Louvois : Pour le général (2S) Irastorza, la France a de la chance d’avoir des militaires disciplinés

L’ancien chef d’état-major de l’armée de Terre (CEMAT), le général Elrick Irastorza, n’a pas manié la langue de bois, le 25 juin, lors de son audition devant les députés de la commission de la Défense et des Forces armées, dédiée aux dysfonctionnements dans le paiement des salaires des militaires, causés par le logiciel unique à vocation interarmées de la solde (Louvois).

Au cours de son intervention, l’ancien CEMAT a avancé, en gros, que le raccordement de Louvois au système de gestion de ressources humaines (SIRH) de l’armée de Terre était inévitable. En quelque sorte, et pour résumer, cette bascule a été contrainte.

« Je pense qu’il n’y avait plus le choix », a-t-il dit aux députés. « L’accélération de la mise en œuvre de la réforme au printemps 2010, qui transparaît du relevé de décision précité, la volonté de tenir les objectifs de déflation et la perspective d’une dégradation difficilement réversible du service rendu par les CTAC (ndlr, centres territoriaux d’administration et de comptabilité), dont chacun était parfaitement informé, rendait ce basculement sans doute inévitable », a expliqué le général Irastorza.

Et d’ajouter : « Pour ceux qui avaient à en connaître, une certaine confiance dans un calculateur dont rien ne laissait a priori présager un fonctionnement aussi erratique, la conviction que les quelques anomalies résiduelles constatées au cours des derniers tests étaient vraisemblablement dues à certains opérateurs, mal formés ou peu consciencieux et le déni de quelques résultats non conformes à l’issue des soldes en double, rien ne s’opposait plus au raccordement. »

Quoi qu’il en soit, le général Irastorza a rejeté catégoriquement que les dysfonctionnements à répétion de Louvois soient le fait de la seule armée de Terre. Déjà parce que la Marine nationale et d’autres services en ont été aussi victimes. Quant à la mise en cause de la fiabilité des saisies – une raison qui avait été avancée pour expliquer les ratés du logiciel, l’ancien CEMAT a admis que, « dans ce domaine, il y aura toujours des erreurs. » Mais, s’est-il emporté, « j’ai du mal à croire que dans les GSBdD (ndlr, groupement de soutien de base de défense) et ailleurs, on soit stupide et incompétent au point d’en commettre toujours autant, voire davantage, un an et demi après le basculement. Nous ne sommes pas des imbéciles! »

Même chose sur les critiques portant sur un défaut d’accompagnement de la réforme au sein de l’armée de Terre. Et là, le général Irastorza n’y est pas allé avec le dos de la cuillère.

« Je réfute toutes les affirmations, plus ou moins explicites, sur les faiblesses du dispositif d’accompagnement de cette réforme dans l’armée de terre. Je retiens leur tonalité un brin condescendante, voire méprisante, de bon ton dans certains cercles. Tout cela est détestable. L’état-major peut dresser un inventaire complet de tout ce qui a été fait pour accompagner la montée en puissance, depuis mon premier message d’octobre 2009 sur la fiabilité des données saisies dans Concerto. Toutes les conférences que j’ai données et tous les exposés que j’ai faits (…), attestaient des préoccupations de l’armée de terre à ce moment-là et des directives qui étaient données aux officiers », a-t-il fait valoir.

Pour le général Irastorza, il ne fait donc aucun doute que le calculateur de Louvois est en cause. Avec les conséquences que l’on sait sur les militaires et leurs familles, pour certains plongés dans de lourdes difficultés financières. « Ma certitude est que cette affaire laissera des traces », a-t-il confié. « Les chefs militaires vont se montrer de plus en plus réticents à accompagner loyalement des réformes aux contours mal assurés », a-t-il ajouté.

Aussi, l’ancien CEMAT a estimé que la France « a la chance d’avoir de bons soldats, courageux, généreux, volontaires dans l’adversité et enthousiastes dans l’effort », « prêts à aller jusqu’au bout de leur engagement au service de leur pays ». Et que donc, à ce titre, « ils méritent la considération de la Nation. » Et d’ajouter : « Leur assurer un revenu stable et régulier serait un minimum. »

Des militaires courageux, généreux, enthousiastes et volontaires…. mais aussi et surtout disciplinés. « Dans le cas qui nous occupe, tout démarre en fait d’une réforme d’une ampleur exceptionnelle, menée tambour battant, dont le garde-corps principal a probablement été, dans l’esprit de ses concepteurs, la discipline dont font preuve les armées en toute circonstance, comme le leur prescrit la loi, et l’exceptionnelle capacité d’encaisse qui s’ensuit », a poursuivi le général Irastorza.

« J’entends autour de moi certains faire maintenant l’éloge de l’indiscipline qui aurait ‘sans doute’ permis d’infléchir les objectifs et d’adopter des rythmes humainement moins traumatisants », a-t-il aussi confié au député, tout en soulignant que ce n’était pas sa « conception d’un dialogue constructif entre le politique et le soldat. »

« Tout a été dit, au moment et à chaque fois où il le fallait puis à chaque fois où il l’a fallu, sur l’ampleur de ce que subissaient les militaires et leurs familles », a-t-il fait valoir. « Les armées sont, par nature et par construction, obéissantes. Il ne faudrait pas qu’elles en arrivent à percevoir cette force comme une vulnérabilité », a-t-il estimé.

Selon le général Irastorza, cette affaire Louvois, conjuguée avec « l’insistance déplacée avec laquelle on s’efforce de faire porter tout ou partie le chapeau aux militaire et à l’armée de Terre en particulier, ébranle l’édifice plus qu’il n’y paraît. »

« Si d’aventure la discipline devait ne plus faire un jour la force principale des armées, ce que je ne souhaite pas pour mon pays, gageons que les historiens sauront trouver dans cette lamentable affaire quelques prémices, la goutte d’eau qui aura fait déborder une coupe déjà bien pleine », a-t-il prévenu.

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