Un rapport du Sénat évoque la création d’un Eurogroupe de la défense

Dans son bilan du retour de la France au sein du commandement militaire intégré de l’Otan, l’ancien ministre des Affaires étrangères, Hubert Védrine, dressait un constat lucide de 25 ans d’efforts, notamment français, pour faire émerger une « Europe de la Défense. »

« Les mots doivent être employés à bon escient. ‘Europe de la défense’ et encore moins ‘défense européenne’ ne signifient, même pour leurs promoteurs les plus ardents, la défense militaire de l’Europe contre des menaces militaires, ce dont seule l’Alliance, avec les moyens américains, serait capable, si par malheur, l’Europe était attaquée », soulignait-il.

Et d’ajouter : « Pour ne pas alimenter des espérances chimériques et donc des déceptions, ou des craintes hors de propos chez nos Alliés, il faut réserver ce terme (ndlr, d’Europe de la défense) à des initiatives ou à des actions extérieures de l’Union en matière militaire ou civilo-militaire, ou à des coopérations en matière d’industrie de défense. »

Les sénateurs de la commission des Affaires étrangères et des Forces armées ne sont pas loin de partager ce constat. Au point même qu’ils parlent « d’en finir avec l’Europe de la défense » pour mieux aller vers une « défense européenne », et cela, à quelques mois de la tenue d’un conseil européen dédié à la relance de la Politique de sécurité et de défense commune (PSDC).

« L’Europe de la défense est une idée séduisante parce qu’ambigue », écrivent-ils dans un rapport consacré à cette question. « Ce n’est pas la défense de l’Europe, c’est à dire la défense du territoire européen, car la défense de l’Europe, c’est l’Otan. Ce n’est pas non plus la défense européenne, car si elle existait, celle-ci serait non seulement la défense de l’Europe mais aussi par l’Europe et pour l’Europe. Tel n’est pas le cas », expliquent-ils.

Et d’ajouter : « L’Europe de la défense est donc un ensemble informe, un fatras conceptuel intraduisible pour nos partenaires européens. Et c’est là que réiside paradoxalement son côté séduisant. » En clair, ce flou artistique a l’air d’arranger tout le monden chacun comptant sur l’Otan et donc sur le parapluie américain en cas de besoin. Qui plus est, et malgré les beaux discours sur les vertus de l’Europe et la nécessité d’aller plus en avant dans l’intégration européenne, les uns et les autres sont beaucoup moins partants lorsqu’il s’agit de toucher à une fonction régalienne par excellence.

Si des avancées ont eu lieu au début, l’Europe de la défense est actuellement figée. « Il y a moins de programme en coopération aujourd’hui qu’il n’y en avait il y a 10 ans et moins il y a 10 ans qu’il n’y en avait il y a 20 ans », notent les rapporteurs.

Le fait, depuis 2003 et le lancement de l’A400M, l’on ne peut pas dire qu’il y ait pléthore de grands projets communs d’armements à l’échelle européennes. Au contraire même : l’on compte 17 programmes nationaux de blindés et 7 types de frégate… Et pire encore :

« les seuls programmes structurants pour l’industrie européenne, en cours ou à venir, sont américains, l’avion de combat Joint Strike Fighter ou la défense antimissile balistique », constate le rapport.

Pour les sénateurs, l’impasse de l’Europe de la Défense est conceptuelle. En Libye, soulignent-ils, l’UE a brillé par son absence, « comme elle l’avait été 10 ans auparavant dans les Balkans ». Quant au Mali, où « les conditions étaient réunies pour le déploiement d’un groupement tactique », il en a été de même. Ce « test » n’a pas été réussi, déplorent-ils.

Cela étant, il faut cependant rappeler que l’Union européenne a quand même récemment mis sur pied l’opération Atalante pour lutter contre la piraterie dans l’océan Indien, la mission Eufor Tchad/RCA et, plus récemment, l’EUTM Mali.

Aussi, trois raisons expliquent, selon eux, les blocages de l’Europe de la Défense. Il y a d’abord « la mauvaise articulation entre l’Otan et l’UE », l’inefficacité de la « méthode progressive », c’est à dire celle qui s’appuie sur ces avancées qui se veulent concrètes, car « il n’y a pas de continuum entre ‘l’Europe de la défense » intergouvernementale et la ‘défense européenne’ d’essence fédérale. » Enfin, un dernier argument, selon les sénateurs, serait « l’absence de menaces manifestes » aux frontières, ce qui n’est sans doute pas l’opinion des responsables polonais et lituaniens, voire même suédois…

Pour autant, le rapport estime qu’une défense commune européenne est une « impérieuse nécessité ». Tout simplement parce que l’Europe est menacée d’une « sortie de l’histoire » et qu’elle a des intérêts propres et des « valeurs spécifiques » à faire valoir, même quand les « Etats-Unis ne souhaitent pas s’engager. » Qui plus est, ces derniers se détournent du Vieux Continent pour mieux se concentrer sur la région Asie-Pacifique, le tout dans un contexte marqué par une réduction des moyens alloués au Pentagone.

Aussi, pour remédier à cette inefficacité de l’Union européenne, qui sera tout aussi pregnante à 28 (bienvenue à la Croatie en passant) qu’à 27, les sénateurs proposent la création d’un Eurogroupe de défense, qui serait conçu « en dehors des institutions européennes actuelles » et avec seulement un nombre très limité de pays volontaires, étant attendu qu’en la matière, plus on est et moins on avance.

Ce conseil européen des ministres de la Défense serait donc composé de pays pionniers qui disposent de capacités militaires assez robustes ainsi qu’une industrie nationale de l’armement, c’est à dire la France, le Royaume-Uni, l’Allemagne. L’Italie, la Pologne et l’Espagne pourraient également les rejoindre par la suite.

Cet Eurogroupe serait doté d’une « présidence stable » et aurait à élaborer un Livre blanc afin de définir des programmes communs, dont la mise en oeuvre serait confiée à l’Agence européenne de l’armement, issue du rapprochement entre l’Organisation conjointe de coopération en matière d’armement (OCCAR) et l’Agence européenne de la défense (AED).

Dans un premier temps, cet Eurogroupe serait « fondé sur les capacités expéditionnaires de la France et du Royaume-Uni, mais en associant l’Allemagne. Il aurait pour vocation de permettre à l’Union européenne d’intervenir militairement hors de son territoire, y compris lorsque les Etats-Unis ne souhaiteront pas s’engager, de rééquilibrer l’Alliance atlantique et d’alller vers une authentique défense européenne », font valoir les sénateurs.

Seulement, la France et le Royaume-Uni constituent déjà, en quelque sorte, un groupe pionnier au sein de l’UE, avec la signature du traité de Lancaster House, en novembre 2010. C’est justement ce modèle que les sénateurs souhaitent reproduire avec leur idée d’Eurogroupe. Mais même en procédant de la sorte, l’on ne peut pas dire que les choses évoluent très vite entre Paris et Londres depuis quelques mois…

Mais avant d’en arriver à la création éventuelle de cet Eurogroupe, il faudra d’abord que les chefs d’Etat et de gouvernements européens se mettent d’accord lors du Conseil de décembre prochain. Là, les sénateurs estiment qu’il est « nécessaire » d’avancer sur la mutualisation des capacités, eu égard aux lacunes constatées, notamment en matière de ra

vitaillement en vol, de drones, d’espace militaire et de cyberdéfense.

« En mutualisant les dépenses, on économiserait 10 milliards d’euros sur 10 ans, dont 1,8 milliard dans le spatial militaire, 2,3 milliards dans les navires de surface et 5,5 milliards dans les blindés », a fait valoir André Vallini, sénateur (PS) de l’Isère, alors même que les pays membres de l’UE dépensent au total 175 milliards d’euros par an pour leur défense. La mutualisation permettrait ainsi d’économiser près de 0,6% de cette somme en une décennie…

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