Ces ruptures capacitaires qui guettent les forces françaises

La dernière Loi de Programmation Militaire (2009-2014) aura été ambitieuse. Inspirée d’un Livre blanc sur la Défense et la Sécurité nationale  (LBDSN) publié un an avant son adoption par le Parlement, elle prévoyait un maintien du bugdet de la défense en volume (c’est à dire prenant en compte la hausse des prix), puis une progression, à partir de 2012, de 1% en plus de l’inflation. Le tout avec l’apport de recettes exceptionnelles. En outre, les économies réalisées avec la suppression de 54.000 postes et les efforts de rationalisation auraient dû lui être reversées.

Seulement, cette trajectoire financière n’a pas pu être respectée, avec un décrochage constaté en 2011. Et cela pour plusieurs raisons. La crise financière de 2008 et celle de la dette y sont pour beaucoup. La difficulté de maîtriser la masse salariale du ministère de la Défense également, comme le caractère aléatoire des recettes exceptionnelles ou encore l’invalidation d’hypothèses budgétaires, telle que l’exportation du Rafale. Toutes ces éléments sont très bien expliqués dans la revue capacitaire des armées faite par les députés Yves Fromion et Gwendal Rouillard dans un rapport diffusé par la commission de la Défense de l’Assemblée nationale.

Le problème est que le non respect de la trajectoire financière de la dernière LPM rend plus compliqué l’élaboration de la prochaine, qui couvrira la période 2014-2019. Et cette dernière devra prendre en compte des paramètres importants, faute de quoi, les forces armées risquent de connaître des ruptures capacitaires, pour certaines graves.

Pour l’armée de l’Air, et compte tenu du fait qu’il devrait être prévu « un ralentissement de la modernisation de l’aviation de chasse » (en clair, réduire la cadence des livraions de Rafale),  il est ainsi impératif de mettre en service, dès 2018, les Mirage 2000D « rénovés », de prolonger la vie opérationnelle des Mirage 2000-5 au-delà de 2021, et de remplacer les Alphajet ainsi que les TB-30 Epsilon.

Quant aux capacités de transport tactique, les deux députés soulignent qu’elles « sont déjà déficitaires et le resteront jusqu’à un horizon 2030. » Aussi, expliquent-ils, le  » calendrier ralenti de montée en puissance de l’A400M repose sur la prolongation de 14 C160, mesure compensatoire absolument indispensable pour maintenir les compétences des équipages et garantir la transition sur » Atlas.

Enfin, l’autre dossier prioritaire qui ne peut souffrir d’aucun retard est celui des avions ravitailleurs. « Le ralentissement de la montée en puissance du MRTT s’appuie sur les prolongations, d’une part des Airbus A310 et A340, d’autre part des flottes de ravitailleurs KC135 et C135. Cependant, l’âge et la fragilité des ravitailleurs font peser un risque très important de rupture capacitaire en cas d’aléas techniques graves. Cette rupture pèserait sur l’aptitude à opérer en OPEX, sur la protection de l’espace aérien français et sur la tenue de la posture de dissuasion », font valoir les deux parlementaires.

Pour la Marine nationale, les risques de rupture capacitaire sont connus depuis longtemps. « L’ensemble de la composante ‘patrouilleurs’ connaîtra une aggravation supplémentaire de la situation – déjà considérée comme préoccupante, si les premières livraisons de BATSIMAR ne sont pas programmées dans la LPM », préviennent les rapporteurs.

En outre, ajoutent-ils, « outre-mer, le retrait des derniers patrouilleurs P400 prolongés en 2020 rendra la situation critique. Ainsi, l’acquisition de patrouilleurs légers pour la Guyane (PLG) et de bâtiments multi-missions (B2M) devient impérative pour atténuer la réduction capacitaire. » Même chose pour la métropole, où « est envisagé de prolonger l’activité des certains avisos, convertis en patrouilleurs de haute mer, jusqu’à 40 ans. » Mais cette solution « est très sensible aux aléas techniques inhérents à des flottes aussi âgées » et « elle ne permettra pas de combler totalement le déficit de moyens qui sera très délicat autour de 2025. »

D’autres ruptures menacent les marins, notamment en matière de surveillance  aérienne maritime (AVSIMAR), la guerre des mines, où les matériels deviennent vite obsolètes ainsi que le ravitaillement et la logistique, avec le remplacement inévitable des pétroliers ravitailleurs. Sinon, « un risque de limitation capacitaire existe dans les années 2020. »

Enfin, le plus délicat concerne l’armée de Terre. Là, l’inquiétude porte surtout sur d’éventuels retard du programme structurant Scorpion, dans le cadre duquel plusieurs types de blindés doivent être remplacés. Il existre ainsi un risque d’une rupture capacitaire en matière de combat embarqué et débarqué médian si jamais les VBMR (véhicules blindés multi-rôles) tardent à remplacer les bons vieux VAB. « Tout retard du programme accentuera rapidement la réduction de capacité », est-il écrit dans le rapport.

Même chose pour l’Engin blindé de reconnaissance et de combat (EBRC), le successeur des chars légers AMX-10RC et des ERC-90 Sagaie. « De la même façon, pour un contrat opérationnel nécessitant 300 véhicules, la décroissance rapide des parcs ERC 90 et des VAB HOT totalement obsolètes en 2020 et celle progressive des AMX 10 RCR créent un risque important de rupture capacitaire en 2020 au regard d’une opération EBRC qui ne doit souffrir d’aucun retard », préviennent les députés, qui évoquent également des risques concernant l’aéromobilité et l’appui-feu.

Par ailleurs, un autre programme n’est pratiquement jamais évoqué et pourtant, il est aussi d’une très grande importance : la rénovation à mi-vie de la moitié des 1.600 Véhicules Blindés Légers (VBL), indispensables pour les régiment de l’arme blindée cavalerie et leurs escadrons d’éclairage et d’investigation ou encore les unités d’aide à l’engagement.

Cette dernière, prévue pour 2014, a sans cesse été reportée et l’on ignore quand elle pourra se faire. « La livraison du véhicule blindé d’aide à l’engagement (VBAE), envisagée à partir de 2030 au lieu de 2025, nécessitera de prolonger la durée de vie du véhicule blindé léger, perspective qui n’a pas été intégrée en construction budgétaire à ce stade », a pourtant indiqué le général Ract-Madoux, le chef d’état-major de l’armée de Terre (CEMAT), lors d’une audition au Sénat, en juin dernier.

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