Louvois : L’amiral Guillaud « furieux et vexé de ne pas pouvoir influer sur la situation »

Le chef d’état-major des armées (CEMA), l’amiral Edouard Guillaud, est le responsable des armées, des services et direction interarmées mais le pilotage des systèmes d’informations ministériels en matière de ressources humaines et de solde relève quant à lui du secrétaire général pour l’administration.

D’où son aveu d’impuissance face aux dysfontionnements dans le versement des soldes des militaires de l’armée de Terre, de la Marine nationale et du Service de santé des armées (SSA) causés par le passage au Logiciel unique à vocation interarmées de la solde (Louvois). « Je suis à la fois furieux et vexé de ne pouvoir influer sur la situation », a ainsi lancé le CEMA lors d’une audition devant les députés de la commission de la Défense nationale et des Forces armées, le 12 juin dernier.

Pour l’amiral Guillaud, les problèmes liés à Louvois doivent être réglés au plus vite pour 3 raisons. Tout d’abord, ils ont une influence sur la « force morale » des militaires en opération, lesquels « doivent être soulagés au maximum des contingences matérielles ». En clair, « l’arrière doit tenir. »

Ensuite, ces dysfonctionnements sont la cause d’une double crise de confiance, d’abord à l’égard du bien-fondé des réformes en cours, ensuite vis-à-vis de « l’aptitude du commandement à résoudre les difficultés ». Pour le CEMA, « c’est une hypothèque sur les réformes à venir », ce qui est « inacceptable au regard des efforts considérables que devront encore fournir nos armées. La dernière raison avancée par l’amiral Guillaud est le ressenti de « ceux qui sont en première ligne » de manquer de considération, « voire de reconnaissance ».

Pour autant, le CEMA a assumé sa part de responsabilité dans cette affaire. « J’ai donné mon accord pour la bascule et j’ai eu tort », a-t-il admis devant les députés. Mais il a cependant donné un éclairage sur les conditions dans lesquelles sa décision a été prise.

Pour commencer, dès son entrée en fonction, l’amiral Guillaud a « mesuré les difficultés de cette entreprise. » D’ailleurs, dans une note datée du 7 mai 2010, il a mis en garde le ministre de la Défense de l’époque, qui était Hervé Morin, contre les « risques de rupture de continuité de la fonction solde, en particulier au sein de l’armée de Terre, du fait de la déflation rapide des effectifs des centres territoriaux d’administration et de comptabilité (CTAC). »

« Dans ce courrier, ajoute-t-il, j’alertais le cabinet du ministre sur l’impact négatif d’une accélération de la montée en puissance du service du commissariat aux armées (SCA), décidée en mars 2010, et sur ses conséquences sur le processus de solde. Je proposais notamment de prendre des mesures conservatoires destinées à maintenir le personnel qualifié dans les CTAC. » Or, l’on apprendra par la suite que la fermeture de ces derniers aura compliqué le traitement des dysfonctionnements dans le versement des soldes dues aux militaires concernés.

Mais, les avertissements du CEMA sont donc restés sans effet. Et le contexte a fait qu’il n’était pas possible de retarder la fermeture des CTAC. « La RGPP (révision générale des politiques publiques, ndlr) nous imposait une réduction d’effectifs de 7 500 postes par an. L’année en question, il était prévu de fermer les CTAC. On m’a demandé de choisir entre cela et la dissolution d’unités de combat supplémentaires, c’est-à-dire entre la peste et le choléra. Nous avons signé le couteau sous la gorge », a-t-il expliqué.

Pourquoi, dans ces conditions, a-t-il donné son accord pour la bascule soit faite pour l’armée de Terre, alors que de son propre aveu, il y avait des « inquiétudes » pour le faire, notamment exprimées par le général Elrick Irastorza? Eh bien parce qu’on lui a donné des « assurances », en particulier « pour ce qui concerne la fiabilité et les modes secours du système ».

« J’étais effectivement conscient des ‘anomalies majeures’, mais l’équipe de pilotage avait adopté un ‘plan d’action’ censé y répondre », a-t-il affirmé aux députés. « Je n’avais pas de raison de douter de la qualité et de la complétude des informations qui m’étaient transmises par les personnes responsables du projet. Mais je pense que le patron de la cellule de pilotage du projet n’avait pas lui-même toutes les informations nécessaires! », a-t-il insisté.

En outre, le CEMA estimé que « Louvois a fait l’objet de trop de de tests ». Et d’expliquer que « les marchés publics de ce type comprennent toujours une clause optionnelle, permettant le développement de plateformes de simulation ou de tests à la demande du ministère. » Or, a-t-il poursuivi, « cette option a un coût, et l’ordonnateur du marché a souvent tendance à ‘rogner’sur cette dépense. C’est au directeur de programme qu’il appartient d’être suffisamment puissant pour obtenir la réalisation des tests nécessaires ; ils mériteraient d’ailleurs d’être rendus obligatoires. »

« C’est le cœur du système Louvois qui constitue le fond du problème : vraisemblablement, il a été mal, ou insuffisamment, spécifié », a ajouté l’amiral Guillaud, qui a une expérience en la matière puisqu’il a eu à mettre en place mise en place du système informatique du porte-avions Charles de Gaulle au cours de sa carrière. « Qui a pris ces décisions techniques? Rien d’étonnant à ce que l’ordonnateur du marché et son attributaire aient tendance à se renvoyer la balle, ce qui nous renvoie au problème de l’organisation de la direction de programme », a-t-il avancé.

Par ailleurs, le CEMA a souligné que « les spécifications de Louvois ont été définies sans que les armées y soient systématiquement associées », ce qui explique, en partie, les difficultés actuelles. Qui plus est, l’idée d’un plan B avant la bascule, qui aurait consisté à « laisser la possibilité de revenir à l’ancien système de calcul et de liquidation de la solde », a toujours été refusée, au motif, a-t-il indiqué, que « cela aurait supposé de conserver les CTAC. »

Maintenant, il faudra faire avec ce logiciel. Du moins pour le moment. « Dans l’attente d’un système d’information rénové, je n’ai d’autre choix que d’accepter Louvois », a déclaré l’amiral Guillaud, qui n’a pas manqué de faire part de son inquiétude. « On n’observe aucune amélioration dans le fonctionnement de Louvois, pas plus dans la marine ou au SSA que dans l’armée de terre. Mais cela échappe aux compétences de l’état-major des armées, qui subit la situation », a-t-il avancé.

« Le personnel militaire des armées sert avec discipline, loyauté, disponibilité et un sens du devoir assumé s’il le faut jusqu’au sacrifice suprême. Il l’a choisi et l’endosse pleinement, sans jamais broncher. La moindre des choses est de lui garantir ce qui lui est dû, au plan moral comme au plan matériel. La solde est l’une des manifestations concrètes de la reconnaissance de la Nation pour les services rendus. Il ne saurait être question d’une défaillance dans ce domaine », a-t-il aussi tenu à rappeler.

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