Les réserves de l’amiral Guillaud au sujet de la prochaine Loi de Programmation Militaire

Invité à s’exprimer lors de la clôture de la session nationale de l’Institut des Hautes Etudes de la Défense Nationale (IHEDN), le 14 juin dernier, le chef d’état-major des armées (CEMA), l’amiral Edouard Guillaud ne pouvait guère faire autrement que de dédier l’essentiel de son intervention au dernier Livre Blanc sur la Défense et la Sécurité nationale (LBDSN) ainsi qu’à la future Loi de Programmation Militaire (LPM) qui en découlera.

Ainsi, pour le CEMA, l’édition 2013 du Livre blanc « se veut une réponse à la fois volontariste et réaliste » car il « réaffirme l’ambition d’une France souveraine et engagée, maîtresse de son destin et soucieuse d’assumer ses responsabilités internationales » et cela, en cohérence avec « notre Histoire, avec notre façon de percevoir le monde, avec la conscience du rôle que nous entendons y jouer, avec les attentes de nos alliés et de nos partenaires stratégiques. »

Au sujet de la réduction des contrats opérationnels et du format des armées l’amiral Guillaud a estimé que cela ne sera bien évidemment pas sans conséquences sur les capacités d’intervention.

« Nous ne pourrons plus faire autant, c’est-à-dire que la simultanéité des engagements sera la première variable d’ajustement », a-t-il déclaré, en précisant qu’il « faudra faire des choix et parfois se résoudre à intervenir plus modestement » et « être plus agiles pour redistribuer les moyens engagés sur nos théâtres et transférer l’effort vers d’autres forces ».

Le CEMA a également justifié la différenciation des forces inscrite dans le LBDSN. « Certaines unités doivent ‘savoir tout faire’, maîtriser les matériels les plus performants, les compétences les plus pointues. Mais certaines unités seulement, celles qui ‘entreront en premier’ et, d’emblée, feront face aux milieux les plus hostiles, aux adversaires les plus coriaces! », a-t-il expliqué.

« La question n’est plus aujourd’hui celle de la dialectique entre quantité et qualité. Équation insoluble : il faut les deux! Il faut de la quantité pour durer. Il faut de la qualité pour répondre de la bonne manière », a encore fait valoir l’amiral Guillaud, avant d’évoquer les « mutualisations » possibles des moyens dans le cadre de l’Otan ou de l’UE.

Sur le papier, le modèle préconisé par le Livre Blanc semble cohérent, du moins pour ceux ont participé à sa rédaction. Mais le respect de la trajectoire financière qui sera définie par la prochaine LPM, sera une toute autre affaire. « A l’heure de la construction budgétaire, sa réalisation est un pari », a affirmé le CEMA. « Et je dirais même que c’est un pari risqué, parce que nous avons une très faible visibilité sur l’avenir! », a-t-il insisté. Aussi, l’amiral Guillaud a identifié 4 risques majeurs

Pour rappel, le budget de la Défense sera identique à celui de 2013 (qui lui même l’était aussi par rapport à 2012) jusqu’en 2016. C’est à dire qu’il ne prendra pas en compte l’inflation. Or, « c’est pour nous une perte de pouvoir d’achat année après année, alors que le coût des grandes masses augmente beaucoup plus vite que l’inflation », a expliqué le CEMA.

Qui plus est, il faudra compter sur des ressources exceptionnelles d’un montant de 6 milliards d’euros. « Un niveau totalement inédit », pour l’amiral Guillaud. « La  réalisation du modèle est conditionnée par les perspectives économiques après 2016. Elle parie sur un retour à meilleure fortune après une phase en mode ‘survie’. Qui saurait le garantir? » a-t-il ensuite demandé.

Et au vu des résultats économiques du 1er trimestre de cette année, avec des recettes fiscales en baisse et un déficit du budget de l’Etat français de 66,8 milliards d’euros contre 59,9 milliards un an plus tôt à la même période, l’on peut nourrir quelques doutes…

Second risque évoqué par le CEMA : la déflation des effectifs. Il est question de supprimer 24.000 postes supplementaires, en plus des 10.000 autres restants de la précédente LPM. Soit l’équivalent, sur la période 2014-18, « d’une section de combat ou d’un équipage d’AWACS supprimé par jour ouvrable, ou encore l’équipage d’une FREMM tous les 5 jours », selon l’amiral Guillaud, pour qui la difficulté sera de préserver « l’équilibre toujours délicat entre capacités de combat et de soutien et en conduisant les restructurations nécessaires, le tout sans rupture de service. »

L’équipement des forces est le troisième risque souligné par le CEMA. « Son niveau est déjà, depuis plusieurs années, celui du juste besoin », a-t-il constaté. Et « la différenciation et la mutualisation ne résoudront pas à elles seules nos problèmes », a-t-il estimé. Et d’avancer que « le vieillissement assumé de nos matériels (…) cumulé avec les déflations à venir et la révision des cibles des programmes, pèsera de plus en plus sur l’activité des forces », et donc les opérations.

« Dans ce domaine aussi, nous sommes déjà en dessous des normes, et parfois clairement en dessous! Vouloir gagner sur les coûts d’entretien du matériel, de masse salariale, de carburant et de fonctionnement en diminuant encore l’activité des forces entraînerait des réductions de capacités, temporaires voire définitives. Avec le risque de ne plus pouvoir remplir certaines missions. Avec, aussi, des effets évidents sur le moral et la cohésion du personnel », a expliqué le CEMA.

Or justement, le « moral et la cohésion sont les clés de nos succès opérationnels et de la réussite des réformes à venir », a-t-il poursuivi. L’amiral Guillaud prévoit ainsi des « des tensions capacitaires accrues » qui viendront s’ajouter à des mesures difficiles pour les militaires, comme par exemple la « réduction des avancements pour tous. »

« Le personnel aspire naturellement à une certaine forme de reconnaissance », a fait valoir le CEMA. « Le considérer comme il se doit, c’est d’abord lui donner les moyens de bien remplir sa mission. C’est aussi lui donner la possibilité de progresser. C’est enfin l’éclairer sur l’avenir », a-t-il conclu.

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