de la diminution de nos moyens d’action sont aujourd’hui peu visibles sur notre sécurité, la situation pourrait devenir demain préoccupante si le contexte stratégique devait nous conduire à faire des choix entre plusieurs missions, ou si la prochaine surprise stratégique venait de la mer, ce qui ne me paraît pas improbable », a mis en garde l’amiral Rogel, qui a en outre rappelé que l’opération Harmattan, en Libye, avait amené la Marine « aux limites » de ses « capacités dans un conflit qui n’était pas aux limites de l’intensité à laquelle sommes susceptibles d’être confrontés. »

Or, cette limite va de nouveau baisser à l’avenir. D’où l’avertissement du CEMM. « Il faut le garder en mémoire et en prendre solennellement acte aujourd’hui. Dans 10 ans, nous ne ferons plus tout ce que nous savons faire aujourd’hui », a-t-il affirmé.

Qui plus est, la baisse des moyens de la Marine  – un « pis-aller stratégique » pour l’amiral Rogel – a été consentie alors que les enjeux maritimes prennent de plus en plus d’importance. Conséquence à prévoir : « Nous intercepterons moins de drogue, nous diminuerons le maillage contre les pirates, nous serons moins présents contre l’immigration, nous surveillerons moins les routes d’approvisionnement stratégique », a indiqué le CEMM. « Il ne faudra pas être surpris dans 10 ans que le chef d’état-major de la marine réponde qu’il ne peut que remplir imparfaitement l’une ou l’autre de ces missions », a-t-il encore insisté.

Par ailleurs, l’amiral Rogel a identifié 4 « fragilités » dans les années à venir. La première concerne la gestion des effectifs. « La Marine est une armée technique. Nous ne combattons pas par le nombre, mais à l’aide d’équipements, qui sont servis par des opérateurs, soutenus eux-mêmes par des hommes et des femmes qui fournissent un service. C’est est truisme! Mais il mérite cependant d’être rappelé », a-t-il affirmé, en soulignant que le « combat n’est pas affaire d’automatisme » mais qu’il « affaire de volonté, d’imagination, d’intelligence, de tactique. »

Aussi, réduire les effectifs s’annonce très compliqué car la Marine compte de nombreux spécialistes qu’il faut recruter, sélectionner et former. Or, pour l’amiral Rogel, « diminuer le format c’est fragiliser encore davantage des filières déjà sous tension » et il n’est pas question de « sacrifier l’excellence sur l’autel d’une courbe de déflation d’effectif. »

La deuxième fragilité concerne la tension sur le volume d’activité des forces. « La réduction de format ne doit pas s’accompagner d’une réduction sensible de l’entretien et donc de l’activité des forces, qui amputerait nos capacités de façon immédiate et durable », a fait valoir l’amiral Rogel.

Un troisième point délicat porte sur l’équipement. Si le CEMM sait où il va pour les bâtiments de combat, en revanche, le dernier LBDSN est approximatif pour les navires logisitiques, la patrouille maritime et les hélicoptères. « Ces programmes ne sont cependant pas moins importants que les autres et il me semble fondamental que les décisions à venir planifient clairement le renouvellement de ces moyens. Ils conditionnent l’emploi des autres équipements », a-t-il déclaré.

D’autre part, il ne faudrait pas qu’il y ait trop d’encoches dans l’exécution de la prochaine Loi de programmation militaire. « Le glissement des programmes mentionnés dans le Livre blanc peut avoir des effets dévastateurs sur nos capacités, non seulement si le caractère temporaire des réductions dure », a-t-il prévenu.

Enfin, le Maintien en condition opérationnelle (MCO) est la dernière fragilité relevée par le CEMM. Constatant que les « bénéfices attendus de la précédente réforme ne sont pas encore au rendez-vous et que le soutien est victime de « la diminution des effectifs », de « la diminution des crédits de fonctionnement » et d’une « augmentation brutale de la charge administrative », l’amiral Rogel souhaite « trouver des organisations plus simples pour un soutien plus fluide. » Et d’ajouter : Il faudra impérativement régler tout cela dans les ajustements à venir. »

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